L'infirmière Magazine n° 334 du 01/12/2013

 

ÉTHIQUE

JURIDIQUE

Un patient a droit à ce que sa vie privée ne soit pas dévoilée par l’établissement de santé qui le prend en charge, et à ce que sa dignité soit préservée.

Un homme de 46 ans est amené par le Samu au service des urgences d’un hôpital, le 15 avril 2010 à 0 h 40, en raison d’un malaise consécutif à la prise d’amphétamines. Il est somnolent après sa prise de sédatifs administrés par le personnel du Samu. Il est en sous-vêtements, n’a ni pièce d’identité, ni argent, ni téléphone portable. Peu après son arrivée, il est interrogé par l’infirmière d’accueil, puis pris en charge par l’interne de garde vers 2 h 00. Le compte rendu des urgences indique qu’à 8 h 07, la décision de non-admission est prise. La sœur aînée de cet homme vient le chercher aux urgences, qu’ils quittent à 17 h 00. Huit jours plus tard, le patient adresse un courriel au chef du service des affaires juridiques et droits du patient de l’hôpital pour, notamment, se plaindre des conditions de sa prise en charge.

La procédure

Après une tentative de médiation qui n’aboutit pas, le patient adresse une demande d’indemnisation à l’hôpital, qui la rejette. Il saisit le tribunal administratif d’une requête tendant à la condamnation de l’établissement à lui verser 30 000 euros en réparation des divers préjudices subis. Le tribunal rejette sa demande. Le patient interjette appel de ce jugement. Devant le tribunal, puis la cour, le patient précise que sa sœur aînée, prévenue de son admission aux urgences, a appelé ce service le matin du 15 avril 2010 pour prendre de ses nouvelles et savoir à quelle heure venir le chercher. Il lui a été répondu que son frère ne pouvait pas sortir avant la visite du psychiatre, prévue à 15 h 00. La sœur cadette du patient a, à son tour, contacté les urgences et s’est entretenue avec l’interne de garde. Le praticien a déclaré que ce dernier s’était adonné à des jeux sexuels malsains et avait absorbé des substances stupéfiantes. La sœur aînée, arrivée en début d’après-midi, a trouvé son frère en état de détresse, en sous-vêtements, ne s’étant vu proposer aucune nourriture. Elle a demandé des explications au médecin, qui l’a reçue en entretien et lui a décrit les conditions dans lesquelles son frère avait été admis aux urgences. Le patient a par ailleurs soutenu que le médecin avait voulu l’humilier en le laissant en sous-vêtements et en retardant sa sortie de l’hôpital. En effet, alors qu’il aurait pu partir vers 8 h 00, il a été retenu sans raison, son état de santé ne justifiant pas de consultation psychiatrique, sans que des vêtements décents lui soient proposés, sans avoir été nourri et sans qu’il lui soit permis de joindre sa sœur. L’hôpital n’a pas contesté les faits, et les propos tenus aux deux sœurs du patient n’ont pas été démentis. La cour relève que les informations délivrées par l’hôpital aux membres de la famille de l’intéressé sont d’ordre privé, et couvertes par le secret médical.

Les textes

→ Art. L1110-4 du Code de la santé publique : « Toute personne prise en charge par un professionnel, un établissement, un réseau de santé ou tout autre organisme participant à la prévention et aux soins a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant. » « (…) ce secret couvre l’ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel de santé, de tout membre du personnel de ces établissements ou organismes et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements ou organismes. Il s’impose à tout professionnel de santé, ainsi qu’à tous les professionnels intervenant dans le système de santé. »

→ Art. R4127-4 du Code de la santé publique :

« Le secret professionnel institué dans l’intérêt des patients s’impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi. Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l’exercice de sa profession, c’est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu ou compris. »

La cour indique que si l’hôpital peut invoquer la nécessité, pour le médecin, de recueillir des informations auprès des membres de la famille du patient ou de ses proches pour assurer la bonne prise en charge de celui-ci et vérifier que sa sortie pouvait intervenir dans de bonnes conditions, celle-ci ne pouvait toutefois l’autoriser à divulguer ce dont il avait eu connaissance, dans l’exercice de sa profession, concernant la vie privée de son patient.

La sanction

L’hôpital est condamné à verser 4 000 euros au patient (cour administrative d’appel de Paris du 4 avril 2013 n° 12PA02414).