« Lors d’un reportage, j’entends une jeune infirmière qui, ayant bien assimilé la leçon, déclare que “l’affect nuit au travail” et perturbe les soins qu’elle peut apporter aux malades. On est en plein cauchemar, mais personne ne réplique : ce comportement est la norme. La tendresse parasite les soins médicaux et les gestes techniques. Pour un peu, elle empêcherait la guérison ! C’est à hurler, c’est à vomir, mais personne ou presque ne bronche : tous endoctrinés, anesthésiés, consentants.
C’est ainsi que, mine de rien et avec le soutien de presque tous, on assiste en ce moment à un génocide sans précédent. Celui-ci ne touche pas tel ou tel peuple, mais l’humanité en son entier. » Cette réaction, légitime, de Jacqueline Kelen (1) m’interroge sur la façon dont la relation soignant-soigné est enseignée en Ifsi. L’empathie, très à la mode, est expliquée en référence, notamment, aux travaux de Carl Rogers. Pierre angulaire de la relation, elle est un mode profond de connaissance et de compréhension de l’autre. Il s’agit de faire un mouvement vers celui qui souffre, tout en recevant aussi ses émotions sans que celles-ci nous bouleversent démesurément. Cette théorie, qui peut paraître froide, ne doit pas effacer l’attention, la gentillesse, la bienveillance, l’affabilité… Bref, la sensibilité ! « Tous peuvent entendre, mais seuls les êtres sensibles comprennent », affirmait le poète libanais Khalil Gibran. L’empathie démontre combien l’humain s’accroche à un fil invisible qui l’unit à ses semblables, de sorte qu’il trouvera toujours quelqu’un pour l’aider. Est-ce un mirage ? Peut-être. En tout cas, pour le professionnel infirmier, il s’agit bien d’être à une juste proximité, tout en gardant son intégrité, et de ne pas avoir peur d’être relié à l’autre ou d’être touché. D’où l’intérêt de bien se connaître soi-même.
1- Impatience de l’Absolu. Face au genre inhumain, Éd. La Table ronde, Paris 2012.