L'infirmière Magazine n° 337 du 15/01/2014

 

ÉTHIQUE

ACTUALITÉ

DU CÔTÉ DES… COLLOQUES

SANDRA MIGNOT  

Collégialité, discussion éthique, temps de réflexion et recueil des vœux du patient ou de ses proches se confrontent à la réalité de la prise de décision médicale.

Réanimer ? Ne pas réanimer ? Poursuivre les soins malgré les séquelles appréhendées, ou les arrêter ? Annoncer brutalement un décès ou retarder l’annonce pour mieux aménager l’instant ? La décision médicale était l’objet d’un colloque, organisé en décembre à la Fondation Adolphe de Rothschild par l’Espace éthique de la région Ile-de-France. Les situations complexes au cours desquelles l’intervention médicale peut faire la différence sont nombreuses. Sophie Crozier, neurologue au CHU de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP, Paris), a évoqué les décisions d’arrêt de traitement après un AVC : « Cette affection est la première cause de handicap acquis chez l’adulte ; nous savons que la moitié des patients conserveront des séquelles plus ou moins sévères, a-t-elle souligné. Pour autant, comment savoir jusqu’où aller dans la prise en charge ? »

Engagement

Aucune étude n’a été publiée sur la mortalité directe liée à l’AVC. « En revanche, nous savons que 80 % des patients victimes d’une hémorragie cérébrale qui décèdent meurent d’une limitation des actions thérapeutiques », poursuit la neurologue. Le seul facteur pronostic serait donc l’engagement thérapeutique, qui dépend des prédictions de survie réalisées par les médecins. « Sur quels éléments nous basons-nous ?, interroge la spécialiste. La personnalité du médecin intervient ; les habitudes du service et son niveau d’équipement (inversement corrélé à la fréquence des gestes invasifs), mais aussi l’évaluation de la qualité de vie avec un handicap – non encore connu – sont autant de notions éminemment subjectives. » Les directives anticipées ou la désignation par le patient d’une personne de confiance, rendues possibles en 2005 par la loi Leonetti, sont rarement élaborées par les patients non chroniques. « Même en gériatrie, ces démarches ne sont pas entreprises, explique Véronique Lefebvre des Noettes, psychiatre au CH Émile-Roux (AP-HP, Limeil-Brévannes). Sur 1 000 patients, nous n’avons aucune directive anticipée rédigée et seulement six personnes de confiance désignées. » Enfin, la décision médicale est également prise dans un contexte : l’accident de santé exceptionnel, la notion d’urgence. « Pourtant, prendre le temps est souvent possible, même dans notre service, remarque Aline Santin, urgentiste au GH Paris Centre (AP-HP). La collégialité ne peut pas être mise en place rapidement, mais prendre un avis médical supplémentaire, s’informer auprès des proches est souvent possible. »

Et, rétrospectivement, les actions de type revue de morbi-mortalité permettent aux professionnels d’enrichir leur apprentissage. Le fonctionnement habituel du service, voire le contexte actuel des métiers du soin, jouent également un rôle sur la prise de décision. « La souffrance des soignants est un phénomène actuellement reconnu, explique Aymeric Reyre, psychiatre à l’hôpital Avicenne (AP-HP, Bobigny). L’une des hypothèses consiste à la relier à la perte du sens collectif du soin, à l’empiètement des tâches gestionnaires sur le travailler ensemble, mais aussi à l’abolition des notions de hiérarchie. » Alors qu’un mode de décision de plus en plus collégial s’est mis en place au sein de l’hôpital (particulièrement en psychiatrie, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale), on assiste à une dispersion de la responsabilité qui aboutit à un sentiment de culpabilité diffus.

« L’aménagement d’espaces de discussion dans les équipes apporte quelque chose au travail collectif, mais ne rassure pas les professionnels », souligne le psychiatre, qui propose des pistes pour aider les équipes en souffrance. « Il convient de renommer les valeurs communes, de restituer les tâches propres à chacun, de différencier et valoriser la valeur de l’expérience et la fonction du leader. Bref, il faut tenter de reproduire de la différence, redonner de la conflictualité (par opposition à la recherche de consensus). Sans violence. »