DÉPISTAGE DU VIH
REPORTAGE
En France, sont particulièrement touchées par le sida les personnes prostituées, les migrants, et des hommes, à 80 % hétérosexuels… Dans les communes de l’Ouest parisien, l’association HF Prévention de Meulan-les-Mureaux va à leur rencontre pour leur offrir écoute et dépistage rapide.
C’est d’abord une silhouette. Furtive. De grands yeux prudents que l’on devine au travers des fourrés, avant que le regard ne s’éclaire, rassuré par un visage connu, celui de Jérôme André, président de l’association de lutte contre le sida HF Prévention, dont le camping-car vient tout juste de s’arrêter à l’orée de la forêt de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines), non loin de l’étang de Corra. La cinquantaine sportive, Thomas
« HSH, homosexuels, mais aussi populations migrantes, personnes en situation de prostitution, assumée ou non (type étudiants ou mères de famille en situation précaire), échangistes, transsexuels… L’urgence, aujourd’hui, en matière de lutte contre le VIH, est bien de cibler ces populations particulièrement exposées, dont beaucoup fréquentent les lieux de rencontre extérieurs (LRE) type étang de Corra », explique Jérôme André. Car les chiffres sont là, implacables : en dépit des campagnes de prévention de ces dernières années, en France, plus de 6 000 personnes par an sont toujours dépistées séropositives. Et 20 à 30 000 personnes vivent avec le virus du sida sans le savoir. « Au sein des populations invisibles, l’épidémie progresse encore. Les HSH sont, ainsi, la catégorie où l’on recense le plus grand nombre de nouvelles contaminations depuis une dizaine d’années, en France comme en Europe », insiste le président d’HF Prévention. Comment agir alors ? Pour Jérôme André, « il n’y a pas de secret : il faut aller vers ces populations. Et ce, en dépit de ceux nous disant parfois que l’on fait “du délit de sale gueule”. » Aller vers… Car la clandestinité est un risque majeur tant elle rend difficiles toute prévention et tout dépistage, celui-ci étant pourtant impératif pour pouvoir traiter les personnes infectées le plus tôt possible. « Or, les HSH, souvent mariés, mettent en place un tel cloisonnement dans leur vie, sont dans un tel déni parfois qu’ils ne vont pas spontanément appeler Sida Info Service, ou parler à leur médecin traitant. Notre association est souvent le seul relais santé qu’ils croisent dans leur sexualité non conventionnelle, qu’ils n’assument pas. Et les prostitué(e)s, qui plus est lorsqu’ils/elles sont d’origine étrangère, ou les migrant(e)s manquent eux/elles aussi souvent d’interlocuteurs santé. »
Depuis près de dix ans, les membres d’HF Prévention sillonnent donc les LRE de l’Ouest parisien – forêts, parkings, aires d’autoroute… Soit une quinzaine de lieux, chacun étant fréquenté en moyenne par 100 à 150 personnes par jour, voire par quelque 500 personnes en forêt de Saint-Germain ou dans le bois de Verrières. Formée aux techniques d’entretien et habilitée à réaliser des tests rapides d’orientation au dépistage du VIH (Trod), l’équipe, constituée de huit salariés – quatre animateurs de prévention et quatre jeunes en service civique –, et d’une vingtaine de bénévoles, part sur les routes tous les jours de la semaine, et, pour les bénévoles, la nuit et un week-end par mois. « Sur les LRE de l’Essonne et des Yvelines, nous sommes les seuls à être présents au quotidien. Le bus des femmes vient bien à la rencontre des prostituées, mais seulement une fois tous les quinze jours. Et la majorité des associations agissent en ville, à Paris notamment, bien sûr », souligne Julie, animatrice de 22 ans, qui vient de passer les concours d’entrée en Ifsi. Le long des routes où les prostituées signalent leur présence via des sacs plastiques accrochés aux branches, au cœur des bois, sur certaines aires d’autoroute ou à proximité des toilettes de centres commerciaux, Julie et ses collègues informent sans relâche ceux qui l’acceptent, sur les risques pris, et les moyens de se protéger. La confiance établie, certains acceptent, parfois, de monter à bord du camping-car où, portes et fenêtres fermées, confidentialité respectée, un dépistage rapide du VIH leur est proposé. Après l’entretien, une simple goutte de sang est prélevée sur le bout du doigt, et, en une minute, le test permet de savoir si la personne est contaminée ou non.
