L'infirmière Magazine n° 331 du 15/10/2013

 

DANS LE MONDE

DOSSIER

En Chine, bien sûr, et sur le continent nord-américain, ainsi que dans certains pays d’Europe, les médecines complémentaires occupent une place plus avancée qu’en France. Tour d’horizon des tendances principales.

La Chine, dont la médecine traditionnelle s’exporte un peu partout dans le monde, possède, en parallèle, deux médecines officielles : la chinoise et l’occidentale. Amusant constat de la cohabitation parfaitement naturelle de ces deux systèmes, quand la France et de nombreux autres pays occidentaux commencent tout juste à se départir d’une certaine méfiance et à s’intéresser aux principes de la médecine chinoise. Dans l’empire du Milieu, chaque système dispose de ses propres facultés, hôpitaux affiliés et instituts de recherche, les étudiants suivant l’une ou l’autre des filières. Les autorités de santé de la Chine s’appuient sur ces deux approches « dans un esprit de convergence, dans le respect mutuel », confiait Chen Zhu, ministre de la Santé chinois, dans un entretien à la revue La Recherche paru le 1er octobre 2012. Ce médecin hématologue, formé en Chine et en France, insistait aussi sur l’importance de ne pas oublier « la philosophie ancestrale, qui sous-tend la médecine traditionnelle. C’est en se fondant sur ses principes que l’on soigne mieux, comme j’ai pu m’en apercevoir moi-même en tant que médecin hématologue ». Autrement dit : garder son identité tout en prenant, aussi, le meilleur du système occidental.

Entrées dans les mœurs

Un principe qu’appliquent aussi, mais sans systématisme et avec des variations géographiques, les États-Unis. Voilà déjà deux décennies, davantage parfois, que les médecines complémentaires y sont implantées dans le circuit médical et dans les formations. Ainsi, selon l’Université en ligne de médecines alternatives Laparé(1) (Umal), 125 écoles de médecine offrent un MD (diplôme d’État de docteur) en MAC (médecines alternatives et complémentaires), et près de 85 % des écoles de sciences infirmières enseignent au moins une forme d’entre elles. Mais leur reconnaissance varie selon les États. Quelques exemples : considérée comme une branche de la médecine conventionnelle, l’ostéopathie bénéficie de la plus forte reconnaissance. Vingt-six collèges de médecine ostéopathique délivrent des diplômes accrédités par l’Association américaine ostéopathique, la pratique étant réglementée par des lois propres à chaque État. C’est d’ailleurs en Amérique qu’elle a été créée, au XIXe siècle, par Andrew Taylor Still, inventeur de machines agricoles du Missouri, passionné d’anatomie et devenu médecin.

La médecine par les plantes n’en est pas à ce stade, puisque seuls 13 États reconnaissent la naturopathie comme une thérapeutique à part entière. À l’inverse, la méditation est en passe d’entrer dans les mœurs hospitalières, puisqu’elle est dispensée dans plus de 200 établissements. Une reconnaissance due au travaux du professeur de médecine Jon Kabat Zinn dans les années 1970-1980. Au départ peu considérés, ils ont ensuite permis la diffusion de thérapies basées sur la méditation de pleine conscience, comme la MBSR (Mindfulness Based Stress Reduction – réduction du stress basée sur la pleine conscience), utilisées, notamment, pour les problèmes de douleurs chroniques. Jon Kabat-Zinn a créé la première clinique du stress en 1979, et le Centre pour la pleine conscience en médecine de l’université médicale du Massachusetts en 1995. On compte aujourd’hui 400 cliniques du stress aux États-Unis et au Canada, deux pays où les praticiens recommandent à leurs patients de méditer chaque jour pas moins d’une heure. La recherche n’est pas en reste, avec le National Center for Complementary and Alternative Medicine (NCCAM, centre national pour les MAC). Son budget, de 2 millions de dollars à sa création, en 1991, était de 128,8 millions en 2010. Un peu plus au nord sur le continent, la législation canadienne en matière de MAC diffère selon que l’on se trouve dans la partie anglophone ou bien francophone du pays. Au Québec, les MAC semblent entrées dans les habitudes, autant qu’aux États-Unis. Une bonne partie de la population souscrit à des assurances privées qui couvrent des soins de physiothérapie, naturopathie, acupuncture, massothérapie…. Les associations professionnelles servent d’intermédiaires aux assureurs pour éviter que ces derniers n’aient à évaluer chacun des thérapeutes.

