Au CH de Montereau (77), Annie Bressler, infirmière, a monté une Elsa. Une initiative qui a changé le regard des professionnels incités à repérer les patients dans leurs conduites addictives.
Depuis six ans, une femme revenait aux urgences pour des chutes. Nous nous occupions d’elle au plan traumatologique et ça n’allait pas plus loin. Un jour, nous avons compris que c’était lié à sa consommation d’alcool… et que nous étions passés à côté durant des années », témoigne Aline Olivier, cadre de santé aux urgences de l’hôpital de Montereau (Seine-et-Marne). Avec ce premier patient, le service et l’Équipe de liaison et de soins en addictologie (Elsa) ont entamé leur collaboration. Une Elsa
Exerçant dans un service de rééducation où avait migré l’unité d’alcoologie (UA), Annie Bressler ne se sentait pas à l’aise. « Je n’étais pas formée à l’addictologie et j’avais plein de questionnements… », confie-t-elle. Lors d’un stage, elle découvre la liaison : une « révélation ». Elle se lance alors dans un DU « Addictologie » à l’hôpital de La Salpétrière à Paris. « Ma cadre m’a ensuite laissé carte blanche pour concevoir l’Elsa et j’ai monté l’information tabac », poursuit-elle. L’Elsa fonctionne à plein régime depuis fin 2012, moment où l’infirmière y a été totalement détachée. Elle y exerce seule, en lien avec le Dr Éric Nicolle, chef du service des soins de suite et de réadaptation (SSR), qui compte une unité polyvalente et une d’addictologie (UA).
Tous les matins, l’infirmière passe aux urgences – où elle a formé des personnes référentes –, échange quelques mots avec l’équipe et consulte le cahier de transmissions où celle-ci colle les étiquettes des patients concernés. « On repère un peu au feeling : signes de manque, stress, attitudes lors de certains soins tels que des prises de sang… Mais il ne faut pas hésiter à poser des questions comme pour d’autres pathologies. Le sujet ne doit pas être tabou », estime Gulten Erim, infirmière qui a suivi la formation. Et d’affirmer : « La société change, les addictions se développent. Étant donné les dégâts sociaux ou économiques que cela cause, ce repérage est important. » Systématiquement recontactés par l’Elsa, les patients acceptent facilement les rendez-vous. « La formule est bonne car ils ne feraient pas d’eux-mêmes la démarche. Pour nous, c’est un plus car ce n’est pas satisfaisant de lâcher les gens dans la nature sans solution », observe le Dr Bertrand Gérald. Une fois par mois, Annie Bressler et le Dr Nicolle effectuent un bilan. « Soucieuse du suivi de ses alertes, l’équipe en a profité pour demander des retours sur le cahier de transmission. C’est une belle évolution car aux urgences, une fois les patients hospitalisés, on passe vite à autre chose », pointe Aline Olivier.
Les urgences ne sont pas le seul service où Annie Bressler a réussi son entrée. « Au début, l’Elsa était un peu perçue comme un gadget. Les services craignaient que cela perturbe leur fonctionnement. Aujourd’hui, en médecine, en réanimation, en chirurgie…, on nous adresse des patients », se réjouit le Dr Nicolle, qui attribue ces avancées à la pugnacité de l’infirmière et à son ancienneté. « Annie connaît beaucoup de gens, elle a su établir des relais. Une jeune infirmière n’aurait pas pu infiltrer ainsi les services pour les sensibiliser. » Grâce à ce long travail d’information, l’infirmière est peu à peu parvenue à convaincre de l’utilité du repérage des addictions, pour les patients comme pour les équipes. « Un fumeur hospitalisé et en manque de tabac risque, par exemple, de devenir agressif. Je peux lui venir en aide en l’incitant à tester les substituts nicotiniques », illustre Annie Bressler.
L’infirmière intervient régulièrement dans le service des médecines. « Les équipes n’ont aucune réticence à interroger les patients sur les sujets liés aux addictions. Proposer l’Elsa, c’est comme prendre la température à un malade qui a de la fièvre », assure-t-elle (cf. encadré ci-contre). Elle y accompagne les patients en sevrage et crée du lien avec l’UA. « J’organise des visites pour familiariser les patients avec les lieux, je leur explique le déroulé des cures pour réduire le stress », indique-t-elle. Au service social aussi l’intérêt de l’Elsa est désormais reconnu. « Nous n’hésitons pas à y recourir. L’Elsa joue un rôle complémentaire au nôtre et est utile aux patients. Nous travaillons vraiment en partenariat », remarque Nassera Grabsi, assistante sociale.
