L'infirmière Magazine n° 342 du 01/04/2014

 

FORMATION PROFESSIONNELLE

ACTUALITÉ

FRANÇOISE VLAEMŸNCK  

Un an après sa mise en place, qu’en est-il du développement personnel continu (DPC), qui s’impose à tous les professionnels de santé, et notamment aux 600 000 infirmières ?

Usine à gaz » pour les uns, « dispositif complexe » ou « dossier excessivement lourd » pour d’autres… Si tout le monde s’accorde sur le fait que le développement professionnel continu (DPC), dont l’objectif premier est d’améliorer la qualité et la sécurité des soins, est très positif pour les soignants comme pour les usagers, les modalités de sa mise en œuvre sont très vivement critiquées. Petit rappel : depuis 2013, tout professionnel de santé doit satisfaire chaque année à une obligation de formation dans le cadre du DPC. Dans le fond, elle doit répondre aux orientations nationales de santé publique définies par le ministère de la Santé ou aux priorités régionales déterminées par l’ARS, et, dans sa forme, aux méthodes retenues par la Haute Autorité de santé. Bien évidemment, ne « fait pas » du DPC qui veut. Les organismes, établissements de santé ou universités qui souhaitent délivrer ce type de formation doivent avoir reçu un avis favorable de l’organisme gestionnaire du DPC (OGDPC), instance en charge de la mise en œuvre et du suivi du programme, pour être, en quelque sorte, « labellisés ». À cette fin, ils doivent déposer un dossier évalué par des commissions scientifiques indépendantes (CSI) créées ad hoc – pharmaciens, médicale, chirurgiens-dentistes, sages-femmes – et par la commission scientifique du Haut Conseil des professions paramédicales. On remarquera que cette dernière n’est pas estampillée CSI… Si des professions médicales siègent dans la commission paramédicale, l’inverse n’existe pas, comme le déplore Olivier Drigny, représentant de l’ordre infirmier. Le vice-président regrette également que la profession infirmière, qui représente le gros des troupes des professionnels de santé, n’ait pas sa propre CSI. « 90 % des dossiers présentés concernent la profession infirmière, mais un avis favorable peut être donné par un membre qui ne connaît pas cette profession, comme je suis amené à donner un avis sur des dossiers qui concernent, par exemple, les kinésithérapeutes », souligne-t-il.

