L'infirmière Magazine n° 341 du 15/03/2014

 

L’ARANTÈLE

SUR LE TERRAIN

INITIATIVE

JEAN-MICHEL DELAGE  

À l’Arantèle, hôpital de jour à médiation culturelle et artistique, des patients ont réalisé un livre sur le thème de la Loire. Écriture, aquarelle et photographie… Un travail inspiré par le fleuve qui coule au pied de l’institution.

Sur les bords de la Loire, près du village de Sainte-Gemmes-sur-Loire (49), un petit grou­pe d’hommes et de femmes trépignent dans le froid pendant qu’un des leurs s’affaire derrière un appareil photo posé sur un tripode. Face au fleuve, Antoine tente de retrouver le même cadrage que celui réalisé trois mois plus tôt. Mais le paysage a changé. La Loire a pris de l’ampleur, recouvrant les rives. La végétation aussi s’est transformée. Mais Antoine réussit à se repérer face à cette nature mouvante. C’est la quatrième fois – et la dernière – que son petit groupe et lui viennent photographier ce bout de Loire, dans le cadre d’un atelier artistique. Un cliché pour chaque saison.

Depuis près de trois ans, une douzaine de patients se sont engagés dans un travail de création autour de ce fleuve. L’Arantèle, hôpital de jour à médiation culturelle et artistique, qui dépend du Cesame (Centre de santé mentale angevin), a été ouvert en 2004 à l’initiative du Dr Desormeaux, médecin psychiatre. L’encadrement des ateliers est, lui, assuré par deux infirmières de secteur psychiatrique : Mauricette Supiot et Catherine Chauvet. « Auparavant, nos ateliers étaient installés au sein même de l’établissement, précise Mauricette. Toutefois, dans l’idée d’en faire un lieu moins marqué, nous avons voulu déplacer l’Arantèle à l’extérieur de l’institution (plus précisément, à Angers). Ce qui permet à ceux qui ont été hospitalisés de mettre à distance ces moments parfois douloureux. Et d’éviter, également, toute stigmatisation. » Ces patients du Cesame peuvent bénéficier d’une prise en charge hebdomadaire d’une journée, dans la mesure où ils sont acteurs, et accompagnés sur le plan du soin. « Ils nous sollicitent directement, ou alors, ce sont les soignants qui nous les adressent, complète Catherine. Nous nous organisons pour que ce soit un vrai soutien thérapeutique, et pas seulement un moyen de les occuper pendant une journée. » Ils peuvent ainsi recevoir la visite d’artistes ou artisans d’art extérieurs qui leur font découvrir des techniques particulières.

Au menu de ces trois années, de la photographie donc, mais aussi de l’aquarelle, et un atelier d’écriture. L’idée générale était de s’inspirer de la Loire. D’abord parce qu’elle est là, majestueuse et changeante au fil des saisons. Mais aussi parce qu’elle fait partie de la vie des patients du Cesame car elle coule derrière le mur de l’institution. Certains résidents pouvaient même la voir de leur chambre pendant leur hospitalisation. « Beaucoup nous parlent du réconfort qu’ils pouvaient ressentir en se promenant sur les rives, ou simplement en l’observant », raconte Catherine.

Si les pratiques artistiques sont au cœur des projets, l’essentiel peut aussi se trouver ailleurs. Accompagnés de médiateurs, les patients visitent régulièrement des expositions et des musées. Ainsi, pendant le projet Loire, ils ont visité la maison de Joachim du Bellay, le poète si inspiré par ce fleuve. Ils ont aussi embarqué sur une toue, sorte d’embarcation traditionnelle cabanée, utilisée par les pêcheurs. Le but : s’imprégner de l’ambiance ligérienne, de sa culture et ses traditions. « La différence entre notre travail et celui d’un art-thérapeute se situe peut-être là », reconnaît Mauricette. Nous tissons un lien avec l’extérieur, au-delà des murs de l’hôpital. » Et, pour certains patients, ces sorties sont autant d’occasions de retrouver un passé, un temps où ils allaient à la découverte des richesses de l’art.

Consolider les liens

L’Arantèle reste malgré tout un hôpital de jour. Avec tout le registre des maladies psychiatriques. « Mais ici, c’est l’humain qui prime », insiste Catherine. Même si ces personnes gèrent moins bien leurs conflits intérieurs que la plupart des gens. » Il est donc primordial de souder et de consolider les liens entre ce groupe de personnes. Qui, a priori, ne se seraient jamais rencontrées autrement. « Et, pour cela, il faut faire abstraction des problèmes de chacun. Il peut y avoir des soucis entre certains individus, mais cela s’avère très rare. Au contraire, on voit s’installer parfois une grande solidarité. » Quand la maladie prend le dessus, qu’elle vient parasiter un patient au cours de l’atelier, les autres sont en mesure de le comprendre. Et ce qui a trait aux troubles peut être évoqué pendant la séance.

