L'infirmière Magazine n° 334 du 01/12/2013

 

DOSSIER

L’ESSENTIEL

L’artériopathie oblitérante des membres inférieurs (Aomi) est, dans la plupart des cas, une manifestation de l’athérosclérose. C’est une maladie grave, en raison de la douleur, du handicap et du risque d’amputation direct, ainsi que de l’atteinte artérielle qu’elle révèle, associée à un risque cardio-vasculaire élevé. Les douleurs apparaissent au stade de la claudication intermittente et limitent le périmètre de marche du patient. Lorsque la maladie évolue au stade de l’ischémie permanente, la douleur devient constante. L’ulcère artériel est la principale complication cutanée de l’Aomi, à l’origine également d’une douleur récurrente. Les soignants doivent tenter de la soulager par un traitement antalgique efficace. Une antalgie supplémentaire préviendra et réduira la douleur liée aux soins. La prévention des accidents cardio-vasculaires (IDM, AVC) associe traitement médicamenteux et hygiène de vie.

1. LA MALADIE

Physiopathologie

L’artérite des membres inférieurs ou artériopathie oblitérante des membres inférieurs (Aomi) est, le plus souvent, une conséquence de l’athérosclérose, qui se caractérise par une perte d’élasticité des artères due à la sclérose (durcissement) engendrée par la formation de plaques d’athérome sur la face interne de la paroi artérielle. Dans l’Aomi, le rétrécissement du calibre des artères (artériosclérose) qui irriguent les membres inférieurs va de la plaque d’athérome rétrécissant la lumière artérielle (sténose) jusqu’à l’oblitération complète du vaisseau (thrombose).

Évolution de la maladie

L’Aomi est une maladie grave. Si son évolution n’est pas endiguée par un traitement et des mesures d’hygiène de vie strictement observées, elle entraîne des situations douloureuses et invalidantes pouvant nécessiter l’amputation. Elle réduit aussi considérablement l’espérance de vie.

Risque (cardio-vasculaire) généralisé

Après les artères coronaires et cérébrales, les artères des membres inférieurs sont la troisième localisation préférentielle de la maladie athéromateuse. Celle-ci n’étant généralement pas limitée aux artères des membres inférieurs, la survenue d’une Aomi doit être considérée comme le signal d’alarme d’un risque cardio-vasculaire élevé. Elle doit conduire à :

→ une recherche systématique d’autres lésions dues à l’athérosclérose : maladie coronaire, atteinte des artères du cerveau (en particulier carotidiennes), atteinte de l’aorte et/ou des artères du rein ;

→ un dépistage ou une réévaluation des facteurs de risque cardio-vasculaire associés.

2. LES SIGNES CLINIQUES

Ils dépendent de l’évolution de la maladie athéro-mateuse.

La claudication intermittente douloureuse

→ Physiopathologie : lorsqu’une ou plusieurs artères sont sténosées ou thrombosées, les muscles sollicités pendant la marche souffrent et deviennent douloureux par manque d’oxygène (ischémie d’effort).

→ Manifestation : la marche déclenche une douleur de type crampe douloureuse au niveau du mollet, de la cuisse ou de la fesse, en fonction du niveau de l’atteinte artérielle (voir schéma). La douleur oblige le malade à s’arrêter et disparaît quelques minutes plus tard. Elle réapparaît au bout de la même distance de marche, appelée « périmètre de marche? ». Plus l’Aomi est sévère, plus le périmètre de marche est réduit.

Douleur de décubitus

→ Physiopathologie : la douleur de l’ischémie permanente a une forte composante neurogène. Elle est interprétée par les spécialistes comme une ischémie des fibres nerveuses. Sa prise en charge est comparable à celle des douleurs neuropatiques (voir p.35).

→ Manifestation : la douleur ischémique, généralement intense et permanente, à type de brûlure, apparaît au niveau des orteils ou de l’avant-pied, habituellement quelques minutes à quelques heures après le coucher. La position allongée accentue la diminution de l’oxygénation distale du pied, déjà limitée par l’Aomi. La douleur est soulagée lorsque le patient se met debout ou lorsqu’il laisse pendre la jambe hors du lit (position en déclive du membre inférieur).

Les troubles trophiques

Au stade ultime de la maladie, les troubles trophiques sont typiquement des ulcères (voir Traitement des ulcères artériels p. 36) et des gangrènes. La gangrène apparaît le plus souvent à l’extrémité d’un orteil ou au talon. Elle peut s’étendre à tout l’avant-pied, voire à la jambe. On distingue :

- la gangrène sèche : les zones atteintes meurent, parce que le sang n’y parvient plus et qu’elles ne sont plus oxygénées ;

– la gangrène humide, mal limitée, due à une sur-infection d’une zone de gangrène sèche ou d’une plaie.

Le traitement de la gangrène nécessite l’ablation des tissus nécrosés par un acte chirurgical associé à une antibiothérapie. Par la suite, le traitement de la plaie ressemble au traitement de l’ulcère artériel. Comme pour l’ulcère, c’est un soin douloureux, qui nécessite l’utilisation d’antalgique à action rapide.

