« Un soin est une relation contractuelle » - L'Infirmière Magazine n° 337 du 15/01/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 337 du 15/01/2014

 

INTERVIEW : ME GILLES DEVERS, AVOCAT AU BARREAU DE LYON

DOSSIER

MARJOLAINE DIHL  

Me Gilles Devers a également exercé le métier d’infirmier hospitalier. Il rappelle l’importance de la recherche du consen­tement de la part des soignantes, pour les actes dont elles ont la charge.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Quand considère-t-on qu’un soignant se trouve dans la toute-puissance ou la surpuissance ?

ME GILLES DEVERS : Sur le plan juridique, on interprète cette question sous deux angles différents : le consentement du patient ou les libertés individuelles. La première notion porte directement sur le soin. La seconde, davantage sur des situations où l’on observerait un abus ou un excès de pouvoir. En général, lorsque l’on attaque la décision d’un directeur ou un arrêté préfectoral, par exemple, on va en contentieux. Cela dit, tout acte de soin qui serait pratiqué sans consentement constitue, manifestement, un abus de pouvoir. On en a des tiroirs pleins ! La règle consiste à ne rien imposer au patient, sauf si ce dernier n’est pas en mesure de raisonner ou s’il y a un caractère d’urgence. Sinon, tout soin imposé traduit une faute disciplinaire, qui engage la responsabilité.

L’I. M. : Quelles situations peuvent sembler litigieuses ?

ME G. D. : Tout acte de soin doit être précédé de la recherche de consentement. Cela commence par la toilette ou des prises de sang. Si l’infirmière ne prend pas le temps d’expliquer ce qu’elle va faire, il y a défaut de consentement. Il en est de même pour des traitements donnés avec une forte incitation, sans fournir d’explication, alors que le patient est réticent. De même, la liberté du patient doit être préservée. Dans le fonctionnement hospitalier, toutes les atteintes à la liberté constituent des abus de pouvoir. Il peut s’agir de portes fermées, de pyjamas systématiques en psychiatrie, en gérontologie ou en pédiatrie. On peut également s’interroger sur la surveillance dans les chambres d’isolement, où des caméras sont parfois installées, sur celle des courriers, ou encore sur l’interdiction de relations sexuelles à l’intérieur de l’hôpital.

L’I. M. : Dans quels cas la justice intervient-elle ?

ME G. D. : ll y a beaucoup de fautes ou de dérapages concernant le droit fondamental du patient à sa liberté. Voilà pourquoi toute une réflexion est menée sur le refus de soins, quand la personne est en fin de vie ou si elle a une culture différente. Mais cela n’aboutit pas forcément à des procédures contentieuses. Pour qu’un procès ait lieu, il faut qu’une faute ait été commise mais aussi qu’elle ait laissé des séquelles. Une personne que l’on aurait obligée à rester en pyjama pendant trois jours ne va pas se lancer dans un procès…

L’I. M. : Quelles fautes ont pu conduire à des sanctions judiciaires ?

ME G. D. : La cour d’appel de Bordeaux s’est prononcée sur la surveillance de la correspondance dans une unité pour malades difficiles (UMD). Récemment, elle a condamné l’interdiction de relations sexuelles. Le règlement intérieur de l’établissement en cause a été annulé. En somme, les fautes les plus graves concernent tout ce qui a trait aux libertés individuelles.

On peut limiter toutes ces libertés, mais cela doit se faire en fonction de ce qui est indispensable pour les besoins du service et la nécessité thérapeutique. Si l’on dépasse cette proportion, on se trouve dans l’abus de pouvoir.

L’I. M. : Quand le juge estime-t-il qu’il y a défaut de consentement ?

ME G. D. : Pourquoi parle-t-on de consentement ? Parce qu’un soin est, en fait, une relation contractuelle. Pour qu’il ait lieu, il faut qu’il y ait accord. En général, la justice se penche sur le domaine médical. Un défaut de consentement est considéré comme tel lorsque cela a modifié la décision prise par le patient. Je pense, par exemple, au cas d’une cliente ayant subi une opération du pied qui s’est révélée malheureuse. La patiente a accepté l’intervention suite à un examen médical rapide d’un quart d’heure, au terme duquel le médecin a proposé cette opération. Si elle avait disposé d’une information suffisante, elle n’aurait pas pris cette décision.

L’I. M. : Qu’en est-il des actes infirmiers ?

ME G. D. : Ils ont des conséquences moins importantes. C’est pourquoi ils suscitent moins couramment des recours. Le patient peut dire que l’infirmière a été un peu brutale dans la relation ou qu’il a été sous-informé. Mais, de là à trouver un dommage consécutif qui soit suffisamment important pour former un recours… Ce n’est pas dans les pratiques à ce jour. C’est plutôt aux équipes de faire l’effort, elles-mêmes, sans avoir peur du procès, de s’assurer qu’elles respectent le souhait du patient. Le fait que l’infirmière agisse sur prescription du médecin – qui a dû lui-même rechercher le consentement du patient – ne la libère pas de cette obligation. Elle doit, en effet, recueillir le consentement pour tout acte qui la concerne.

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