PARENTS HANDICAPÉS
REPORTAGE
Créé à la force du poignet par Édith Thoueille, infirmière puéricultrice, le Service d’accompagnement à la parentalité des personnes en situation de handicap (SAPPH) a pour mission de faire aboutir, dans les meilleures conditions, le désir d’enfant de parents handicapés. Une structure unique en France.
Les grands bâtiments de la Fondation longent le boulevard Brune où passants, voitures, tramway vont et viennent. Passé la porte des locaux dans lesquels se niche le service dirigé par Édith Thoueille, une atmosphère enveloppante et énergique à la fois contraste avec l’austérité des façades extérieures en briques. Il est 9 heures, dans le bureau de Leïla Montflore, la secrétaire, le va-et-vient des membres de l’équipe accompagne le cliquetis des tasses qui se remplissent de café. Au bout du couloir, un labrador beige est allongé sur une couverture. Judith Halimi, sa maîtresse, est installée dans la salle de réunion ou d’accueil, c’est selon. Maquillée, vêtue de couleurs vives, la psychologue non voyante attend une maman tandis qu’Édith Thoueille et Martine Vermillard, puéricultrices, sont déjà lancées dans un échange dynamique, avant l’arrivée des futures mamans qu’elles accompagnent durant leur grossesse. Dans ce service médico-social, le SAPPH (Service d’accompagnement à la parentalité des personnes en situation de handicap), dont l’agrément d’ouverture a été accordé en août 2010, on ne parle pas de patients, mais de bénéficiaires. Depuis trente ans, Édith et Martine, les deux porteuses du projet, travaillent ensemble. Au tout début, toutes deux sont infirmières en milieu hospitalier. Elles se forment ensuite pour devenir puéricultrices. Édith se souvient de la fin des années 1980, lorsque des personnes malvoyantes lui étaient adressées. « “Je suis actuellement une mère aveugle qui va accoucher, puis-je te l’adresser à la consultation de PMI ?”, me disait-on. Et moi, je me demandais comment nous allions pouvoir lui apporter un accompagnement adapté. Depuis vingt ans maintenant, nous n’avons cessé de progresser dans notre combat pour faciliter la parentalité des personnes handicapées. » Après la liquidation judiciaire de l’IPP (Institut de puériculture et de périnatologie de Paris), en 2011, c’est la Fondation hospitalière Sainte-Marie
Il est 11 heures. Sous la fenêtre de la salle de consultation, lumineuse et équipée de matériel spécifique, se trouve une table à langer qui peut descendre et monter en fonction du handicap de la maman – pratique, notamment si elle est en fauteuil. La puéricultrice commence par faire un point : date d’accouchement prévue, échographie… « Vous pourriez faire découper les contours de l’échographie afin de garder une petite photo personnelle, rien que pour vous », suggère-t-elle à Wafae, maman non voyante. Celle-ci a accouché à l’Institut mutualiste Montsouris pour son premier enfant ; cette fois-ci, elle accouchera aux Bluets, établissement plus proche de chez elle. « Que souhaitez-vous que nous puissions revoir ensemble ? », interroge la puéricultrice. « Je voudrais me rafraîchir la mémoire sur les choses basiques : le change, le portage… », répond la jeune femme. « D’accord, on va travailler », acquièsce Édith. Celle-ci s’est beaucoup investie pour trouver du matériel adapté aux personnes en situation de handicap. Elle présente à Wafae une serviette papillon qui s’attache derrière la tête grâce à un scratch. Le coin qui pend comporte une capuche pour le bébé, que la maman doit rabattre sur sa petite tête avant de l’entourer du reste de la serviette et de le caler ensuite contre elle. Wafae touche l’objet et l’attache elle-même autour de son cou. « Je suis séduite », s’enthousiasme-t-elle tout de suite. « Tu l’achèteras sur Internet, c’est facile et peu onéreux », continue la puéricultrice. Puis, elle lui propose de lui prêter une baignoire sur pied. Viennent ensuite les exercices pratiques à l’aide d’un baigneur qui a le poids et la taille d’un vrai bébé. Édith prend le poupon et les mains de la future maman, la guide et lui explique les astuces et les gestes à suivre. Des gestes simples, pratiques, sécurisés, exécutés dans un esprit de plaisir et de douceur. Elle entoure la maman, leurs mains s’entremêlent, elles ne font qu’une. Et la transmission se fait. La séance prend du temps. Le temps de bien assimiler. « Si jamais vous étiez assise pour lui changer sa couche, positionnez votre bébé sur un plan incliné, il a besoin de voir votre visage », prévient la soignante. Elle lui indique comment organiser des petits plateaux avant de commencer le soin, lui suggère de privilégier des dosettes de formes différentes pour ne pas confondre les produits – sérum physiologique, éosine –, lui montre comment enfiler une petite chaussette préalablement pliée en deux. « Ces petits trucs stratégiques, ça sert bien ! », reconnaît Wafae. « C’est un truc de grand-mère ! », lui avoue Édith en riant.
