Décrié dans les services, le nouveau référentiel de la formation infirmière mérite-t-il tant d’animosité ? Entre la réduction du nombre de stages et les lacunes en matière de tutorat, il accompagne néanmoins les métamorphoses du système de santé.
Les anecdotes croustillantes ne manquent pas. Piquée au milieu de bien des témoignages, celle confiée par Gaëlle Durand, infirmière à Digne (05), au sujet de sa dernière année de travail dans l’hôpital de sa commune, en service de médecine interne, a de quoi laisser perplexe… « On avait eu une stagiaire dont le cursus était sur la nouvelle réforme, se souvient-elle. Elle était en 2e année, elle n’avait encore jamais fait un seul soin infirmier ! Elle ne savait pas faire une prise de sang, ni une pose de perfusion, ni un pansement. »
En cause, la réduction du nombre de stages par rapport à ce qui avait cours auparavant. « Les étudiants en soins infirmiers sont souvent considérés comme des boulets. Il ne faut pas oublier que nous n’avons que sept stages de dix semaines, plaide Karina Grand, présidente de la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (Fnesi). Cela réduit le nombre d’endroits où l’on peut se former, et donc, aussi, le nombre de techniques de soins que l’on a l’occasion d’utiliser. » Voilà pourquoi sa fédération a élaboré une campagne destinée à dénoncer le harcèlement moral subi par les étudiantes lorsqu’elles sont en stage. « Il ne s’agit pas de stigmatiser les infirmières, déclare Karina Grand. Ce n’est pas de leur faute ou celle de la réforme, mais de sa mise en place. Les professionnels en poste n’ont pas le temps de s’occuper des étudiantes. » Le manque de pratique « dépend des étudiantes et de leurs parcours, nuance Céline Pierre Émery, cadre de santé et formatrice à l’Ifsi du centre hospitalier de Vierzon. Nous aussi, quand nous sommes sorties du DE, il y a des soins que nous n’avions pas faits ! Avec la nouvelle réforme, il faut une certaine autonomie. Or, certains n’en sont pas capables… » Cette aptitude s’avère particulièrement nécessaire aujourd’hui, étant donné que les connaissances que les étudiantes doivent acquérir ne se trouvent plus toutes dans leurs cours. « Quand j’ai passé l’écrit, on nous demandait de connaître par cœur tout un tas de savoirs de base, en pharmaco ou dans le domaine de la transfusion sanguine par exemple. C’est une question de sécurité, prévient Bénédicte d’Hendecourt, infirmière à l’Institut Curie. Je pense qu’on verra de plus en plus d’erreurs, parce qu’on retrouve ce même phénomène chez les jeunes générations de médecins. Toutes les erreurs ne pourront pas être rattrapées… »
Pas question, pour cette infirmière diplômée d’État depuis plus de dix ans, de tomber dans le discours de type « c’était mieux avant ». Mais elle s’interroge sur la tendance actuelle « à valoriser la recherche au détriment du reste ». À travers un bilan national sur le diplôme d’État d’infirmier, paru en juin 2013, la DGOS reconnaît également « des difficultés persistantes au niveau des stages ». Elle pointe notamment des capacités d’accueil en stage insuffisantes et un manque de professionnels formés au tutorat. « Il y a tellement peu de places que, parfois, durant les périodes de stage, on se retrouve avec dix étudiants, raconte Céline Pierre Émery. Ce sont des BEP sanitaire et social, des aides-soignantes, des infirmières de différents Ifsi. Les quotas ont augmenté, mais, sur le terrain, ça ne suit pas ! On ne peut pas bouder les lieux de stage. Et si l’étudiante se retrouve en crèche – ça arrive – ce sont dix semaines fichues. À moins de vouloir s’orienter vers une carrière de puéricultrice… » Autant dire que, pour être en mesure d’apprendre les aspects pratiques du métier durant ces périodes, l’étudiante a tout intérêt à se montrer dégourdie et motivée.
Certes, de l’avis d’Alain Murez, président de la FFAAIR (Fédération française des associations et amicales de malades ou handicapés insuffisants respiratoires), les plus jeunes « ont peut-être un manque de métier. Mais c’est valable dans toutes les professions. Tout s’apprend. Plus on en fait, plus on devient compétent dans la matière. Sinon il faut changer de métier ». Même indulgence de la part d’Annyck Wostyn, infirmière libérale dans la Drôme (26), aujourd’hui à la retraite : « Nous avons certainement des choses à apprendre les unes des autres, concède-t-elle. Par exemple, les jeunes sont plus rigoureuses dans la tenue des dossiers. Même si nous nous sommes efforcées de l’être, c’est plus facile avec les technologies modernes. Cela dit, il ne faut pas que ça prime sur le reste. Les jeunes doivent, quant à elles, apprendre à relativiser, à voir la personne dans sa globalité. » Pour parvenir à ce dialogue, « il faut que chacun fasse un petit effort, suggère Bénédicte d’Hendecourt. C’est une question de bonne volonté de part et d’autre. » « On nous répète à longueur de temps “vous n’avez plus de mise en situation professionnelle”, soupire Karina Durand. Mais nous sommes sous pression tous les jours puisque chaque acte que nous faisons est considéré comme une MSP ! »
De quoi révéler l’incompréhension qui plane autour de la réforme de 2009. « Ce référentiel est une base orientée sur la capacité d’apprendre à apprendre et sur la réflexivité plutôt qu’un savoir qu’il suffirait d’appliquer, explique Gilles Brest, directeur de l’Ifsi de Digne (04). C’est ce qui interroge les anciens professionnels. On est passé d’un système magistral à une forme d’apprentissage où l’étudiant est beaucoup plus dynamique. » Sur le terrain, les IDE sont, de fait, amenées à revoir leur copie. À commencer par la façon dont elles reçoivent les étudiants en stage. « Jusqu’à présent, les Ifsi étaient les garants des pratiques à travers les évaluations, les mises en situation professionnelle, détaille Ange-Dominique Secondi, vice-présidente du Comité d'entente des formations infirmières et cadres (Cefiec). Or, cette responsabilité a basculé du côté des professionnels de terrain. » Gilles Brest, directeur de l’Ifsi de Digne-les-Bains (04), précise : « Les modalités du nouveau référentiel permettent aux étudiants de rester actifs, de faire face à l’accélération de l’apport de nouveaux savoirs. On suppose que, grâce à cela, ils seront plus réactifs dans l’avenir. »
→ Dans la revue Sciences croisées
→ Puis, six programmes se succèdent. Selon la chercheuse, ceux de 1951 et de 1961 développent le profil d'une IDE technicienne, dominé par un versant humaniste. Les programmes de 1978 et 1992 montrent une volonté d’en faire une professionnelle apte à prendre en charge le patient dans sa globalité. Depuis 2009, la formation se concentre sur les compétences, et non plus sur la réalisation de tâches. Selon V. Roman-Ramos, cet « enrichissement tient compte du progrès médical, de l'avancée des technologies et des savoirs scientifiques ».
1- N° 9 – A lire sur www.sciences-croisees.com