Dès le début du XXe siècle, les infirmières ont été étroitement associées à la prévention et à la lutte contre la tuberculose en France. Si, depuis, l’infection a reculé de manière spectaculaire, elle n’a pour autant jamais disparu. Aujourd’hui, les infirmières sont toujours aux avant-postes dans les domaines de la prévention et des soins aux malades.
Maladie d’avant, maladie de la misère, maladie des ouvriers, maladie d’ailleurs… Rares sont les infections qui traînent dans leur sillage autant de préjugés culturels et sociaux. Au même titre que certaines infections sexuellement transmissibles, tel le sida, la tuberculose est de celles-là. Si elle ne fait plus la une des journaux, ou à de très rares occasions, elle n’en reste pas moins présente en France, et demeure un fléau sanitaire planétaire. Existant sur tous les continents, elle est, après le VIH, la maladie la plus meurtrière dans le monde. Elle fait d’ailleurs l’objet d’une surveillance étroite et bénéficie d’un plan de lutte, « Halte à la tuberculose », piloté par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), et de financements, notamment pas le biais du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Depuis 2002, le Fonds mondial a consacré plus de 3,3 milliards d’euros à la prévention et aux traitements de la maladie, dont 582 millions d’euros en 2013. « La tuberculose reste un problème de santé publique majeur. Pour l’année 2012, on estime que 8,6 millions de personnes ont contracté cette maladie et que 1,3 million en sont mortes (y compris 320 000 décès parmi les personnes séropositives pour le VIH, dont 74 000 enfants). Le nombre de décès par tuberculose est inacceptablement élevé sachant que la plupart d’entre eux sont évitables », note ainsi l’OMS, dans son rapport 2013 dédié à la pandémie et publié en octobre dernier
En 2011, toujours selon l’OMS, l’Asie a totalisé à elle seule 60 % des nouveaux cas enregistrés à l’échelle mondiale. « Toutefois, l’Afrique subsaharienne compte la plus grande proportion de nouveaux cas par habitant, avec plus de 255 cas pour 100 000 habitants en 2012 », précise l’instance. D’ailleurs, d’un pays à l’autre, d’un continent à l’autre, le taux d’incidence varie de manière considérable. Ainsi, on dénombre environ 1 000 cas ou plus pour 100 000 habitants en Afrique du Sud et au Swaziland, et moins de 10 pour 100 000 habitants dans certaines parties des Amériques, dans plusieurs pays d’Europe occidentale, au Japon, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Avec un taux d’incidence de 10,6 nouveaux cas pour 100 000 habitants, la France se situe dans cette jauge. En 2011, 4 991 nouveaux cas de tuberculose ont été déclarés sur le territoire, contre 6 464 cas dix ans plus tôt. L’Ile-de-France enregistre 1 768 nouveaux cas, contre 2 975 cas en 2001. La Seine-Saint-Denis et Paris comptent le plus fort taux d’incidence de l’Hexagone avec, respectivement, 27,1 et 18,3 nouvelles déclarations pour 100 000 habitants en 2011. Le deuxième département le plus touché étant la Guyane, avec un taux d’incidence de 22,6 pour 100 000 habitants. Les personnes les plus défavorisées et celles originaires des zones de forte endémie font partie des plus atteintes par l’infection. « La tuberculose n’a jamais disparu de notre territoire ; pour autant – et il est très important de le souligner, il n’y pas de recrudescence de l’infection en France, ni en Seine-Saint-Denis. On constate même une légère diminution de l’incidence depuis deux ans », indique le Dr Christophe Debeugny, chef du service de la prévention et des actions sanitaires à la direction de la prévention et de l’action sociale du conseil général de la Seine-Saint-Denis.
Abandonnée depuis 2007, la vaccination obligatoire des jeunes enfants contre la tuberculose reste, en France, fortement recommandée dans les zones où le taux d’incidence est élevé.
La France est également dotée d’un programme de lutte contre la tuberculose, et chaque département possède un centre de lutte antituberculeuse (Clat), fréquemment plusieurs. Si, en tant que telle, la lutte contre l’infection relève des préfets depuis 2006, les conseils généraux ont pu, par le biais d’une convention passée avec l’État, conserver cette compétence. Dans le cas contraire, ce sont des établissements de santé habilités à conduire les actions de dépistage et de prévention. La prise en charge des personnes malades, leur suivi et la prescription du traitement étant assurés à l’hôpital. Comme une petite majorité des départements, la Seine-Saint-Denis a choisi de continuer d’animer les actions de lutte contre la maladie sur son territoire. Et les infirmières sont en première ligne dans son dispositif, à travers les centres départementaux de dépistage et de prévention sanitaire (CDDPS), mais aussi, depuis fin 2009, au sein de l’équipe de dépistage systématique – une expérimentation quasi unique en France, soutenue et financée par l’Agence régionale de santé Ile-de-France. L’implication des infirmières dans la lutte contre la tuberculose n’est d’ailleurs pas nouvelle (lire encadré p. 21).
