INTERVIEW : JEAN-YVES FAGON CHEF DE CLINIQUE À L’HÔPITAL EUROPÉEN GEORGES-POMPIDOU
DOSSIER
Directeur de la politique médicale de l’AP-HP jusqu’en 2010, le Pr Fagon dirige le service de réanimation médicale à l’HEGP.
L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Comment travaille le comité d’orientation sur les MC mis en place depuis leur intégration dans le plan stratégique de l’AP-HP ?
JEAN-YVES FAGON : Ce groupe hospitalo-universitaire travaille à la fois sur les modalités de pratique de ces médecines, sur le développement de la formation, sur l’information des patients et sur la mise en place de travaux de recherche dédiés. Depuis un an et demi, le travail est essentiellement centré sur la réalisation d’un état des lieux, long à réaliser, parce que beaucoup de thérapies complémentaires sont déjà, de fait et depuis plusieurs années, présentes à l’AP-HP. Dans le cadre de ce travail, nous avons aussi eu une réflexion qui nous a conduits à garder le terme de « médecines complémentaires », mais pas celui d’« alternatives » ; les trois mis ensemble nous semblent, en effet, contradictoires.
L’I. M. : Quel bilan de la situation peut-on dresser ?
J.-Y. F. : Je peux surtout parler de ce qui se passe à l’AP-HP, même si, ailleurs en France, beaucoup d’autres hôpitaux ont des équipes qui pratiquent des médecines complémentaires. Mais, dans les faits, ils ont peu de visibilité. Pour préciser la situation dans les hôpitaux universitaires, nous avons mis en place une structure inter-CHU regroupant déjà ceux de Lille, Strasbourg et Montpellier. Nous pouvons néanmoins donner les grandes lignes d’un premier bilan. Il existe une offre importante, variable, de tout type (hypnose, acupuncture, ostéopathie, massages…). À présent, deux points méritent une attention particulière : en vertu de quel diplôme les praticiens exercent ? Quel type d’information est à la disposition des malades ?
L’I. M. : Selon vous, quel est le bénéfice principal des MC ?
J.-Y. F. : Avant tout, elles répondent à une demande. Un nombre important de malades ont le sentiment qu’ils ont besoin de quelque chose de plus que le traitement conventionnel ; il faut pouvoir leur offrir cet « autre chose » ! Quant aux bénéfices, à l’heure actuelle, l’exemple le plus parlant est probablement celui de la douleur. De nombreux patients ont le sentiment d’aller mieux grâce au recours à d’autres traitements, après avoir essayé tous les médicaments. Il faut évaluer ces médecines complémentaires en respectant les critères de recherche clinique habituels. Sans cela, il est impossible de dire précisément, par exemple, dans quelles conditions un patient a bénéficié de MC, ni d’affirmer à 100 % que le recours à ces pratiques améliore le suivi du traitement conventionnel, ou encore que les douleurs lombaires peuvent être soignées grâce à une thérapie complémentaire. Certaines études répondent par l’affirmative, d’autres par la négative.
L’I. M. : Comment mieux intégrer les MC dans le système de soins ?
J.-Y. F. : Tout d’abord, en s’assurant de la qualité des diplômes ! Donc en connaissant le contenu des formations dispensées. Certaines médecines complémentaires, comme l’acupuncture, sont bien balisées, mais, pour d’autres, c’est moins clair. Pour l’ostéopathie, notamment, les formations sont très hétérogènes. Ensuite, et c’est une décision unanime du comité d’orientation de l’AP-HP, il est impératif que les MC à l’hôpital soient exercées par des professionnels de santé. Enfin, à moindre échelle, il faut encore surmonter les réticences de certains médecins ou soignants, sceptiques vis-à-vis des thérapeutiques que l’on ne maîtrise pas encore totalement, et qui doivent être réellement évaluées.
L’I. M. : Le recours aux MC aura-t-il un impact économique positif, notamment sur le déficit de l’assurance maladie ?
J.-Y. F. : Il est beaucoup trop tôt pour répondre. Une évaluation économique précise ne peut pas être menée avant que l’évaluation médicale ait été finalisée. Dans l’état actuel des choses, ce qui me frappe, c’est que les médecines complémentaires sont probablement l’offre pour laquelle l’inégalité de l’accès aux soins est la plus grande : elles sont principalement exercées en libéral, avec des tarifs libres, parfois exorbitants. Très peu d’actes sont codés dans la nomenclature de l’assurance maladie. Il faut encore étudier les cotations, les remboursements… Ce qui est certain, c’est que les pouvoirs publics vont devoir s’y intéresser.
1– L’hypnose est pratiquée depuis peu dans son service.