Ancienne infirmière, Bénédicte Masse s’est lancée, en 2011, dans une nouvelle aventure : « Cœur de femmes », une boutique qui propose soutiens-gorge, maillots de bain et perruques pour les femmes atteintes de cancer. Un virage réussi !
Dans la vitrine de « Cœur de femmes », un maillot de bain bustier, un tankini et un ensemble de lingerie en dentelle rouge prennent la pose. À l’approche de la Saint-Valentin, il arrive que des hommes poussent la porte, à la recherche d’un ensemble coordonné à offrir… Bénédicte Masse, regard noisette et pull gris à paillettes, sourit en racontant l’anecdote : « Nous sommes ravies que les gens se trompent ! ». Il faut dire que l’on se croirait vraiment dans un magasin de lingerie classique : jolies pièces sur les présentoirs, couleurs boudoir… Pourtant, si l’on y regarde de plus près, ces soutiens-gorge et maillots, de toutes les couleurs, avec ou sans dentelle, avec ou sans armatures, ont un petit quelque chose en plus : ils peuvent tous être associés à des prothèses mammaires. Placées dans des poches qui doublent les bonnets, celles-ci donnent à la poitrine une forme harmonieuse et évitent les mauvaises positions du dos.
Jolis miroirs, fauteuils confortables, coiffeuses en bois cérusé, patio intime… L’atmosphère de la boutique est feutrée. Bien loin de l’ambiance générale d’un magasin de matériel orthopédique, parmi les fauteuils roulants et les lits médicalisés, ou de celle d’une pharmacie, aux files d’attente interminables. Un paravent placé derrière la vitrine assure la discrétion de la boutique et un petit coin café, sa convivialité. Ici, on prend son temps, sur rendez-vous surtout. Dans le premier petit salon, accompagnées de Bénédicte et Frédérique (Frédérique Soupison, son associée, docteur en pharmacie), les clientes essaient les perruques destinées à remplacer, le temps des traitements par chimiothérapie, les cheveux blonds, bruns ou gris disparus. La boutique adhère à la charte des perruquiers et applique ses principes éthiques à la lettre : possibilité d’essayer plusieurs fois ; de fractionner les paiements… Bénédicte et Frédérique aident aussi les clientes à bien nouer leur foulard. Dans le salon du fond, elles essaient, au calme, les prothèses mammaires et la lingerie. Les prothèses externes, en silicone, « peuvent être portées environ un mois et demi après l’ablation, explique Bénédicte. Mais nous attendons toujours l’aval du chirurgien qui rédige, généralement, l’ordonnance. » Les clientes peuvent également choisir d’ajouter de petits mamelons pour recréer la symétrie des seins et, plus tard, opter pour des prothèses qui se portent directement sur la peau. Du matériel pour lequel Bénédicte et Frédérique ont obtenu l’agrément de délivrance de la Sécurité sociale.
Une reconversion pour Bénédicte, mais pas si radicale que cela. L’ex-infirmière a suivi ses envies, saisi les occasions qui se sont présentées et établi des liens entre ses expériences passées. Au milieu des années 1980, alors jeune diplômée, elle atterrit au bloc en pensant y tenir moins d’une semaine. « J’y suis restée cinq ans !, raconte-t-elle. La chirurgie m’a passionnée. Cela m’a beaucoup plu de m’occuper des patients, depuis leur arrivée jusqu’à leur sortie. » Elle quitte Paris pour Lille après avoir rencontré son mari, mais tâtonne avant de trouver le poste de ses rêves : au bloc de la maternité, à l’hôpital de Roubaix. « J’y ai retrouvé la prise en charge globale des patients, des femmes cette fois, une équipe universitaire très stimulante, avec des patrons pédagogues et passionnés, et très soudée, une activité vraiment intéressante… » Entre deux naissances (celle de ses propres enfants), elle passe le diplôme d’Ibode, puis un DU de soins palliatifs. En 2006, d’importants changements dans le fonctionnement du service modifient ses perspectives, et Bénédicte choisit de « prendre sa retraite », à 43 ans. Elle a eu quatre enfants, cela lui est donc possible. Et constitue un moyen pour mieux rebondir.