Un peu plus tard, Malika Bendjelal, éducatrice de jeunes enfants, est en rendez-vous avec Amina, non-voyante. Elles adaptent un livre, Margot l’escargot, afin de le rendre accessible et qu’elle puisse guider son enfant de 4 ans dans la lecture. Elles ont gravé des mots repères sur des bandes adhésives transparentes avec une tablette à poinçon en braille. À chaque page, l’éducatrice va coller le mot sur l’objet, le personnage auquel il correspond : maman, mer déchaînée, escargot… L’objectif est de faciliter la préparation à l’école maternelle?, où s’appréhendent la lecture et l’écriture. « Nous pouvons nous appuyer sur toutes sortes de techniques et d’astuces pour pouvoir nous occuper de nos enfants, développe Amina. Devenir des mamans, et que les enfants n’aient pas de retard par rapport aux autres. » L’éthique du service repose sur une valeur essentielle : la transmission de confiance. L’accompagnement au long cours, très technique, intègre non seulement la puériculture, mais également la psychologie, la sociologie. La spécificité des trois psychologues qui travaillent dans le service est leur bonne connaissance du handicap. Elles créent du lien, facilitent la prise en charge. « Certains patients se sentent plus à l’aise du fait que je sois non-voyante, explique Judith, qui reçoit également des patients dans un cabinet en ville. L’écoute du thérapeute peut changer la manière dont le patient se livre. » À ses côtés, Drina Candilis-Huisman, maître de conférence à l’université Paris-Diderot et psychothérapeute, est impliquée depuis les prémices du service. Si un rendez-vous avec un bénéficiaire est pris, l’entretien est individuel. Si la maman habite trop loin, ce sera un rendez-vous téléphonique. « Une maman qui attend un bébé, c’est un événement qui fait resurgir toutes sortes de questionnements, de ressentis, notamment sur les fragilités liées au handicap, poursuit la psychologue. Il faut rassurer. Des mamans déficientes visuelles ou handicapées physiques, il y en a eu, il y en a, il y en aura encore. »
Rassurer. C’est aussi l’objectif de Béatrice Idiard-Chamois, la sage-femme de l’équipe (à mi-temps), qui a elle-même ouvert la première consultation Handicap et parentalité à l’Institut mutualiste Montsouris (IMM), en 2006. Paraplégique et mère, elle y reçoit, en lien avec le SAPPH, des femmes en situation de handicap (dont une forte majorité en situation de handicap moteur) pour la consultation anténatale, l’accouchement et son suivi. L’accompagnement qu’elle propose comprend une consultation préconceptionnelle, un suivi complet de la grossesse, des cours de préparation à la naissance et une aide pour les démarches administratives. Énergique et motivée, elle accueille dans sa consultation de l’IMM Fatima, 27 ans, infirme moteur cérébral (IMC) depuis la naissance, enceinte de sept mois. Ses contractions ont augmenté et, de fait, les spasmes aussi, ce qui la fait beaucoup souffrir puisqu’elle est confinée dans son fauteuil roulant. Nicolas, son mari, est à ses côtés, mais il a du mal à la rassurer. Il a arrêté de travailler pour pouvoir l’accompagner durant sa grossesse et les premiers mois de vie de leur enfant. « Je me suis dit que c’était pour une année, pour l’aider », dit-il. Elle rétorque : « Six mois, ça ira. Après, je pourrai me débrouiller. » Un point est effectué pour le jour de l’accouchement, puis le retour à la maison : lit avec des barrières, fauteuil avec accoudoirs, mise en place de relais, d’aides… Chaque détail avant, pendant et après l’accouchement est abordé. Tout est de l’ordre du détail.
Même si le département mère-enfant de l’IMM dispose de locaux et de matériel adaptés aux personnes en situation de handicap moteur (table de gynécologie électrique pour les transferts depuis le fauteuil, chambre adaptée) et visuel, l’important est de faire le lien avec l’équipe à la maternité. « Ici, à l’hôpital, je prends en charge la pathologie de la maman. Mais, j’envoie mes patientes au SAPPH pour tout ce qui concerne le bébé », explique la sage-femme. C’est, en effet, dans le service médico-social que la connaissance exacte du handicap sous toutes ses formes permettra d’adapter le mieux possible la prise en charge de tout ce qui touche à la périnatalité. Le SAPPH a d’ailleurs noué des partenariats avec d’autres maternités – Hôpital de la Pitié-Salpetrière, Hôpital Pierre-Rouques « Les Bluets » – afin d’offrir la possibilité d’un accompagnement adapté et des techniques particulières de procréation. Les précautions à prendre lors de l’accouchement de certaines mamans sont en effet importantes, et mises en place au cas par cas, car les dangers sont multiples (infections urinaires, danger pour la moelle épinière, spasticité plus importante, risque de mortalité…). Avant cela, l’équipe du SAPPH
1- Le pôle Enfance de la Fondation hospitalière Sainte-Marie regroupe, à ce jour, trois structures médico-sociales issues de la reprise des activités de l’IPP : le Centre d’action médico-sociale précoce (CAMSP), le Centre de protection maternelle et infantile (PMI), et, notamment, le SAPPH
2- L’équipe est constituée de deux puéricultrices, de trois psychologues, d’une sage-femme handicapée moteur, d’une éducatrice de jeunes enfants, de deux bénévoles, d’une secrétaire et bientôt d’une pédiatre.