Miss Marple en blouse blanche - L'Infirmière Magazine n° 332 du 01/11/2013 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 332 du 01/11/2013

 

SUR LE TERRAIN

RENCONTRE AVEC

Évelyne Bayle a commencé à écrire sur un lit d’hôpital, pour entraîner sa mémoire. Depuis, cette soignante, qui exerce à La Rochelle, enchaîne les romans sur les aventures à suspense de Flore, infirmière délurée.

C’est l’histoire de Flore, une jeune infirmière qui s’interroge sur l’avenir de son métier « face aux diktats de la rentabilité », et enquête avec son fiancé, policier, sur la mort suspecte d’une patiente. Ce n’est pas du tout l’histoire d’Évelyne Thomas-Bayle, infirmière et auteure de romans à intrigue. C’est juste celle qu’elle a imaginée dans son premier livre pour son héroïne, dans des circonstances plutôt inhabituelles et à l’issue d’un processus sinueux. Elle puise bien sûr son inspiration dans son expérience professionnelle d’infirmière.

Le cliché du « toute petite déjà, elle écrivait… » ne s’impose pas pour Évelyne. Toute petite, c’est infirmière qu’elle voulait devenir. La fibre sociale lui vient de sa famille, où la solidarité est une valeur cardinale. Son père est ouvrier, militant syndicaliste actif, et, dernière de cinq enfants, elle est restée « collée » à sa mère, peut-être plus que les autres. Elle la suit dans ses engagements bénévoles et humanitaires. « Ma mère m’a souvent emmenée chez des personnes dans le besoin, se souvient l’infirmière. Cela m’a très vite dirigée vers les métiers du social. Et puis, elle rêvait qu’une de ses filles devienne assistante sociale ou infirmière. J’ai peut-être un peu épousé son envie, mais c’est un métier que j’ai choisi et que j’aime passionnément. ! » Lors d’une présentation des différents métiers, en classe de troisième, elle constate que celui d’infirmière l’attire. Elle a trouvé sa voie.

Depuis son DE, obtenu dans sa ville natale, Saint-Étienne, en 1979, elle a principalement exercé aux Bluets, à Paris. Au sein du dispensaire de la polyclinique, d’abord, quand elle existait encore, aux consultations externes. La multiplicité des disciplines l’enthousiasme : ORL, dermato, ophtalmo, chirurgie…, elle touche à tout. Surtout, « je suis tombée amoureuse des Bluets », avoue-t-elle, trente ans plus tard. La diversité des domaines l’attire, et l’esprit « maison » la séduit également. Des immigrés aussi bien que des chanteurs et des acteurs célèbres fréquentent le dispensaire et la maternité. Quand les difficultés financières conduisent à la fermeture du dispensaire, Évelyne poursuit sa carrière à la maternité. Un établissement « que j’adore et que je continue à défendre », insiste l’infirmière. Elle en parle d’ailleurs toujours au présent bien qu’elle n’y travaille plus : « Nous avons (sic) une façon de fonctionner qui fait que dans le personnel, tout le monde se respecte. » Elle participe à la création du service de procréation assistée et en devient la coordinatrice (ce sera d’ailleurs le thème de son deuxième ouvrage). Une nouvelle aventure, et un poste clé pour vivre au cœur des évolutions du système de santé.

Changements profonds

Au fil des réformes hospitalières, elle est témoin de l’influence des impératifs de rentabilité dans le fonctionnement des services. Huit ans et quelques restructurations plus tard, les conditions d’exercice de ses fonctions ne lui permettent plus de les mener sereinement, comme elle le souhaite. Elle choisit donc de redevenir « simple » infirmière, de nuit, en suites de couches gynécologiques. Elle vit de l’intérieur les changements profonds. La maternité déménage près de l’hôpital Trousseau, dans un bâtiment flambant neuf. L’activité fait plus que doubler. « D’une maternité familiale, bon enfant, sympathique, on est passé à une usine à bébés, regrette-t-elle. Pour les anciennes comme moi, c’était difficile de continuer à travailler comme on nous l’avait enseigné. Pas assez de temps pour écouter, soulager, aider » Sans le savoir, elle engrange la matière de son premier roman.

Maladie neurologique

Et puis, en octobre 2005, la maladie fait son apparition dans sa vie à elle. Neurologique. « On me disait que c’était le travail de nuit qui était en cause, mais j’étais persuadée que ce n’était pas cela, raconte Évelyne. Je le disais et le répétais, mais, au bout d’un moment, j’ai fini par me demander s’ils n’avaient pas raison… » Les pires diagnostics sont évités, mais aucun n’est posé. Son congé maladie dure six mois. À l’hôpital, les médecins lui conseillent de lire pour traiter de petits troubles de la mémoire, mais elle peine à se concentrer et décide d’écrire, pour s’occuper.