Cette année, au CDDPS d’Aulnay-sous-Bois, un des six que compte le département de la Seine-Saint-Denis, Véronique Audren et Nicole Zatorschi, les deux infirmières du centre situé dans l’enceinte du CHI Robert-Ballanger, consacrent une grande partie de leur temps à la lutte contre la tuberculose et spécifiquement au dépistage des tuberculoses latentes. La tuberculose étant une maladie à déclaration obligatoire, elles interviennent dès réception du signalement par l’ARS. « Notre mission consiste alors à investiguer autour du cas index afin de rechercher les personnes ayant été en contact avec lui au cours des derniers mois, explique Véronique Audren. Selon le protocole mis en place cette année, il faut qu’elles aient été en présence au moins 40 heures au cours des trois derniers mois, dans un espace confiné, pour risquer une contagion. L’objectif est de leur proposer un test de dépistage, via un tubertest, une radiologie et une vaccination. Et, si le test est positif, un traitement prophylactique sur trois mois, simplement préventif, car ces personnes ne sont ni malades ni contagieuses. Les enfants de moins de 2 ans qui se sont trouvés en contact avec la personne malade seront, en revanche, placés sous traitement. Les personnes immunodéprimées ou atteintes d’un cancer se verront proposer un dépistage même si elles n’entrent pas dans les critères de temps d’exposition. »
Cette phase demeure délicate à gérer, admet Nicole Zatorschi. « La tuberculose a encore très mauvaise réputation. Et, pour certaines personnes, en grande précarité et parfois sans papiers, notre investigation sera perçue comme une sorte d’enquête de police », commente-t-elle. Cette « enquête » sanitaire met également au jour des situations sociales complexes qui appellent régulièrement l’intervention de l’assistante sociale du centre. Et pour celles hébergées de manière précaire, avoir la tuberculose peut avoir de lourdes conséquences. Il est d’ailleurs arrivé que leur hébergeur les mette dehors. Famille, amis, entreprise, lieux de culte ou associations sportives fréquentés, établissements scolaires lorsque le cas index est scolarisé…
Tout est passé au peigne fin. « Si la personne travaille, nous lui recommandons de ne pas informer elle-même son employeur et ses collègues. En effet, il arrive parfois, notamment quand elles sont en CDD, que leur contrat de travail ne soit pas renouvelé… », poursuit Véronique Audren. Et pour celles qui ont une activité professionnelle sans contrat de travail, l’issue peut être plus expéditive encore. « Nous travaillons avec la médecine du travail et, ensemble, nous nous chargeons de l’annonce et de l’organisation du dépistage sur les sites. Nous procédons de la même manière avec les établissements scolaires, en lien avec le médecin et l’infirmière scolaire, également avec l’équipe pédagogique. » Chaque action de dépistage collectif est préparée en amont. « Nous expliquons la démarche, le déroulement du dépistage, et nous faisons un point sur la maladie, ses modes de transmission, les gestes de prévention, et sur sa forme latente par rapport à la maladie déclarée », expliquent les deux infirmières. En 2013, le CDDPS a dépisté 71 personnes atteintes d’une tuberculose latente sur son secteur. Actuellement, avec le médecin du centre, les infirmières assurent le suivi thérapeutique d’une trentaine d’entre elles. « Dans ce cadre, notre intervention porte sur l’éducation thérapeutique, l’observance et la tolérance au traitement. » De son côté, l’équipe de dépistage systématique, qui s’appuie sur une unité mobile de radiologie, a pour priorité d’aller vers les personnes dites « à risque ». L’équipe, qui comprend une infirmière et un médiateur de santé, cible principalement les foyers de travailleurs migrants, où les cas de tuberculose sont récurrents. D’ici à quelques semaines, elle va conduire une action de dépistage en direction des personnes installées dans un bidonville du département. « On a beaucoup de difficultés à toucher ce public. En termes de logistique, c’est assez compliqué. Par ailleurs, il n’est pas aisé d’assurer une prise en charge des personnes en raison du turn over sur ces sites, sans parler des expulsions », confie Céline Talaczyck, infirmière de l’équipe. Chaque semaine, l’équipe est aussi présente, dans le cadre d’un partenariat avec Médecins du monde, au centre d’accueil, de soins et d’orientation de Saint-Denis. « Cette démarche “d’aller vers” répond aux préconisations de l’OMS. Les pouvoirs publics ont demandé au conseil général de développer cette action », précise Aude de Calan, responsable de l’équipe, et cadre infirmier de formation. L’an passé, ce dispositif a permis de dépister plus de 1 000 personnes.