Passionnée de cuisine, elle se lance dans la vente de moules souples à domicile. Elle en fait vite le tour, mais l’expérience la familiarise avec la vente et lui fait apprécier « l’atmosphère conviviale des réunions entre femmes », remarque-t-elle. Quelques mois plus tard, un ami pharmacien lui propose de créer et d’animer un espace « lingerie » dans son officine. Une révélation ! Elle découvre les produits, rencontre des fournisseurs, qui la forment. Certes, à la maternité, elle avait approché la sénologie, mais « c’était un univers complètement nouveau. J’avais tout à découvrir, tout à faire ! », se rappelle Bénédicte. Elle reprend contact avec les médecins qu’elle avait côtoyés, se constitue un réseau. « En tant qu’infirmière, cela ne me posait aucun problème d’entrer à l’hôpital et de présenter ce que je faisais », décrit-elle. Dans un petit coin tranquille aménagé dans la pharmacie, elle reçoit des femmes qui ont vécu le « tremblement de terre que constitue le cancer », les conseille sur leur lingerie, les écoute aussi, énormément. Elle échange beaucoup avec Frédérique, alors pharmacienne de cette officine, partage les émotions, les moments difficiles. Et, peu à peu, un projet. Elles se renseignent sur un magasin parisien de lingerie spécialisée, se posent la question de la franchise commerciale… Bénédicte décide de se lancer et quitte la pharmacie. Frédérique et elle seront suivies pendant un an par la chambre de commerce et d’industrie de Lille. Elles ouvrent « Cœur de femmes » en février 2011. Une boutique unique en son genre dans la région.
Les clientes de Bénédicte la suivent. Le bouche-à-oreille fonctionne. Médecins, esthéticiennes et coiffeurs relaient l’information. De nombreux prix
Au fil du temps et de ses rencontres avec des patientes, elle s’est enrichie de nombreuses histoires de femmes, des histoires de guérison ou de rechute, des histoires qui finissent mal, aussi. La charge émotionnelle est forte, reconnaît l’ex-soignante : « Il faut bien choisir ses mots, être toujours très attentive, faire face aux émotions, à la tristesse, mais également, parfois, à la colère. Les mots peuvent manquer. » Les deux associées en discutent souvent, et s’offrent de temps en temps un atelier cuisine-déjeuner réparateur. Beaucoup de marche aussi pour Bénédicte, qui reprendrait bien la natation afin d’évacuer ces émotions. « La perte des cheveux est une vraie souffrance, poursuit-elle. Ils sont notre personnalité, notre féminité. Les perdre nous enlève tellement de nous ! » Il y a celles qui pensaient qu’elles y échapperaient et s’emportent contre l’évidence. Celles qui préfèrent que leur amie l’essaient avant de s’y résoudre. Celles qui pleurent devant les mèches perdues. Celles qui rient parce que telle perruque les fait ressembler à une vieille tante ou à une chanteuse connue…
Bénédicte a toujours un regard d’infirmière. Quand les femmes se déshabillent, elle vérifie instinctivement que les cicatrices ne présentent aucune trace d’inflammation. « Les cicatrices, ça ne me fait pas peur, assure-t-elle. Je peux dire à une femme que la sienne est belle, donner des conseils à une autre pour l’assouplir… » Mais son lien avec les clientes va bien au-delà. « En tant que femmes, il existe une sorte de lien indescriptible entre nous. Nous vibrons pour les mêmes choses. Nous sommes toutes un peu sœurs, en quelque sorte. »
1- Elles ont remporté le Trophée « Elles créent » en 2011 et ont reçu un prêt à la création d’entreprise de la région Nord-Pas-de-Calais. Elles viennent tout juste de recevoir le prix régional (1 000 €) de Version Fémina et le reverseront à deux associations : Émeraude et Vivre comme avant.
1985 DE à l’Ifsi de l’hôpital Saint-Joseph, à Paris.
1985-1990 Hôpital Saint-Joseph au bloc, en chirurgie digestive.
1990 Se marie et déménage dans le Nord ; teste plusieurs établissements.
1991 Bloc de la maternité Paul-Gellée de l’hôpital de Roubaix.
1995 Diplôme d’Ibode.
1998 DU de soins palliatifs.
2006 Prend sa retraite de la FPH de manière anticipée.
2007-2010 Monte et anime le rayon prothèses mammaires et lingerie d’une pharmacie.
2011 Ouverture de « Cœur de femmes ».