L'infirmière Magazine n° 343 du 15/04/2014

 

FORMATION CONTINUE

IATROGÉNIE AU QUOTIDIEN

DENIS RICHARD  

1. DESCRIPTION DU CAS

Monsieur C., 47 ans, employé de mairie, tabacodépendant, est hospitalisé pour un épisode dépressif majeur, consécutif au décès accidentel de son épouse. Culpabilisé par son implication dans ce drame, il a fait une tentative de suicide par pendaison, sans conséquence somatique sévère. La prescription psychiatrique instaurée dans le service hospitalier associe un antidépresseur (venlafaxine = Effexor LP 75 mg le matin et au dîner), un anxiolytique (oxazépam = Séresta 10 mg matin, midi et soir) et un hypnotique (zolpidem = Stilnox 10 mg au coucher).

Au milieu de la quatrième nuit suivant son admission et le début du traitement psychiatrique, l’infirmière entend un grand bruit dans la chambre de monsieur C. S’y précipitant, elle le découvre debout, dans l’obscurité, venant de renverser une chaise. Monsieur C., semble hagard. Il ne comprend pas où il se trouve et tient des propos incohérents, croyant reconnaître sa femme sous les traits de l’infirmière.

L’équipe de nuit l’aide à se recoucher. La nuit se termine sans autre incident.Le lendemain matin, le patient n’a aucun souvenir de son lever nocturne, de la chute de la chaise, de ses propos et de la venue de l’infirmière. Tout au plus estime-t-il avoir très mal dormi…

QUE S’EST-IL PASSÉ ?

Monsieur C. n’a jamais été suivi pour trouble de l’humeur auparavant : il est naïf de traitement psychoactif, notamment anxiolytique ou hypnotique. Son tabagisme ne donne pas lieu à un traitement de substitution.

Il a été victime d’un effet iatrogène rare lié à l’administration de zolpidem, un hypnotique proche des benzodiazépines : un épisode de parasomnie, ici à type de somnambulisme.

Cet épisode s’est traduit par son lever en milieu de nuit et une déambulation dans la chambre, au cours de laquelle il a renversé la chaise et a eu des troubles cognitifs (illusions visuelles avec confusion sur les traits de l’infirmière).

2. QUE SONT LES PARASOMNIES IATROGÈNES ?

Les parasomnies (troubles complexes du sommeil ou « complex sleep behavior s » = CSB) sont des perturbations observées à l’endormissement, pendant le sommeil ou peu avant le réveil. Durant entre une heure et six heures, elles se traduisent par la réalisation inconsciente d’activités normalement réalisées éveillé : le patient n’en conserve quasiment plus de trace à son réveil car l’amnésie de l’événement persiste de trois à cinq heures.

Ce trouble, rare, peut se traduire par une déambulation nocturne (somnambulisme), des accès de boulimie, une conduite automobile sous « automatisme » ou une activité sexuelle. Les épisodes peuvent être isolés ou s’observer avec récurrence, allant dans certains cas jusqu’à plusieurs fois par semaine. Ils peuvent constituer un danger pour le patient (accidents domestiques, chutes… et jusqu’à des suicides tentés sous automatisme parasomniaque) comme pour des tiers (agressions, accidents de la circulation).

Mise en cause du traitement hypnotique

Si les parasomnies sont physiologique chez certains sujets (environ 0,4 % à 2 % de la population selon les études), elles sont aussi fréquemment iatrogènes et décrites lors de la prise d’hypnotiques dont le zolpidem (Stilnox et génériques). Ce médicament, indiqué (comme son proche parent : la zopiclone ou Imovane) dans le traitement à court terme des insomnies appartient à la famille des « z-drugs » : ces hypnotiques ont en commun une action rapide et une demi-vie d’élimination brève expliquant qu’ils induisent moins d’effets résiduels diurnes que les benzodiazépines hypnotiques. Les z-drugs sont plus sélectives que les benzodiazépines : ceci explique leur action anxiolytique et myorelaxante réduite et un relatif respect des fonctions mnésiques.

Les effets résiduels diurnes du zolpidem sont réduits – du moins lorsqu’il est administré aux doses recommandées. Les effets indésirables les plus fréquemment décrits sont une dysgueusie (sensation d’une saveur « métallique » dans la bouche), des nausées, des vertiges, des céphalées, de l’agitation, etc., auxquels il faut rajouter un risque de tolérance et de dépendance expliquant un usage parfois abusif (comme pour les autres z-drugs et les benzodiazépines).

À savoir : les médicaments hypnotiques inutiles doivent être supprimés ou utilisés de façon seulement temporaire (la durée de traitement hypnotique recommandée d’excède pas 4 semaines au maximum), en recourant à la dose la plus faible possible (ne pas excéder 10 mg/jour pour le zolpidem selon un avis récent de l’Agence européenne du médicament), prise en une seule fois (sans réadministration au cours de la nuit en cas de réveil). Le médicament est pris au coucher, en respectant un intervalle de sept à huit heures avant la conduite d’un véhicule.

