La chirurgie ambulatoire, à présent mise en avant dans les programmes de santé publique, est engagée dans une véritable dynamique, mais souffre encore d’un manque de reconnaissance. On s’interroge davantage sur les économies hypothétiques qu’elle pourrait générer, que sur l’intérêt qu’elle représente pour les patients et les équipes.
En septembre 2013, la Cour des comptes lance un pavé dans la mare en désignant la chirurgie ambulatoire française comme un « mauvais élève » européen. Elle dénonce, dans son rapport, « Un retard très important de la France par rapport aux pays étrangers qui ont le plus recours à cette pratique et pour lesquels la chirurgie conventionnelle ne représente plus qu’une activité limitée. » Mais, derrière ces propos alarmistes, la chirurgie ambulatoire est en plein boom dans notre pays. Quatre interventions chirurgicales sur dix se pratiquent actuellement de cette manière. Il y a cinq ans, nous étions à 30 % du total des opérations. Les opérations du canal carpien ou de la cataracte sont réalisées à plus de 90 % en ambulatoire. Pourtant, cette pratique chirurgicale, mise en avant pour en souligner le retard, reste mal connue, ce qui fait dire à Marc Beaussier, médecin anesthésiste-réanimateur et coordinateur de l’unité de chirurgie ambulatoire (UCA) de l’hôpital Saint-Antoine (AP-HP) : « Trop de personnes, parmi le public, chez les praticiens et dans les directions d’établissements pensent que la chirurgie ambulatoire est une pratique expérimentale. »
Certains peuvent craindre que cette dernière ne se réduise à une succession d’actes rentables, effectués à la chaine. L’injonction répétée auprès du public de la nécessité de résorber le déficit de la Sécurité sociale et la culpabilisation des usagers peuvent nourrir une défiance. Et pourtant, les enquêtes menées auprès des patients qui ont eu affaire à ce type de prise en charge sont unanimes. La possibilité de rentrer chez soi le soir, la démarche globale, l’attention particulière portée à la douleur sont sources de grande satisfaction. Le personnel hospitalier concerné par cette pratique semble également séduit.
La chirurgie ambulatoire, centrée sur le patient, exige un changement de philosophie de la part des équipes et des praticiens (lire pages 18 et 20). Cette évolution nécessaire des esprits représente d’ailleurs l’un des freins à sa progression au sein des établissements. Comme le décrit, dans son rapport, la Cour des comptes : « Le développement de la chirurgie ambulatoire s’est longtemps heurté aux réticences des communautés hospitalières publiques, installées dans une organisation centrée sur les spécialités, le service et les lits. » De son côté, la Drees, dans un rapport publié en 2011 évoque les réticences des praticiens et notamment des chirurgiens : « Il est, en fin de compte, plus confortable pour le chirurgien de garder le patient une nuit : pas de pression sur le programme opératoire, surveillance sur place « au cas où », etc. » Le professeur Beaussier se montre, quant à lui, optimiste : « Si l’on observe encore un conservatisme dans certains services, aussi bien de la part des chirurgiens que des anesthésistes, les mentalités évoluent. Les nouvelles générations se montrent beaucoup plus ouvertes et intéressées par les possibilités offertes par la chirurgie ambulatoire, surtout quand elles sont parties à l’étranger et ont vu ce qui s’y pratique. »
Pourtant les autorités sanitaires ont pris conscience de l’importance de cette pratique. En 2010, la DGOS en fait une priorité de santé publique : la chirurgie ambulatoire doit « devenir la référence » et ne plus se cantonner à sa fonction d’alternative à la chirurgie conventionnelle. Des objectifs, ambitieux, ont été affichés : la moitié des interventions chirurgicales devraient se pratiquer en ambulatoire, à l’horizon 2016. Les établissements les plus en avance ne seront pas loin de cette proportion. Mais pour les hôpitaux qui ont pris du retard, un peu plus de temps sera nécessaire. La Haute Autorité de santé (HAS) table actuellement sur une fourchette comprise entre 60 à 80 %, en fonction des actes, dans une dizaine d’années. Dans ce programme d’envergure, la cancérologie n’est pas laissée de côté. Unicancer affiche, dans un rapport prospectif de 2013, que pour 2020, la moitié de la chirurgie du cancer du sein devrait être réalisée en ambulatoire. Actuellement, ce taux est de 12 % (et de 17 % dans les centres de lutte contre le cancer). Un optimisme auquel souscrit François Dravet, chirurgien-sénologue à l’Institut de cancérologie de l’Ouest (ICO) : « Actuellement, nous avons 50 000 cancers du sein par an. Les deux tiers concernent de la chirurgie conservatrice. Il faudrait qu’une proportion importante de ces 35 000-40 000 patientes soit prise en ambulatoire. Dans les dix années à venir, il peut y avoir une homogénéisation entre les établissements. Il faudrait qu’ils pratiquent tous la chirurgie du sein en ambulatoire et plus spécifiquement la tumorectomie avec ganglion sentinelle. C’est une chirurgie simple et capitale en terme de santé publique. »