La révolte de la soignante vis-à-vis de l’évolution du système de soins nourrit l’intrigue de son premier roman, Si je la retrouve, je la tue. « J’ai mis en scène les problèmes, les difficultés du personnel face à la transformation de l’hôpital, en créant une intrigue. » Des ressorts personnels, plus ou moins sentimentaux, s’y entremêlent. Le choix du genre « roman à suspense » provient sans doute des multiples ouvrages policiers qu’elle a lus. « J’ai adoré Mary Higgins Clarke, j’ai lu tous les Agatha Christie – leur côté désuet me plaît beaucoup. J’apprécie aussi le style original des romans de Fred Vargas. Ah, et Patricia Highsmith ! Et les personnages récurrents ! » C’est d’ailleurs le cas de son héroïne, Flore : « J’aime faire évoluer mes personnages, explique l’auteure. Au départ petite infirmière peu sûre d’elle, Flore prend peu à peu de l’assurance », de la maturité. Elle a épousé son fiancé, policier, sans pour autant rester totalement insensible au charme du lieutenant Berthier. C’est une infirmière à l’opposé des clichés. Une collègue encourage l’écrivain en herbe à frapper à la porte des maisons d’édition. Quelques mois plus tard, le premier opus est publié.

Peu de temps après les premières manifestations de sa maladie, Évelyne a décidé de quitter Paris pour La Rochelle, ville où elle séjourne habituellement durant ses congés. Son mari la rejoint chaque week-end et s’y installera également dans quelques mois. C’est aussi à La Rochelle, finalement, qu’un médecin l’a « vraiment écoutée » et orientée vers un autre neurologue qui, lui, a enfin su diagnostiquer sa maladie. Et la maîtriser autant que possible. Entre deux postes de nuit dans un pôle gériatrique, « j’ai un peu l’impression d’être en vacances. Après avoir dormi quelques heures, je me balade souvent l’après-midi sur le port. Et puis, je suis à un quart d’heure en scooter de l’hôpital ! » Cela lui laisse le temps d’écrire d’autres aventures de Flore. Les intrigues se déroulent désormais hors du milieu hospitalier, les médias s’en mêlent, et, surtout, les personnages gagnent en maturité, en expérience. Leur créatrice aussi ! Désormais, Évelyne Thomas-Bayle (son nom d’auteure), publie ses livres seule, car « certaines maisons se servent des auteurs comme d’une pompe à finances », estime-t-elle. Elle a intégré une association d’écrivains de la région, et gère tout, de l’écriture à la commercialisation, en passant par la relecture et l’impression (de 100 à 300 exemplaires). « Il reste peut-être de petites coquilles, mais j’ai la fierté de faire quelque chose de A à Z », commente l’écrivain. Ses lecteurs peuvent passer commande par mail auprès d’elle, se procurer ses ouvrages sur des salons du livre ou dans le centre culturel d’un supermarché de La Rochelle.

Avec les lecteurs

Une relation particulière, qu’elle apprécie beaucoup, s’établit d’ailleurs avec eux : « Ils me donnent souvent leur avis, c’est très intéressant. Ce contact, c’est ce qui me plaît le plus ! D’ailleurs, l’écriture m’a permis d’aller davantage à la rencontre des gens. Quand je travaillais à Paris, je m’éclatais au travail, mais ma vie, c’était métro-boulot-dodo. À présent, grâce à mes livres, je n’ai pas fait fortune, mais j’ai une vie sociale beaucoup plus riche ! » Les ventes d’un ouvrage servent à financer l’impression du suivant. Le quatrième se prépare déjà, mais, pour l’instant, elle n’en révélera rien ! Écrire, confie-t-elle, lui fait « beaucoup de bien. Quand je m’installe devant mon ordinateur, les mots et les phrases me viennent très facilement en tête, je n’arrive plus à m’arrêter ! Cela me rend tellement heureuse que je ne vois pas passer le temps ! Malheureusement, je n’arrive pas à écrire autant que je le souhaiterais… » Car, même si elle adore son métier d’infirmière, Évelyne Thomas-Bayle serait ravie de devenir une auteure à temps plein…

MOMENTS CLÉS

1979 Obtient son DE à Saint-Étienne, et commence à travailler aux Bluets (Paris).

2005 Premiers signes de la maladie.

2010 Quitte Paris pour La Rochelle.

2011 Parution de Si je la retrouve, je la tue, premier roman.

2012 Parution de Fatale ressemblance.

2013 Parution d’Impitoyable métamorphose.

Contact : evelyne.bayle@wanadoo.fr

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