Retard important

Quoi qu’il en soit, l’évaluation des dossiers ayant pris un retard important, du fait de la parution tardive des textes réglementaires encadrant le DPC et de la toute aussi tardive mise en route de l’OGDPC, en juillet 2012, seuls 2 171 organismes ont été évalués de l’automne 2013 à fin février 2014 selon l’organisme gestionnaire (voir Chiffres). Or, selon nos sources, il en faudrait dix fois plus pour satisfaire la demande des quelque 1,5 million de professionnels de santé visés par l’obligation. Résultat, la commission paramédicale croule sous la tâche et tous les membres marnent comme des diables pour passer le plus de dossiers possible en commission plénière. « Ils n’ont aucun moyen. Ils travaillent les dossiers sur leur temps personnel alors qu’on leur demande d’examiner jusqu’à 30 candidatures par semaine. Ce n’est pas possible ! Par conséquent, le retard est monumental ! », peste Bruno Huet, vice-président du Syndicat national des infirmiers anesthésistes (Snia). Dans ces conditions, il n’est pas rare que la qualité soit sacrifiée à la quantité, confirme Olivier Drigny. « On valide des dossiers qui ne devraient pas l’être. À la décharge des organismes, il faut souligner que ces dossiers de candidature sont d’une extrême complexité à remplir. Même des structures de formation dont le professionnalisme est avéré arrivent à présenter des dossiers “pourris”. » La Fédération de l’hospitalisation privée (FHP), qui regroupe 1 100 établissements employant 54 000 infirmières, n’adopte pas un ton plus amène. « Contrairement à la certification et au PMSI-1, pour lesquels le ministère nous avait assistés et conseillés, nous sommes assez seuls pour mettre le DPC en place. Il n’a démarré dans aucun de nos établissements. Et nombre d’entre eux attendent toujours un retour de l’OGDPC pour l’évaluation de leur dossier. Nous sommes très favorables à ce dispositif, mais nous allons officiellement demander un délai, sans doute en concertation avec nos collègues du public et de l’associatif », indique Jean-Loup Durousset, président de la FHP. Avec 50 000 paramédicaux à former, dont 17 000 IDE, l’AP-HP en est « juste au début », admet Françoise Zantman, directrice des soins et des activités paramédicales. Elle précise que « toutes les instances internes sont désormais en place, mais qu’il reste à revoir l’ensemble de l’offre de formation à l’aune des critères du DPC ». Combien d’IDE salariées pourront bénéficier d’un DPC cette année ? Aucun acteur n’ose un pronostic. « Il est trop tôt pour le dire, on fera le point à la fin de l’année », indique prudemment l’AP-HP. Chez les libérales, le DPC semble être plus avancé, même si l’on est encore loin du compte : 14 000 d’entre elles ont validé leur DPC en 2013 sur les 80 000 professionnelles du secteur. Idel dans l’arrière-pays grassois, Valérie Pascal a bouclé le sien en janvier. « Mon objectif était d’être à jour dans les protocoles de plaies et cicatrisation. J’ai opté pour une formation à distance, plus compatible avec mon emploi du temps et mon éloignement. Cependant, le DPC n’a pas changé grand-chose à ma démarche, car je me forme en permanence », confie-t-elle. L’OGDPC précise, par ailleurs, que le budget consacré aux Idel augmentera de 40 % cette année et que plus de 27 000 Idel ont créé leur compte personnel sur le site www.mondpc.fr.

Bilan d’étape

Côté financement, les dents grincent également, le DPC devant se mettre en place à budget constant. Avec la même enveloppe, il faut former tout le monde ou presque. « On est face à une vraie difficulté, reconnaît Jean-Loup Durousset. La formation continue va provoquer un accroissement de la dépense alors que les budgets sont contraints. Honnêtement, je ne sais pas comment l’on va faire ! » Une situation qui inquiète aussi la CGT santé et action sociale, comme l’explique Mireille Stivala, responsable du secteur emploi, qualification et formation professionnelle à la fédération. « Nous avons toujours été hostiles au DPC, parce qu’il est l’émanation de la loi HPST, que nous combattons. Les établissements gèrent comme ils le peuvent cette nouvelle disposition, mais nous sommes très sceptiques sur leur capacité à former chaque année 100 % des effectifs, que ce soit en temps ou en argent. Beaucoup de formations sont déjà refusées parce que les agents ne peuvent pas être remplacés. Pour biaiser, on voit apparaître de nombreux programmes consacrés au lavage des mains ; ce n’est pas cher, rapide et collectif. Et on valide le DPC alors que l’apport reste limité », relève-t-elle. « Le DPC est une usine à gaz. Chacun cherche à faire entrer toute action dans le dispositif. Et nous craignons qu’il capte tous les financements au détriment des autres pans de la formation professionnelle. Il faut absolument qu’un bilan d’étape soit réalisé pour que l’on juge de son impact », réclame Luc Delrue, secrétaire fédéral FO santé. Bref, la mise en œuvre du DPC illustre l’art de faire rentrer des ronds dans des carrés…

1 – Programme de médicalisation des systèmes d’information.

CHIFFRES

1 440 organismes sont habilités à dispenser 4 600 programmes de formation DPC aux infirmières.

> Parmi les 2 171 organismes ayant reçu un avis favorable de l’OGDPC, 381 sont des établissements publics de santé, 111, des établissements privés de santé, et 31, des universités.

En 2013, 73 214 professionnels étaient engagés dans des sessions de formation, dont 29 730 médecins, 15 530 pharmaciens, 13 989 infirmières et 5 959 kinésithérapeutes. Fin février, ils étaient 43 769.

(Source : OGDPC)