L'infirmière Magazine n° 331 du 15/10/2013

 

URGENCES

ACTUALITÉ

Alors que les services d’urgence se préparent à affronter les premières épidémies hivernales, deux organisations d’urgentistes appellent à un mouvement de grève. À compter du 15 octobre, ils ne chercheront plus de lits d’aval pour leurs patients.

Des patients qui s’entassent dans les couloirs, des équipes au bord du burn out, des chefs de services qui démissionnent… L’hiver dernier a été rude pour les 670 ? services d’urgence de France. En dix ans, leur fréquentation a augmenté de 38 %, pour atteindre 17,5 ? millions de passages en 2010. Alors qu’une nouvelle saison de forte activité se profile avec l’arrivée des premières épidémies hivernales, le climat social est loin d’être apaisé. Samu-Urgences de France et l’Association des médecins urgentistes de France (Amuf) ont enclenché un mouvement de grève : à compter du 15 octobre, les urgentistes sont appelés à ne plus chercher de lits d’aval pour leurs patients. « Je perds un tiers de mon temps à rappeler les collègues ; c’est la négociation permanente, témoigne Patrick Pelloux, président de l’Amuf et médecin au Samu de Paris. Le temps que l’on passe à écouter Vivaldi au téléphone, on ne le passe pas à vider les salles d’attente. » À partir du 15 octobre, la tâche incombera aux administrateurs de garde.

Recommandations

Pour désarmorcer la crise, Marisol Touraine a mandaté le Pr Pierre Carli. Le président du Conseil national de l’urgence hospitalière (CNUH) a formulé une dizaine de recommandations de bonne pratique dans un rapport(1) remis le 30 septembre. Au-delà des risques psycho-sociaux engendrés, la surcharge des urgences provoque « une morbi-mortalité supplémentaire », rappelle-t-il. « Ce n’est pas un problème d’organisation ni une défaillance des équipes », insiste-t-il. Empêcher la venue aux urgences de patients qui n’en auraient pas besoin en tentant de contrôler l’amont est « un lieu commun » dont l’effet serait limité. La surcharge des urgences est bel et bien liée à la saturation des lits d’aval, affirme-t-il. En cause : « Un parcours de soins intrahospitalier non optimisé », augmentant la durée moyenne de séjour des patients. En période de forte activité, « ce point de fragilité conduit à la mise en tension de l’hôpital ». Le Pr Carli propose aux établissements une « boîte à outils » pour élaborer « une stratégie locale », tout en les mettant en garde contre des écueils, la mise en place, notamment, d’une « démarche coercitive (…) qui attiserait un conflit déjà latent entre l’équipe des urgences et le reste de l’établissement ». Le président du CNUH recommande aussi de ne pas tout miser sur « le très médiatique bed manager » – ou gestionnaire de lits – car c’est d’un « bed management » global dont l’établissement a besoin. Ce dispositif de gestion des lits, que la ministre de la Santé souhaite voir se généraliser(2), « doit être indépendant du service d’accueil des urgences », insiste le Pr Carli. Il propose de créer « une commission de l’admission et des soins programmés », chargée de définir les « règles du jeu » concernant l’admission des patients dans les services d’aval, d’organiser les fermetures de lits l’été, de gérer les situations de saturation. Une idée reprise par Marisol Touraine. Autres recommandations : la mise en place de consultations spécialisées non programmées menant au « contournement du service d’urgence » ; formaliser et rendre obligatoire le plan « hôpital en tension » ou encore avancer l’heure de sortie des patients.

Attractivité

En attendant cette réforme structurelle propre à chaque établissement, à l’approche de l’hiver, la ministre a demandé aux ARS d’identifier les risques de tension dans les hôpitaux. Des solutions ont été élaborées au cas par cas : améliorer le fonctionnement architectural des urgences, ouvrir des lits dédiés dans les services d’aval, établir des plans de recrutement prioritaire… Pas de quoi amadouer l’Amuf et Samu-Urgences de France, qui maintiennent leur appel à la grève. Pour Patrick Pelloux, il faut rendre financièrement plus attractifs les métiers de l’urgence, renforcer la présence des assistantes sociales et des psychiatres et, surtout, rouvrir des lits.

1– « Propositions de recommandations de bonne pratique facilitant l’hospitalisation des patients en provenance des services d’urgence ».

2– Le dispositif sera mis en place dans 164 établissements dans un premier temps.