Et l’Europe ?

Plus proches de nous, dans l’Union européenne, selon la Commission européenne, 65 % à 70 % des citoyens affirment avoir eu recours au moins une fois à une médecine complémentaire. À l’aube des années 2000, le conseil de l’Europe avait émis des recommandations pour le développement de ces médecines. Treize ans plus tard, la réalité est disparate. La Commission européenne a lancé et financé, en 2012, le programme « Cambrella »(2), afin d’évaluer la pratique des « CAM » (Complementary and Alternative Medecine), et de tracer une feuille de route pour 2020. Ses objectifs sont d’homogénéiser les pratiques, de mieux enseigner, et de créer un institut européen d’information sur les MAC. Seize universités européennes ont mené l’étude, dans 18 des 39 États membres (27) et États associés (12) de l’Union européenne. Pour 21 pays, il n’a pas été possible de recueillir des données suffisantes. À l’inverse, le Royaume-Uni, la Norvège et la Suisse sont les seuls à avoir mené des études d’évaluation de grande ampleur.

Trois groupes distincts

Cambrella a déjà permis de rapporter les tendances principales. D’abord, concernant les MAC pratiquées. Les plus importantes sont l’acupuncture, la médecine anthroposophique, l’homéopathie, les thérapies manuelles (ostéopathie, chiropractie, réflexologie…), la « médecine naturelle » (qui va de l’aromathérapie aux compléments alimentaires), et la médecine traditionnelle chinoise. Trois groupes de pays se détachent : la Scandinavie, les pays méditerranéens et les pays germaniques. Les « pays locomotives » sont le Danemark, la Norvège, le Royaume-Uni, l’Allemagne, ou encore la Suisse, où les MAC sont intégrées dans la législation et associées aux enseignements universitaires de médecine conventionnelle. Du point de vue des réglementations, deux points sont à retenir : chacun des 39 pays étudiés a ses propres règles concernant la pratique des MAC ; en revanche, l’autorisation de mise sur le marché des produits d’herboristerie et d’homéopathie est régie, dans tous les pays, par les directives de l’Union européenne.

Au sein de l’Europe, la Suisse se démarque. Les médecines complémentaires y font l’objet d’un article dans la Constitution suite à la votation populaire du 17 mai 2009 (67 % de « pour »). De fait, jusqu’à 70 % de la population a régulièrement recours à l’homéopathie, à la phytothérapie, à la médecine traditionnelle chinoise, à la médecine anthroposophique ou à la thérapie neurale(3). Cette disposition constitutionnelle a permis de légitimer ces médecines et de mieux les intégrer au système de santé. Ainsi, selon l’Observatoire suisse de la santé, quelque 3 000 médecins ont recours, en plus de leur exercice allopathique, à près de 200 techniques alternatives. La complémentarité des médecines trouve tout son sens, jusque dans la coexistence de « praticiens en médecine traditionnelle chinoise » (MTC) et de « docteurs en médecine spécialistes de MTC ». À présent, le pays doit passer une nouvelle étape : s’attaquer à la question du remboursement de ces médecines. Depuis le 1er janvier 2012, la médecine anthroposophique, l’homéopathie, la thérapie neurale, la phytothérapie et la médecine traditionnelle chinoise sont remboursées, à certaines conditions, par l’assurance maladie obligatoire. Cette décision du Département fédéral de l’intérieur vaut néanmoins pour une période provisoire – jusqu’à fin 2017 –, afin de prendre le temps de clarifier les aspects controversés. Pour les partisans des médecines complémentaires, l’objectif est de promouvoir le développement d’une médecine dite « intégrative », dont le coût économique serait moindre, ce qui n’a pas été prouvé à ce jour.

1– L’Umal a été créée en 1990 par le Dr Marie-Claire Laparé, diplômée de médecine alternative de l’Université canadienne de santé holistique. Elle possède une antenne au Maghreb, à Marrakech, où elle s’appuie sur la tradition d’herboristerie des pays d’Afrique du Nord.

2– www.cambrella.eu/aduploads/cambrellaroadmap.pdf

3– Cette pratique, élaborée par deux médecins allemands en 1925, consiste à injecter de petites doses d’anesthésique au niveau de certains centres neurologiques. Le but est de réguler la circulation d’énergie * et de stimuler les mécanismes d’autorégulation.

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