Infirmier depuis plus de vingt ans dans un service de pneumologie en région parisienne, Olivier prend en charge des patients atteints de tuberculose ou suspectés de l’être. « Le plus souvent, ces patients arrivent par le biais des urgences. Les symptômes sont parfois présents depuis plusieurs semaines, voire plusieurs mois, mais la maladie n’a pas été diagnostiquée, alors même que certains ont vu des médecins à plusieurs reprises », dit-il. D’emblée, ces personnes sont placées en « isolement air », et celles dont l’infection laisse peu de doutes au regard de l’examen radiologique, sont immédiatement mises sous traitement. S’ensuivent plusieurs jours d’examens, via, notamment, l’analyse des « BK crachats », réitérée durant trois jours. « Parfois, ce n’est pas suffisant. Le médecin prescrit alors une fibroscopie bronchique, et on relance un cycle d’examen des BK crachats », précise l’infirmier. Le patient reste hospitalisé 14 jours au minimum. Après deux semaines de traitement, en effet, il n’est plus contagieux. « Ce temps nous permet de faire de l’éducation thérapeutique et d’insister sur la nécessité de la prise quotidienne du traitement – son arrêt étant à l’origine des bactéries résistantes qui, elles, sont bien plus difficiles à éliminer (voir encadré p. 22). On s’assure qu’il le supporte bien, car les quatre antibiotiques peuvent engendrer des effets indésirables comme des nausées ou des démangeaisons », relate Olivier. L’hospitalisation permet aussi d’évaluer la situation sociale et les conditions de vie du patient et, le cas échéant, de faire appel à l’assistante sociale de l’établissement. L’objectif de cette prise en charge est également d’éviter les « perdus de vue ». « Le traitement antituberculeux est contraignant et doit être suivi à la lettre durant neuf mois. Ce qui implique une certaine stabilité au quotidien. D’expérience, on sait qu’une personne entourée aura une plus grande facilité à le suivre qu’une personne seule et isolée », conclut Olivier. Soulignons que si elle frappe d’abord les personnes les plus précaires, la tuberculose peut toucher n’importe qui. Même aujourd’hui.
1- www.who.int
Dès la fin de la Première Guerre mondiale, l’infirmière-visiteuse intègre le système officiel de lutte contre la tuberculose, comme le rappelle Dominique Dessertine, historien et ingénieur au CNRS, dans un article consacré aux « Infirmières-visiteuses de la lutte antituberculeuse en France de 1900 à 1930 ». « L’esprit de la lutte contre la tuberculose, c’est la prévention par l’éducation, à l’école, mais aussi tout au long de la vie. Si c’est chez l’ouvrier que cette éducation fait défaut, c’est donc chez lui qu’il faut la répandre », écrit ainsi, dès 1908, Léonie Chaptal, figure tutélaire de la profession infirmière, qui créa les sanatoriums. La principale mission de l’infirmière-visiteuse consiste à faire de la prévention en donnant des conseils d’hygiène corporelle et domestique. Il faut attendre les années 20 et la création du diplôme infirmier, en 1923, pour que se professionnalise l’activité des infirmières dans la lutte contre la tuberculose. Les infirmières-visiteuses disparaissent au moment de leur fusion avec le corps des assistantes sociales, créé en 1932.
Selon l’OMS, 450 000 personnes ont été atteintes de tuberculose multirésistante en 2012. La Chine, l’Inde et la Fédération de Russie sont les pays les plus touchés. Mais 24 autres pays recensent ce type de cas. Tandis que le nombre de personnes dépistées dans le monde grâce aux tests de diagnostic rapide a augmenté de plus de 40 %, pour atteindre 94 000 en 2012, trois cas de tuberculose multirésistante sur quatre ne sont toujours pas diagnostiqués. « Plus inquiétant encore, pointe l’organisation, près de 16 000 cas de tuberculose multirésistante notifiés à l’OMS en 2012 n’avaient pas été traités. De nombreux pays n’obtiennent pas de taux de guérison élevés en raison d’un manque de capacité des services et de la pénurie de personnels de santé. » « La demande non satisfaite d’interventions de qualité (…) constitue un réel problème de santé publique, estime le Dr Mario Raviglione, directeur du département « Halte à la tuberculose » de l’OMS. Il est inacceptable qu’un accès accru au diagnostic n’aille pas de pair avec un accès accru au traitement de la tuberculose multirésistante. Nous diagnostiquons les cas, mais nous n’avons pas suffisamment de médicaments ni de personnel qualifié pour traiter les malades. (…) Le moment d’agir pour stopper la tuberculose multi-résistante est maintenant venu. » En France, plusieurs patients présentant une tuberculose multirésistante ont été admis dans des hôpitaux ces derniers mois, notamment à Paris. Leur prise en charge et leur traitement nécessitent plusieurs mois d’hospitalisation.
La Journée mondiale de la tuberculose se déroule chaque 24 mars. Cette année, elle mettra à l’honneur les travailleurs sociaux engagés dans le combat contre la maladie. Cette manifestation a pour but de sensibiliser le grand public à l’épidémie mondiale de tuberculose et aux efforts entrepris pour l’éliminer.