SUR LE TERRAIN
RENCONTRE AVEC
Infirmière au collège de Plérin, Nathalie Van Heden est au cœur d’un vaste programme d’action sur le thème du harcèlement. L’occasion de pratiquer la transversalité, sans laquelle il ne peut y avoir, selon elle, de prévention efficace.
Parmi les capacités nécessaires pour devenir infirmière scolaire, il y en a une qui ne figure sur aucune fiche de poste : le don d’ubiquité… Pourtant, pouvoir être partout à la fois se révèle une qualité essentielle pour mener à bien toutes les missions requises. L’expérience de Nathalie Van Heden, infirmière scolaire arrivée en France après avoir obtenu son DE à Bruxelles, en 1990, en est une belle illustration. Elle est basée depuis trois ans au collège Jules-Léquier de Plérin (près de Saint-Brieuc, dans les Côtes-d’Armor), et sa semaine se partage entre ce gros collège – 780 élèves – et les six écoles du secteur, auprès des petits de grande section et de CE2. Dans chacun des établissements, elle intervient, en premier lieu, sur des tâches « techniques » : accueil des élèves et organisation du suivi de leur état de santé ou d’une prise en charge d’urgence ; dépistage d’éventuels troubles physiques ou de l’apprentissage… Elle doit également, selon les termes de la fiche de poste, « développer une dynamique d’éducation à la santé » ou encore « mettre en place des actions pour améliorer la qualité de vie des élèves ». Vaste programme de prévention… Entre deux allers-retours jusqu’à la salle d’attente de l’infirmerie du collège pour demander aux jeunes de patienter, l’infirmière affirme s’« épanouir ». Formée à l’éducation thérapeutique du patient, la soignante estime que cette fonction multitâche est même le moyen d’atteindre les objectifs de prévention tout en restant en adéquation avec les besoins. Son maître mot : la transversalité. « Pour faire de la prévention, il faut qu’il y ait un lien avec les cours, que l’action soit mise en cohérence avec la vie de l’établissement », souligne-t-elle. Et d’ajouter : « L’objectif est quand même d’obtenir un résultat concret pour les élèves et les enseignants. » La meilleure illustration en est le travail initié voilà un an sur un thème à la croisée des missions de l’infirmière scolaire : le harcèlement. « Ce vaste travail a pour origine des problèmes concrets, c’est très important », souligne la soignante. Selon elle, il ne s’agit pas juste de décliner une politique nationale parce que, en 2011, le Ministre de l’Éducation nationale a jugé prioritaire la lutte contre le harcèlement. Encore faut-il que le phénomène soit observé et pris en compte par les enseignants, la conseillère principale d’éducation (CPE), l’assistante sociale, ou encore les élèves et les parents, sans oublier l’infirmière. « Lors du bilan de l’année que dresse l’ensemble de la communauté scolaire, on a constaté que l’ambiance dans les classes, les conflits entre élèves, les faits de violence prenaient de l’ampleur, explique Nathalie Van Heden. Parmi les faits observés, beaucoup d’insultes autour de la tenue vestimentaire. Si un élève n’a pas les codes du groupe, il fait l’objet de moqueries, d’humiliations, voire de violences physiques. L’usage d’Internet, notamment, a sa part dans le développement de ces situations. Les conséquences sont graves : décrochage scolaire, désocialisation, anxiété, risque suicidaire… On s’est rendu compte que les élèves de 5e étaient les plus concernés. À l’âge qu’ils ont, ils sont particulièrement sensibles sur le sujet de leur image. Ces jeunes sont en train de construire leur identité. Être rejeté du groupe les atteint énormément. »
L’infirmière et la CPE creusent alors ces premiers constats, croisent les informations, tentent de préciser les choses : de quoi parle-t-on ? Le mot « harcèlement » ne leur vient pas encore à l’esprit. Leur ressenti correspond-il à la définition du phénomène ? Le harcèlement se définit comme une violence répétée, qui peut être verbale, physique ou psychologique, commise avec l’intention de nuire. Autre interrogation pour elles : quelle ampleur lui attribuer ? « La grande difficulté est de savoir quel clignotant actionner pour caractériser un fait de harcèlement, et quand », rappelle l’infirmière scolaire. Et de raconter que le matin même, elle a reçu un élève régulièrement chahuté par d’autres, pas toujours les mêmes. « En théorie, cette situation semble différer du harcèlement. Mais, ce qui est sûr, c’est que l’élève se sent harcelé. Ce cas est fréquent quand le jeune est fragilisé. » Pour l’équipe du collège, il apparaît alors, à travers une situation comme celle-ci, que la priorité est d’accorder de l’importance à toute information qui révèle des rumeurs, des insultes.
