Madame H., 88 ans, est hébergée dans un Ephad. Atteinte de pathologies diverses liées à l’âge, elle souffre notamment d’un cancer du sein évolué avec metastases osseuses. La situation clinique et sa vulnérabilité ne laissent guère d’autre option thérapeutique que palliative. Le médecin lui prescrit donc depuis deux mois de la morphine par voie orale. Face à l’augmentation des douleurs, osseuses en particulier, il a récemment revu à la hausse la posologie quotidienne de morphine (Skénan LP 60 mg × 2/j) et a prescrit également des interdoses (Actiskénan 10 mg) administrées si besoin avant les soins et la mobilisation pour l’habillage.
Les soignants évaluent le transit quotidiennement et réalisent une surveillance clinique étroite de la patiente. La prescription de Forlax (3×/j), d’huile de paraffine (Lansoyl 2×/j) et l’hydratation au moyen de jus de pruneau apporté par la fille de la patiente ont permis jusqu’à présent de maintenir une exonération aussi satisfaisante que possible, avec une selle tous les 2 ou 3 jours.
Deux semaines après l’adaptation du traitement opiacé, constat est fait que Mme H. n’a pu parvenir à s’exonérer depuis six jours. Elle ne quitte pas le fauteuil ou le lit, mange très peu, boit insuffisamment. Agitée, elle se plaint de douleurs coliques et de nausées. Le traitement laxatif habituel ne semble plus produire son effet.
Les signes dont se plaint la patiente sont évocateurs d’une occlusion iatrogène. Ils associent à des degrés divers : nausées, vomissements, inconfort abdominal avec météorisme et, bien entendu, constipation.
L’occlusion résulte de l’accumulation des matières fécales deshydratées dans le rectum (fécalome). Souvent douloureuse, elle peut gagner le colon.
L’évolution propre de la maladie et la fin de vie qui approche expliquent cette rapide aggravation de la stase fécale intestinale. En effet, il n’est pas démontré qu’il existe une corrélation entre la dose de morphine et la constitution d’un fécalome : cet effet peut s’observer avec de faibles doses d’opiacé.
L’équipe soignante doit donc mettre en oeuvre de nouvelles techniques pour faciliter l’exonération chez cette patiente.
Symptôme fréquent en soins palliatifs, la constipation y concerne entre 50 % et 95 % des patients. Un patient est dit constipé s’il émet moins de trois selles spontanées par semaine, et présente d’autres symptômes : sensation d’exonération incomplète, efforts de défécation, petites selles en forme de billes.
Si elle peut résulter d’une obstruction intestinale liée à l’évolution d’un cancer digestif ou gynécologique, ou de la constitution d’un fécalome (accumulation de matière fécale déshydratée emplissant l’intestin à partir du rectum), elle a généralement une étiologie iatrogène.
Une constipation iatrogène banale peut résulter de l’administration de médicaments divers : anticholinergiques, quelle qu’en soit la famille thérapeutique (phénothiazines, antidépresseurs tricycliques, antiparkinsoniens, antispasmodiques…) ; antiacides gastriques à base de calcium ou d’aluminium ; antihypertenseurs (inhibiteurs calciques), diurétiques, fer.
Surtout, une constipation accompagne de façon quasi constante la prise de médicaments opioïdes. Le tramadol, un antalgique de palier II, agit pharmacologiquement comme la morphine et peut induire une constipation. Elle est d’intensité variable selon la molécule considérée.
Il s’agit d’un effet de classe lié essentiellement à :
- la stimulation des récepteurs aux opiacés périphériques du tube digestif (suppression du péristaltisme intestinal, au niveau du grêle comme du côlon) ;
- l’inhibition du relâchement du sphincter anal interne accompagnant l’exonération ;
- la diminution de la sensibilité ano-rectale à la présence de selles. Cet effet n’est pas dose-dépendant et n’entraîne pas d’accoutumance.
Par ailleurs, les opioïdes injectés ou administrés par voie transmuqueuse ou transcutanée sont également à l’origine d’une constipation. Certaines études suggèrent toutefois que le fentanyl transdermique ou transcutané expose moins à ce risque.
La prise en charge d’une constipation est indispensable, même si le patient ne mange quasiment plus : le tube digestif sécrète du mucus et produit des déchets cellulaires dont l’accumulation peut entraîner des troubles spécifiques. Multidisciplinaire, le suivi implique médecin, infirmière, aide-soignante, diététicienne, kinésithérapeute. Strictement personnel, il est régulièrement adapté à l’évolution de la constipation.