Les deux infirmières font partie intégrante du suivi des patients et sont en lien avec les équipes médicales, les psychologues et les assistantes sociales. « Nous avons des réunions hebdomadaires qui nous permettent de réfléchir à l’accompagnement des personnes en soin. Des bilans sont régulièrement programmés », précise Catherine. Mais nous n’analysons ni ne définissons le patient à travers son travail pictural. Cela nous paraît insuffisant. En revanche, on peut s’en servir pour permettre l’élaboration d’une parole, pour évoquer des souvenirs ou pour se projeter vers l’avenir. Quand un patient de l’Arantèle ne va pas bien, on essaie de trouver des solutions avec lui, on lui apporte du soutien et on l’informe que l’on va contacter ses accompagnants soignants. Ce qui lui permet de ne pas se sentir seul. »

Dans les locaux de l’hôpital de jour, le groupe de patients découvre les éléments, photos et aquarelles, qui seront installés dans le cadre d’une exposition publique. Et puis, il y a ce recueil, « Impressions… Regards sur Loire », leur livre ! Ils en sont fiers. « C’est très important pour l’estime de soi, admet Catherine. C’est une trace qu’ils peuvent partager avec la famille, les amis. »

Patrick, 45 ans, patient de l’Arantèle depuis 2008, a fréquenté les Beaux-Arts, à Nîmes. Ses premiers séjours en hôpital psychiatrique ont été des moments douloureux de sa vie. La Loire, « ce dernier fleuve sauvage, qui a de l’espace pour s’étendre, qui n’est pas canalisé… », colle assez bien à sa pensée, un peu confuse. « C’est bien aussi d’avoir des contraintes, car cela peut offrir des libertés ! Et ce projet m’a permis d’être moins éparpillé. » Patrick découvre son image en grand format : la Loire, il l’a photographiée au travers des grilles de l’établissement. « On peut penser que les portes du Cesame sont fermées. Mais en réalité, même en étant hospitalisé, on peut sortir, aller au bourg », reprend-il. Sa photo, un triptyque présenté en pano­ramique, évoque l’idée du passe-muraille : il y a ce flou en arrière-plan, et, au fil des images, le regard finit par passer entre les barreaux et l’horizon devient net. « L’enfermement du Cesame, c’est un peu mon propre enfermement. Et il me faut être dans un espace clos pour pouvoir à nouveau m’ouvrir au monde. » Un avis partagé par d’autres : l’hospitalisation n’est pas toujours synonyme de violence. Cela peut aussi être un moment rassurant, une protection.

La peur du changement

L’exposition se prépare tranquillement. L’accrochage est prévu pour le mois de juin, dans les salons Curnonsky, un espace dédié à l’art, dans le centre d’Angers. Une mise à nu que les deux infirmières préparent avec les patients-artistes. Certains ressentent déjà une pression. La peur du jugement. « L’important, c’est qu’au travers de cet accrochage, ils partagent autre chose avec le public. Autre chose que la maladie, explique Mauricette. Cela représente également une continuité dans notre travail pour la déstigmatisation de la maladie mentale. » Pour certains, et pour Patrick en particulier, c’est l’après qui pose question : « Quand je finis un tableau, je me demande : “après cela, il y a quoi ?”. Il faut qu’une nouvelle porte s’ouvre avant que la boucle soit bouclée, trouver un nouvel objectif… » Ça tombe bien, à l’Arantèle, les projets sont multiples, ils se chevauchent et s’enchaînent. Déjà, l’esquisse d’une nouvelle aventure se dessine : un projet autour des personnages mythologiques. Les visites au musée d’Angers sont programmées. L’inspiration ne tardera pas à venir.

* Tous les prénoms ont été modifiés.

Savoir plus

L’Arantèle/Cesame 4, avenue Vauban 49000 Angers Tél.: 02 41 80 76 08

Vues sur Loire

→ « Un soir d’orage, je me suis éloignée de la Loire, j’avais de mauvais présages, j’ai rejoint un abri. » C’est l’extrait d’un poème de Sylvie, l’une des 20 participants au projet, publié dans le livre Impressions… Regards sur Loire. Un petit format (15/21 cm), une belle allure sous sa couverture argentée. Et 80 pages d’aquarelles, de photos et de textes. La Loire a été le fil conducteur de l’atelier et les patients ont bénéficié d’une grande liberté d’expression, même s’il a fallu, parfois, l’apprivoiser. Cette autoédition, conçue par un graphiste, Pascal Proust, a été réalisée avec l’aide des patients. La Région Pays de la Loire, la Ville d’Angers et le Crédit mutuel ont contribué au projet. Le livre peut être acheté au Cesame. L’exposition sera, elle, présentée en juin 2014 dans les salons Curnonski d’Angers. Elle circulera ensuite dans les environs d’Angers.