Comment parvenir à des pratiques plus homogènes et à « forcer » les praticiens réticents ? Dès 2008, la Caisse nationale d’assurance maladie a apporté une solution, fondée sur la contrainte : la mise sous entente préalable. Pour 17 gestes chirurgicaux (voir encadré ci-dessus), obligation est faite aux praticiens de demander à l’Assurance maladie une autorisation s’ils n’ont pas recours à l’ambulatoire. Cette politique a porté ses fruits et explique la progression rapide de ces dernières années. En 2012, 20 actes supplémentaires sont intégrés au dispositif. Une politique tarifaire incitative a également été progressivement mise en place. Avec la suppression récente des « bornes basses », un dernier frein financier vient d’être levé. Ce système rendait plus cher un même acte s’il était effectué au-dessous d’un temps de séjour hospitalier-palier. L’argument selon lequel la chirurgie ambulatoire fait perdre de l’argent à un établissement pourra de moins en moins être évoqué. Une étude de l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (Anap), publiée en 2012 et reprise par la Cour des comptes, affirmait que le recours à 80 % à la chirurgie ambulatoire occasionnerait un gain annuel de cinq milliard d’euros. Un chiffre qui est à relativiser : il se base sur des objectifs qui ont été revus à la baisse (la fameuse fourchette des 60-80 %) et table sur une occupation à 100 % des lits d’ambulatoire. De plus, il n’est pas à écarter que ces économies effectuées par les hôpitaux, ne génèrent de nouveaux frais en santé de ville ou dans le domaine social. Les exemples ne manquent pas. Si par principe la chirurgie ambulatoire n’exige aucune intervention de médecin de ville en post-opératoire, le besoin de suivi par les Idels va se renforcer. Dans une société où un nombre croissant de personnes vivent seules, l’accompagnement de patients isolés, la première nuit après l’opération, pourrait susciter un nouveau type de prises en charge. Le post-opératoire reste à présent, d’ailleurs, la question épineuse de la chirurgie ambulatoire. Selon René Amalberti, conseiller en sécurité des soins de la HAS, les études et enquêtes effectuées pointent : « Peu de gros problèmes médicaux mais un nombre important de petits problèmes pouvant engendrer des complications. De plus, les patients appellent leur généraliste, qui n’a pas connaissance de la bonne réponse à apporter. Ou ils appellent un numéro à l’hôpital, où on leur répond de consulter leur généraliste. » Pour le chercheur, le défi à venir concerne « la cohérence globale du service médical et sa vision territoriale ». Mairies et ARS pourraient être largement sollicités pour améliorer le maillage médico-social de leur territoire… À moins que le suivi post-opératoire ne soit préparé en amont, par les équipes de chirurgie ambulatoire, ce qui se pratique déjà régulièrement.
> Le document de référence sur la chirurgie ambulatoire a été publié conjointement en 2012 par la HAS et l’Anap : Ensemble pour le développement de la chirurgie ambulatoire. En ligne sur le site de la HAS, www.has-sante.fr (onglet « outils guides et méthodes » ou suivre le lien racourci http://petitlien.fr/75ea)
> Étude Unicancer : Quelle prise en charge des cancers en 2020 ?, octobre 2013.
> Rapport de la Cour des comptes sur l’application des Lois de financement de la Sécurité sociale, septembre 2013, www.ccomptes.fr/Publications/Publications/La-securite-sociale
>
> Rapport de la Drees, La réactivité des établissements de santé aux incitations tarifaires, 2011.
> Première liste établie en 2008
• Adénoïdectomies
• Arthroscopies du genou hors ligamentoplasties
• Avulsion dentaire
• Chirurgie anale
• Chirurgie canal carpien et autres libérations nerveuses
• Chirurgie col, vulve, vagin
• Chirurgie de la conjonctive
• Chirurgie de la maladie de Dupuytren (main)
• Chirurgie reparatrice des ligaments et tendons (main)
• Chirurgie des bourses
• Chirurgie des hernies inguinales
• Chirurgie des varices
• Chirurgie du cristallin
• Chirurgie du sein/tumorectomie
• Chirurgie du strabisme (au dessus de 7 ans)
• Chirurgie de l’utérus
• Exérèses de kystes synoviaux
• Prélèvement d’ovocyte
> Liste complémentaire de 2012
• Accès vasculaire
• Angioplasties du membre supérieur
• Angioplasties péripheriques
• Arthroscopie de la cheville
• Chirurgie de l’avant-pied
• Chirurgie de la main
• Chirurgie des bourses de l’enfant (entre 1 et 16 ans)
• Chirurgie des hernies abdominale
• Chirurgie des hernies de l’enfant
• Chirurgie des maxillaires
• Chirurgie du nez
• Chirurgie de l’épaule
• Cholecystectomie
• Cure de paraphimosis (entre 1 et 16 ans)
• Fistules arterioveineuses
• Geste sur l’uretère, l’urêtre
• Geste sur la vessie (au dessus de 2 ans)
• Interruption tubaire
• Lithoritrie extra-corporelle (LEC)