L’une des fonctions de l’Elsa est de casser le regard porté sur les addictions. « Le patient alcoolique peut faire peur. Il dérange. Beaucoup de représentations induisent des mécanismes naturels de défense de la part des soignants, il faut en prendre conscience pour avancer », analyse Uriel Keradennec, cadre de santé au SSR. « Cela modifie la perception du patient. Mais il faut être vigilant, une ébriété peut cacher une autre pathologie… », alerte le Dr Nicolle. Avec l’Elsa, maints préjugés ont vacillé. Y compris dans l’UA, où l’équipe n’est pas spécialisée. « J’ai beaucoup sollicité Annie pour dispenser des formations, travailler sur les entretiens d’accueil. De fait, on n’entend plus certains discours, apprécie Uriel Keradennec. Par ailleurs, via la co-animation d’ateliers avec les patients, l’équipe prend conscience de leur quotidien, des effets de l’addiction sur leur vie… Cela lui permet de mieux rebondir tout au long de la prise en charge. » Toutefois, des résistances subsistent et tous les services ne sollicitent pas l’Elsa, même quand les besoins semblent évidents. Certains professionnels sont parfois mal à l’aise pour poser certaines questions ou estiment que cela relève de la vie privée. « On les sensibilise peu à peu. Cela passe d’ailleurs beaucoup par de l’informel. Pouvoir s’adapter aux professionnels et comprendre leurs besoins suppose de bonnes compétences relationnelles », insiste la cadre de santé. Il faut aussi savoir attendre le bon moment. « Quand les modes de fonctionnement changent, les équipes ne sont pas disponibles. Mais la patience paye », remarque Annie Bressler, qui bénéficie du soutien indéfectible du Dr Nicolle et de sa cadre pour dépasser les difficultés.
Si elle consacre environ 70 % de son temps aux patients, dont une partie vient la voir dans son bureau sis dans le lieu neutre du service social, Annie Bressler multiplie à côté les interventions : elle accueille des élèves infirmières, centralise de la documentation, tisse des liens avec des psychologues, des partenaires extérieurs, participe à des colloques, s’implique dans l’association Elsa-France… « Pour ne pas m’isoler, j’ai noué des liens avec d’autres Elsa un peu plus étoffées, notamment à Sens ou à Montargis, car il y en a peu en Seine-et-Marne. Cela permet d’échanger sur les pratiques, c’est primordial dans un petit hôpital », assure l’infirmière.
Passionnée, Annie Bressler ne cesse de se nourrir de lectures. À en friser l’addiction ! « De peur de manquer quelque chose, chez moi, je passais mon temps plongée dans les livres d’addictologie. Cela prenait trop le pas sur ma vie. Un jour, je me suis dit qu’il fallait que je m’en sorte. Maintenant, je lève un peu le pied, mais cela a été dur. » Les critères de la dépendance semblent en effet réunis !
1- Tous les hôpitaux dotés d’un service d’accueil d’urgence doivent disposer d’une Elsa.
> Centre hospitalier de Montereau 1 bis, rue Victor Hugo – 77875 Montereau Cedex Tél. Elsa : 01 64 31 66 99
> Elsa France : http://elsafrance.e-monsite.com/
> Voir la circulaire DHOS/02-DGS/SD/6B n° 2000-460 du 8 septembre 2000 relative à l’organisation des soins hospitaliers pour les personnes ayant des conduites addictives.
GENEVIÈVE PERNOT, CADRE DE SANTÉ DES MÉDECINES
« Aujourd’hui, Annie Bressler est connue et reconnue dans tous les services. Nous avons travaillé ensemble aux moyens de bien collaborer : organisation de formations, intervention dans le dépistage et le suivi des patients, accompagnement des personnes en sevrage… Nous appelons l’Elsa dès qu’une problématique d’addiction est repérée : tabagisme important, demande de sevrage alcoolique, intoxication médicamenteuse… Il nous est aussi arrivé de gérer ensemble des situations de crise. Ainsi, récemment, une patiente m’a été adressée par les urgences pour une surconsommation d’antalgiques de palier 2. Elle était en pleine crise et voulait quitter l’hôpital. Annie a pu nouer les contacts utiles et sensibiliser la personne aux risques qu’elle prenait. L’équipe apprécie également beaucoup qu’elle effectue systématiquement des retours. »