La constipation étant inéluctable sous opioïde, il faut limiter son installation sitôt le traitement commencé :
- adapter l’alimentation (voir encadré ci-contre) et l’hydratation ;
- essayer d’obtenir une défécation à horaire régulier (après l’un des repas notamment) ;
- respecter l’intimité du patient lors de l’exonération, même si elle prend beaucoup de temps ;
- mettre le patient au fauteuil s’il n’est pas possible de le verticaliser totalement ;
- tenter de maintenir une activité physique favorisant l’exonération (marche, exercices respiratoires, travail diaphragmatique) ;
- poser les pieds du patient sur un marchepied (ou une pile de livres ou de journaux) pour améliorer la progression des selles en augmentant la pression intraabdominale ;
- masser le cadre colique (kinésithérapie).
La prescription d’un traitement laxatif préventif est indispensable.
- Les laxatifs osmotiques (Duphalac, Forlax…) et les laxatifs de lest (Spagulax, Transilane…) sont privilégiés car ils constituent un excellent compromis entre efficacité et tolérance.
- Les laxatifs lubrifiants, efficaces et bien tolérés, exposent à un risque de suintement anal et de capture des vitamines liposolubles (huile de paraffine type Lansoyl, huile de vaseline).
- Le recours à un laxatif stimulant (Sénokot…), agressif pour la muqueuse intestinale, reste exceptionnel.
- Les laxatifs d’administration rectale constituent un recours de deuxième ligne.
Il est possible de prescrire une bithérapie laxative.
Certains médicaments parasympathomimétiques dits péristaltogènes favorisent le transit intestinal : pyridostigmine (Mestinon) et néostigmine (Prostigmine injectable, hors AMM).
Face à une constipation installée, il faut en premier lieu éliminer un fécalome ou une obstruction intestinale mécanique ou paralytique complète relevant d’un traitement spécifique. Le traitement laxatif oral est majoré (dose, bithérapie) et souvent potentialisé par l’administration d’une forme rectale (suppositoire à la glycérine notamment). Une constipation opiniâtre justifie la prescription de solutés pour lavage colique. Un antagoniste morphinique, la méthylnaltrexone, bénéficie d’une indication dans le traitement de la constipation liée aux opioïdes chez le patient relevant de soins palliatifs, lorsque la réponse aux laxatifs habituels reste insuffisante. Il agit chez 50 % des patients en 4 heures sans réduction de l’effet antalgique. Ce médicament traverse très peu la barrière hémato-encéphalique.
La mise en évidence d’un fécalome peut imposer son extraction manuelle. Elle est facilitée par l’application d’un anesthésique local (Xylocaïne gel 2 %) sur la muqueuse anale et intrarectale ainsi que par d’éventuels soins locaux anti-hémorroïdaires.
Des situations difficiles font recommander l’administration de midazolam en SC une dizaine de minutes avant l’extraction (patient algique ou agité). Le bénéfice de cette intervention est mis en balance avec son inconfort chez un sujet en fin de vie.
Plusieurs conseils diététiques sont utiles :
> Hydratation : elle ne joue de rôle dans la constipation que chez un patient… déshydraté. Il est important de boire suffisamment pendant et entre les repas. Privilégier, sauf contre-indication, les eaux fortement minéralisées (Hépar, Rozana.).
> Apports de graisses : les huiles favorisent la progression des selles (une cuillère d’huile d’olive le matin à jeun…), mais les graisses abondent aussi dans les fruits oléagineux. Penser à consommer de la crème fraîche, du beurre, de la mayonnaise ou des crèmes glacées (apportant eau et graisse).
> Apports de fibres : elles se trouvent dans les fruits et les légumes, crus ou cuits. Penser à grignoter des fruits secs pendant la journée et à consommer des céréales complètes. Les légumes secs apportent des fibres mais sont parfois mal tolérés. Il existe de nombreux compléments alimentaires contenant des fibres, voire enrichis en fibres (ex : Ressource 2.0 Fibre, Clinutren 1.5 Fibre, Fresubin Energie Fibre Drink).
> Stimulants du transit : boire un verre d’eau glacée le matin à jeun accélère le péristaltisme intestinal. Les produits laitiers contribuent à stimuler le transit. De nombreux fruits présentent des propriétés laxatives intrinsèques, liées à leur teneur en sorbitol ou en composés stimulant doucement le péristaltisme intestinal : pruneaux ramollis, kiwis et autres fruits à petites graines (fraises, framboises, myrtilles, figues). Ne pas négliger les purées de fruits enrichies d’un laxatif doux (ex : Ressource Prunogil, Ressource Rhubagil…). Enfin, il existe des préparations de fibres végétales en poudre (ex : Stimulance, Fibreline…).