Seule limite du Trod : il ne détecte la contamination qu’à partir de trois mois. « En 2012, précise Jérôme André, sur 621 personnes qui ont accepté le test, 16 ont découvert leur séropositivité, soit 2,57 % des personnes dépistées. Qui plus est, 51 % n’avaient jamais fait de test pour les MST, et 70 % ne connaissaient pas leur statut sérologique. »
Médecin responsable du CDAG (Centre de dépistage anonyme et gratuit) du centre hospitalier de Meulan-les-Mureaux, Ségolène Deau confirme, et souligne « combien l’apparition des Trod, il y a deux-trois ans, a changé la donne en matière de dépistage, en permettant, notamment aux associations, de toucher les populations les plus à risques, toutes les personnes que l’on ne voit jamais, ou presque, dans les lieux de dépistage classiques type CDAG. » Persuadée que les opérations « hors les murs » sont aujourd’hui la clé d’un dépistage efficace, elle a engagé le CDAG dans cette voie. Une démarche encore rare. « Même si elle est devenue officiellement prioritaire », précise-t-elle. Opérations ponctuelles, notamment en centre commercial, à l’occasion de la journée mondiale de lutte contre le sida ou de la semaine de Flash Test et, surtout, partenariat avec HF Prévention. Les premières opérations en commun ont eu lieu il y a deux ans déjà, mais, depuis peu, le partenariat s’est renforcé : un médecin et une infirmière du CDAG accompagnent désormais l’équipe d’HF Prévention dans ses maraudes deux jours tous les deux mois. « L’idée, c’est de mettre en place un système pérenne – afin de ne plus être des inconnus pour les personnes que nous croisons lors de ces tournées. Qu’elles sachent qu’on est là, régulièrement, pour elles », explique la praticienne. Lors de ces maraudes communes, médecin et infirmière proposent aux personnes rencontrées un dépistage des hépatites B et C, de la syphilis, des chlamydies, et du gonocoque (pour les femmes), « la nature des prélèvements étant décidée par le médecin, au terme de l’entretien que nous menons ensemble avec la personne concernée », précise Jacqueline Villetorte, l’infirmière présente ce jour-là. « Cette offre élargie de dépistage, accessible sur les LRE, est un plus considérable, commente Jérôme André. Car ces IST sont aujourd’hui en recrudescence chez les populations que nous accompagnons. » Les enjeux sont forts : « Avoir accès aux soins, et pouvoir guérir si le dépistage est réalisé à temps. Et éviter de contaminer ses partenaires, le risque étant particulièrement important pour la syphilis et l’hépatite B », renchérit Jacqueline. Et, pour la soignante, comme pour sa collègue médecin, une chose est sûre : l’action qu’elles mènent « serait impossible sans ce partenariat avec HF prévention, dont les membres connaissent le terrain et y sont connus. C’est grâce aux liens de confiance qu’ils ont su tisser que certains acceptent de nous rencontrer, de nous parler, et de se faire dépister. »
« Tisser la confiance, amorcer la discussion, évoquer avec chacun son parcours, ses pratiques sexuelles, amener au dépistage… C’est un travail de longue haleine. Et toujours complexe car, quelle que soit sa pratique, chacun est ici dans la clandestinité », souligne Guillaume, tout juste 20 ans, un des plus jeunes membres de HF Prévention. Du parking grisâtre de la gare d’Achères-Grand-Cormier, où une prostituée, esseulée, attend sur un canapé décrépi, à l’étang de Corra, où les va-et-vient furtifs sont incessants, membres d’HF Prévention et professionnels du CDAG maraudent, accompagnés ce jour-là par Thierry Schaffauser et Judy Minx, adhérents du Strass, le syndicat des travailleurs du sexe, venus informer les prostitué(e)s de leurs droits. Dès leur arrivée à Corra, Jérôme, Ségolène et Jacqueline s’enfoncent dans les bois pour aller voir Helena, une des rares prostituées de la zone, présente depuis des années. La semaine précédente, elle avait dit qu’elle viendrait effectuer un dépistage de la syphilis, mais, finalement, elle « ne se sent pas prête ». Puis, ce sont Julie et Guillaume qui partent en maraude. En chemin, ils croisent Gérard, que l’association connaît depuis des années, et qui est même devenu l’une de ses « personnes relais » – téléphonant s’il perçoit une situation de détresse, ou pour signaler une agression, type agression homophobe, en recrudescence depuis les débats suscités par la loi du mariage pour tous. À ceux, parfois inconnus, qui acceptent de se laisser aborder, ils proposent un kit de préservatifs, « le biais souvent le plus efficace pour entamer la discussion, note Guillaume. Le dépistage, cela vient plus tard, bien plus tard généralement ».
Car, déni, angoisse de la maladie, absence de couverture maladie et/ou de titre de séjour, crainte d’évoquer une sexualité non conventionnelle avec des professionnels de santé qui peuvent/pourraient ne pas l’entendre, la juger, le dépistage est aussi source d’inquiétude. D’autant qu’un dépistage positif entraîne un impératif de soins, « et que, là aussi, souligne Ségolène Deau, la clandestinité est un obstacle majeur au traitement ». « Un traitement pour le VIH, cela suppose en effet de prendre, chez soi, des médicaments, nombreux et aux possibles effets secondaires, voire d’être hospitalisé. C’est donc particulièrement difficile pour les HSH, clandestins, y compris à leur domicile, et qui, même après avoir été dépistés, gardent souvent le silence vis-à-vis de leur femme. Pour les prostitué(e)s, craignant, pour certain(e)s, les réactions de leur mac, et habitant souvent, qui plus est, loin des lieux où ils/elles travaillent, avec toutes les difficultés d’orientation que cela suppose. Et pour les migrants en situation irrégulière, craignant l’expulsion », explique Jérôme André. Les liens noués avec certains services hospitaliers – le CDAG de Meulan-les-Mureaux bien sûr, mais quelques autres aussi, type service d’infectieux de l’Hôtel-Dieu à Paris – sont, à cet égard, précieux. Et, quand ils sentent que c’est impératif, il n’est pas rare que les membres de HF Prévention dégagent du temps pour accompagner certains au CDAG, chercher les résultats des tests effectués sur les LRE par médecin et infirmière, d’autres à leur premier rendez-vous en service d’infectieux. « Accompagner, écouter. En allant sur le terrain. Sans tabou ni jugement. Voilà l’impératif, aujourd’hui, en matière de lutte contre le sida », conclut Jacqueline.
1- Les prénoms ont été modifiés.
2- Des associations comme Aides, dans plusieurs lieux en France, Sida Info Service dans la région nantaise, et Aiutu Corsu en Corse, réalisent elles aussi des Trod sur des LRE.