L'infirmière Magazine n° 341 du 15/03/2014

 

GESTION DES RISQUES

ACTUALITÉ

DU CÔTÉ DES… ÉTABLISSEMENTS

JEAN-MICHEL DELAGE  

Il y a quelques mois, le CHU d’Angers a déclaré la guerre aux interruptions de tâche des infirmières, génératrices d’erreurs. Brassard, gilet, affiche… Plusieurs outils sont expérimentés.

Un collègue qui demande une information, le téléphone qui sonne dans la poche, un patient qui appelle… Le CHU d’Angers a estimé qu’« une infirmière est interrompue, en moyenne, cinq fois par heure et qu’elle consacre 25 % de son temps de travail à rattraper ces coupures, expose Marie-Christine Moll, médecin déléguée à la gestion des risques. C’est assez considérable, surtout quand il s’agit de tâches complexes pouvant entraîner des erreurs, et donc des accidents. » C’est le cas de la préparation d’un pilulier, d’une seringue électrique contenant de la morphine, ou encore d’une prescription, pour un médecin.

La problématique des interruptions de tâche a été soulevée dès 2008 au CHU. C’est en allant visiter d’autres univers, comme des établissements de l’industrie nucléaire ou de l’aéronautique, que les esquisses de nouvelles pratiques ont été dessinées. « Dans ces domaines, une douzaine de pratiques de fiabilité ont été developpées », explique Marie-Christine Moll. Il s’agit, notamment, d’observer une « minute d’arrêt » quand on reprend une tâche interrompue.

Circuit du médicament

Mais, l’équipe chargée de la gestion des risques au sein du CHU a voulu aller plus loin. Elle a commencé par repérer les tâches particulièrement sensibles ou dangereuses, notamment dans le circuit du médicament, qui, à lui seul, est la cause de la moitié des événements indésirables survenant à l’hôpital (erreur de patient, mauvais dosage). Cadres de santé et médecins ont réfléchi à la façon d’éviter les dérangements. Chaque secteur a fait ses propositions. « Par exemple, nous avons évoqué le port d’un gilet ou d’un brassard de couleur qui, symboliquement, indique que la personne est en train de procéder à une activité demandant de la concentration », décrit le médecin. Des affiches ont aussi été conçues dans le but d’informer les patients et les familles. Ces expérimentations ont démarré en septembre 2013 en chirurgie, en réanimation ou encore, en pédiatrie. Le bilan est contrasté. « Le brassard n’est pas assez visible, personne ne le remarquait, reconnaît Amélie Baron, infirmière dans le service de médecine post-urgence. Et, au début, le port de ce gilet bleu gendarmerie, trop large (une seule taille est disponible), prêtait à sourire. Mais il faut admettre que nous étions moins dérangés dès que nous le portions. » Les médecins sont plus attentifs, les familles de patients respectent la consigne relayée par les affiches. Cela entraîne également une prise de conscience pour le soignant qui porte le gilet : quand il l’enfile, il sait qu’il s’attelle à une tâche particulière, qui demande un surcroît d’attention.

Pourtant, après quelques mois d’utilisation dans le service, le gilet est resté de plus en plus souvent sur le dossier d’une chaise… Les raisons évoquées : « L’inconfort et, surtout, l’hygiène », relève Amélie Baron. « Nous n’avons que trois ou quatre gilets à disposition. Si nous devons être en contact avec un patient, ce n’est pas idéal », poursuit l’infirmière, qui enfile parfois le gilet et tente de convaincre ses collègues de faire de même.

Culture soignante

« Après plusieurs mois d’expérimentation, le personnel a compris l’objectif et y trouve même un bénéfice, avance Marie-Christine Moll. Mais, nous nous apercevons que si, techniquement, c’est assez simple à mettre en place, culturellement, c’est plus compliqué. En tant que soignants, nous ne sommes pas habitués à ignorer les sollicitations des patients ou des familles », admet le médecin. Bien que, sur le fond, l’idée fasse l’unanimité, sa mise en pratique doit être perfectionnée.

D’ici à fin 2014, l’expérience devrait, malgré tout, s’étendre à l’ensemble de l’établissement. Il est bien sûr impossible d’éliminer toutes les interruptions de tâche. Mais cela n’empêche pas de travailler sur la reprise, « phase aussi importante et délicate » pour Marie-Christine Moll.