« C’est généralement ainsi que débute un processus de harcèlement », précise Nathalie Van Heden. Première évidence pour l’équipe éducative : il faut repérer toute information qui pourrait révéler une situation ou une présituation de harcèlement. Pour la CPE, il convient de se préoccuper des absences (l’absentéisme peut cacher un problème face à un autre jeune) et des conflits entre élèves. La professionnelle de santé, elle, est attentive aux signaux somatiques : « L’ambiance de l’infirmerie favorise d’emblée l’expression d’un mal-être. Au départ, il y a souvent un mal au ventre, une plainte somatique. Il est très rare que les élèves s’expriment directement sur le sujet. Pour eux, celui qui dit est une “balance”. Il faut alors décrypter, recouper les informations, d’où la nécessité d’un travail collectif. Et, en, parallèle, favoriser l’expression des jeunes. Lorsque leur malaise est mis en mots, le reste suit… » Créer un climat propice à l’expression des élèves – la grande idée du collège – passe par un vaste programme d’action, dans lequel l’infirmière et la CPE jouent un rôle clé. Il faut créer les conditions pour que les élèves – victimes, harceleurs comme « spectateurs » – prennent conscience de l’influence des préjugés et des stéréotypes. Une réflexion doit être engagée pour favoriser la prise de recul et l’esprit critique. In fine, il s’agit de prévenir les conséquences des comportements de harcèlement. Tous ces objectifs se révèlent d’autant plus importants qu’une première évaluation confirme l’ampleur du phénomène. Près d’un collégien de Plérin sur quatre dit avoir subi ou eu connaissance d’une situation de harcèlement. Des chiffres qu’il faut comparer avec ceux définis au niveau national : un enfant sur dix est victime de harcèlement ; 6 % subissent un harcèlement sévère ou très sévère.
Un groupe de 15 professeurs et autres professionnels se constitue. Aidé par une association spécialisée (Libertés Couleurs), il met en place des ateliers pour les élèves en avril et mai 2012. Tous ont pour but de favoriser l’expression autour de ce thème, afin, en quelque sorte, de le banaliser, qu’il ne soit plus tabou, les victimes s’enfermant dans leur souffrance, s’isolant, et les « spectateurs » cautionnant l’acte du harceleur. Tout est bon pour aller dans ce sens : lecture d’un livre traitant du sujet avec la professeur de français et écriture de saynètes jouées devant d’autres élèves ; travail selon la méthode du photo-langage avec la CPE et l’infirmière, qui s’était précédemment formée ; création d’affiches en cours d’arts plastiques ou encore travail autour du cyber-harcèlement avec le professeur de technologie. « Nous entamons seulement notre deuxième année avec ce dispositif, mais nous remarquons déjà des améliorations, souligne Nathalie Van Heden. Le repérage est plus précoce. Parfois, ce sont les parents d’un élève “spectateur” qui nous alerte. Les enseignants réagissent plus vite. Des résultats en baisse brutale, un isolement, une conduite à risques les interpellent. On fait ensuite du cas-par-cas. La conseillère d’éducation s’entretient avec les responsables des faits et avec la victime et, en général, le problème se règle rapidement. Je peux moi-même contacter des parents en présence du jeune. Quand il s’avère que toute une classe est concernée, nous pouvons faire venir les élèves par petits groupes. Les actions de prévention, si elles sont organisées de manière cohérente au sein de l’établissement, évitent pas mal de problèmes. Pour moi, c’est une autre façon d’être dans le « prendre soin », plus que dans la technique du soin, que j’ai pratiquée en bloc, mais qui ne me manque pas… »
1- Première enquête nationale de victimation au sein des collèges. publics réalisée auprès de 18 000 élèves en octobre 2011. Un portail ressources : www.agircontreleharcelementalecole.gouv.fr
1990 Obtient son DE. Travaille deux ans en bloc opératoire. Suit un master en éducation à la santé. Travaille à mi-temps en diabétologie (éducation thérapeutique). Arrive en France et travaille en psychiatrie à Flers (Orne). Elle effectue un remplacement au CH de Lannion (Côtes-d’Armor).
2002 Travaille comme infirmière scolaire en contractuel au lycée de Morlaix.
2003 Concours réussi en mai. Elle est nommée au lycée de Lannion.
Juin 2010 Elle est nommée au collège de Plérin.