Facteurs favorisant une parasomnie iatrogène

Divers facteurs favorisants la survenue d’une parasomnie iatrogène sont identifiés :

Le recours à une dose d’hypnotique excédant les préconisations (10 mg/j pour le zolpidem) et/ou l’association à une consommation d’alcool ;

Le profil pharmacologique de l’hypnotique : les z-drugs ont peu d’action anxiolytique et, à l’endormissement, le patient peut être victime d’un rebond d’anxiété à l’origine d’une activité physique nocturne, d’autant plus facile que le médicament n’exerce quasiment pas d’action myorelaxante ;

L’existence d’antécédents de somnambulisme dans l’enfance et l’adolescence ;

Un sommeil suivant une période prolongée sans repos, avec prédominance des phases de sommeil lent ;

La prise du médicament à un moment inhabituel, notamment en milieu de journée (par exemple, pour s’endormir lors d’une sieste ou pour récupérer d’un effort ou d’un stress) ;

Une participation génétique est fortement suspectée : des études suggèrent que des variants dans le gène de la sous-unité 1 du récepteur GABAergique confèreraient une plus grande vulnérabilité à la survenue de parasomnies sous z-drugs.

Une parasomnie peut survenir dès la première prise du médicament ou, soudainement, après des prises récurrentes pendant plusieurs mois. La iatrogénie peut rester méconnue longtemps si aucun incident ne vient à l’émailler et si le patient vit seul.

Autres effets paradoxaux du zolpidem

Le zolpidem (objet de ce cas mais le propos concerne les autres z-drugs et, plus généralement, les benzodiazépines) peut donner lieu à d’autres manifestations iatrogènes rares mais qui méritent d’être connues :

Réactions d’éveil paradoxal : un usage prolongé induirait chez certains usagers non plus le besoin de dormir, mais, paradoxalement, la possibilité de rester éveillé et actif pendant la nuit. L’usage de l’hypnotique devient alors parfois même « récréatif ».

Réactions d’allure psychotique : des cas d’hallucinations sont décrits dans la littérature. Les signes demeurent généralement transitoires, mais il a pu arriver que le trouble persiste plusieurs heures, voire plusieurs jours, après la prise de l’hypnotique. Certains patients ont présenté des signes d’allure psychotique avec agitation, confusion, dissociation mentale et réactions paranoïaques ayant pu les conduire à des actes agressifs. Le risque de survenue de ces manifestations semble accru en cas d’association du traitement hypnotique à la prise d’un antidépresseur inhibiteur de la recapture de la sérotonine (type citalopram = Séropram, escitalopram = Séroplex, fluoxétine = Prozac, paroxétine = Déroxat, sertraline = Zoloft, etc.), chez un patient de sexe féminin, en cas d’administration à un âge avancé et/ou à une dose ≥ 10 mg.

3. QUELLE RÉPONSE APPORTER ?

Le traitement par zolpidem est ici suspendu sans difficulté, en l’absence de tolérance ou de dépendance au terme de quelques jours d’utilisation. Il est remplacé par une dose supplémentaire d’oxazépam au coucher (25 mg). L’instauration de ce traitement s’accompagne d’une information de Monsieur C. sur les risques iatrogènes liés aux hypnotiques et sur la nécessité de ne pas le prolonger inutilement. Il est convenu de réaliser un sevrage de la prise vespérale d’oxazépam, sur une semaine, au terme d’un mois de traitement. Les administrations diurnes donneront lieu, quant à elles à un sevrage plus tardif, au terme de 2 mois de traitement. Le traitement antidépresseur sera poursuivi au minimum six mois à un an, en fonction de la clinique.

4. BIEN DORMIR : CONSEILS PRATIQUES

L’infirmier devrait systématiquement rappeler les règles essentielles du « bien dormir », aussi bien auprès des patients ambulatoires qu’hospitalisés :

• Adopter un rythme de vie régulier ;

• Respecter la synchronisation veille/sommeil ;

• Pratiquer une activité physique quotidienne adaptée (mais pas en fin de journée) ;

• S’exposer suffisamment à la lumière du jour ;

• Prendre un repas léger le soir et réduire voire supprimer les boissons excitantes (thé, café, boissons à base de caféine ou de taurine, etc.) ;

• Ne pas regarder la télévision ou exercer une activité sur écran juste avant le coucher ou au lit ;

• Dormir dans une chambre fraîche.

CE QU’IL FAUT RETENIR

Le zolpidem, comme les autres z-drugs, peut être à l’origine de parasomnies iatrogènes mal connues de la communauté médicale.

Ce phénomène rare mais bien documenté est susceptible d’avoir des conséquences légales (accidents, agressions… ).

Les recommandations d’utilisation des hypnotiques doivent être suivies avec rigueur.

Le zolpidem ne devrait jamais être administré à une dose supérieure à 10 mg/j.