L’ischémie aiguë

Elle n’entre pas dans la classification de Leriche et Fontaine, qui est celle de l’artériopathie oblitérante chronique. L’ischémie aiguë peut survenir comme une crise sur une ischémie chronique en cas de thrombose (formation d’un caillot ou thrombus), mais elle est due, la plupart du temps, à la migration d’un embole d’origine cardiaque sur des artères fragiles (embolie). Son diagnostic est relativement aisé : la douleur brutale de début est associée à un refroidissement et à une pâleur du membre inférieur. Il n’y a plus de pouls capillaire.

Il faut intervenir rapidement : l’ischémie aiguë met en jeu la viabilité du membre concerné et impose une intervention de désobstruction dans les quelques heures afin de rétablir au plus vite la circulation (traitement antithrombotique par héparine à doses hypocoagulantes, thrombectomie chirurgicale…). Après la résolution de l’épisode aigu, le patient reste atteint d’artériopathie, au mieux asymptomatique.

3. LE DIAGNOSTIC

La mesure de l’IPS (index de pression systolique) est l’examen de référence pour évaluer la perfusion distale des membres inférieurs. Le stade de l’Aomi est repéré par les manifestations cliniques.

L’index de pression systolique

C’est le moyen le plus simple et le plus pertinent pour le diagnostic et la surveillance d’une Aomi. Il révèle le rapport entre la pression artérielle systolique (PAS) au niveau des membres inférieurs et au niveau des membres supérieurs (pression de cheville/pression humérale) :

– valeurs normales : comprises entre 0,90 et 1,30 ;

- un IPS < 0,90 fait le diagnostic d’une Aomi.

Normalement, la PAS est la même pour les membres inférieurs et supérieurs. L’IPS est alors égal à 1. Dans le cas d’une Aomi, le niveau de l’IPS reflète la sévérité de l’artériopathie. Il a aussi un rôle pronostique : plus il est bas, plus le retentissement de l’Aomi est grave et plus le risque de morbi-mortalité cardio-vasculaire est élevé. Au-dessus de 1,30, l’IPS témoigne d’artères incompressibles et constitue également un marqueur indépendant de risque cardio-vasculaire. La rigidité est due à une médiacalcose(1) des artères jambières, plus fréquente en cas de diabète, d’insuffisance rénale chronique terminale ou avec le grand âge. Au-dessus de 1,30, les critères d’IPS ne sont plus valables, et le diagnostic d’Aomi repose sur l’écho-Doppler.

Les signes cliniques

→ Depuis 1952, la classification de Leriche et Fontaine, deux chirurgiens français, distingue :

- le stade 1 : Aomi asymptomatique (aucun signe clinique, pas de douleurs) ;

- le stade 2 : douleur à la marche (claudication intermittente) ;

- le stade 3 : douleur au repos dans la journée ou, le plus souvent, la nuit, voire en permanence (ischémie permanente) ;

- le stade 4 : stade des troubles trophiques (gangrène ou ulcère).

→ Les spécialistes de l’Aomi soulèvent deux critiques vis-à-vis de la classification de Leriche et Fontaine, l’une du point de vue du pronostic, l’autre pour sa signification physiopathologique :

- pour une même atteinte artérielle, pour un même niveau de l’index de pression systolique, le pronostic pour le risque cardio-vasculaire est le même, que l’Aomi soit symptomatique ou pas ;

- la claudication intermittente varie avec la quantité d’effort fourni, les modalités de la marche, l’entraînement et le vécu du patient. Elle peut ne pas être révélée en cas d’activité physique insuffisante, de sédentarité, ou du fait de pathologies associées. « Il y a de plus en plus de gens sédentaires, qui ne marchent pas suffisamment pour que leur claudication soit démasquée. Pour ces personnes, le pronostic est pire, parce qu’elles ne marchent pas, ce qui aggrave le risque cardio-vasculaire, qui n’est pas pris en charge », fait remarquer le Pr Patrick Carpentier, chef du service de médecine vasculaire du CHU de Grenoble. La Haute Autorité de santé recommande un dépistage précoce de l’Aomi asymptomatique, par une évaluation clinique, et la mesure systématique de l’IPS chez tous les sujets à risque d’accident cardio-vasculaire (voir encadré p.32).

→ De plus en plus, une nouvelle classification est préférée par les spécialistes (celle de Leriche et Fontaine servant toujours de référence pour distinguer quatre stades cliniques de la maladie). Elle distingue deux situations :

– les Aomi avec ischémie d’effort, qui réunissent les stades 1 et 2 de Leriche et Fontaine (Aomi asymptomatique et claudication intermittente douloureuse) ;

- les Aomi avec ischémie permanente pour les stades 3 et 4 (douleur de décubitus et troubles trophiques).

À SAVOIR

Syndrome de Leriche

→ Typiquement, les troubles provoqués par une thrombose au niveau de l’aorte abdominale regroupent des douleurs dans les jambes lors de la marche et une impotence sexuelle chez l’homme.

On parle de ce syndrome pour toute insuffisance artérielle causant une instabilité de l’érection. Il apparaît à partir du stade 2, ou de façon isolée, en l’absence de claudication, surtout chez des sujets marchant peu.