ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE EN PRÉ-GREFFE
RÉFLEXION
Les programmes d’éducation thérapeutique pour les patients (ETP) en attente de greffe complètent désormais ceux en post-greffe. Le Dr Esposito, néphrologue, est impliquée dans le programme Espair, dédié aux futurs transplantés rénaux.
L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Pourquoi avoir démarré, en plus du programme de post-greffe, un programme d’éducation thérapeutique en pré-greffe pour les insuffisants rénaux ?
DR LAURE ESPOSITO : On s’est aperçu que des patients inscrits depuis plusieurs années sur liste d’attente arrivaient le jour de la greffe sans savoir ce qui allait se passer. Ils vivaient tout ce temps avec l’angoisse de l’appel pour la greffe et de cette nouvelle vie. Pourtant, ces patients dialysés chroniques n’attendent que ça. Pour eux, tout tourne autour du fait d’arrêter l’hémodialyse, d’avoir une vie un peu plus normale. Il y avait donc toute une information à leur donner. Ce programme d’éducation thérapeutique en pré-greffe débute dès l’inscription sur liste d’attente. Le néphrologue reçoit les patients en consultation d’inscription et les oriente ensuite vers les infirmières d’éducation, qui réalisent un diagnostic éducatif durant lequel on évalue les besoins des malades. On leur propose ensuite de faire partie du programme.
L’I. M. : En quoi consiste ce programme d’ETP ?
L. E. : Une réunion collective est organisée une fois par mois, avec une dizaine de patients sur liste d’attente, accompagnés d’un ou deux proches : conjoint, frère, amie… Toute l’équipe est là pour les accueillir : les deux infirmières d’éducation, l’assistante sociale, la psychologue, et le néphrologue. Chacun se présente, puis l’équipe se répartit dans trois ateliers. Un premier atelier socioprofessionnel, animé par une infirmière d’éducation, l’assistante sociale et la psychologue, permet d’identifier les problèmes des patients et de présenter le service et le personnel qu’ils côtoieront après la greffe. L’atelier médical traite, lui, souvent de la liste d’attente. On y explique les règles de priorité, ainsi que le score de l’Agence de la biomédecine
Cette réunion collective est suivie de deux entretiens individuels. Car le but de l’éducation thérapeutique n’est pas de donner de l’information brute, mais de s’assurer que les patients ont tout compris. L’évaluation se fait au bout de trois mois. Comme le bassin de recrutement du programme est vaste (tout le Midi-Pyrénées, jusqu’à Perpignan, Rodez, Pau…), on ne fait pas revenir les patients. Les infirmières vérifient, au téléphone, que les connaissances ont été acquises. Au bout d’un an, on revoit en consultation tous les patients inscrits sur liste d’attente pour le suivi médical et on refait le point sur le contexte socioprofessionnel de la personne.
Ce programme permet de communiquer avec les familles, que l’on ne voyait pas auparavant. Dans ces ateliers collectifs, on peut parler de tout, et surtout de ce que les patients doivent savoir, puisque l’on part de diagnostics éducatifs préalables. Chaque séance diffère donc en fonction des patients. Cela va de la grossesse, si une femme a un désir d’enfant après la greffe, aux médicaments antirejet, en passant par la question du donneur vivant.
L’I. M. : L’information dispensée est-elle la même dans le cas des greffes de donneur vivant ou de donneur cadavérique ?
L. E. : Certains patients découvrent la possibilité du donneur vivant lors de ces ateliers, même s’ils sont de plus en plus nombreux à en avoir conscience, grâce à la démarche éducative pour la mise en dialyse que mènent, en parallèle, les centres périphériques. Au cours de l’atelier médical, on leur explique qu’il y a un manque de donneurs et c’est là que l’on évoque la possibilité du donneur vivant. On parle du donneur potentiel
L’I. M. : L’angoisse est-elle plus grande dans le cas d’un donneur vivant ?
L. E. : Elle existe aussi avec un donneur cadavérique car les patients se posent des questions : l’origine du donneur, son sexe… Mais le fait que le don soit anonyme facilite les choses. Par contre, quand le donneur est un frère, un conjoint ou un enfant, la démarche est vécue avec une angoisse qui existe avant la greffe et perdure après celle-ci. Les receveurs sont inquiets de ce qui va arriver au donneur. C’est d’ailleurs la plus grande réticence, qui conduit à refuser le don dans 35 % des cas.
L’I. M. : Informer sans influencer. Ce n’est pas toujours si simple…
L. E. : L’information étant médicale, elle est délivrée à tous de la même manière : au receveur, au donneur potentiel, au patient, qu’il habite en ville ou à la campagne… Il faut les écouter. En réponse, nous nous en tenons à des choses vraies. Par exemple, on nous demande souvent quelle est la durée de survie du greffon. Il faut savoir que la survie moyenne d’un greffon de donneur vivant est meilleure que celle d’un donneur cadavérique (près de 20 ans, contre 15) : lorsque tout se passe bien, le donneur est sain, il n’y a pas d’ischémie froide, nous procédons tout de suite à la greffe. Bien sûr, à l’issue de cette réunion, on ne dit pas aux patients qu’il leur faut un donneur. L’essentiel est de leur laisser le choix et d’informer leur entourage de ce qui est possible. Ils sont libres de venir à ces réunions, dont le programme leur est expliqué et proposé au préalable.
L’I. M. : Sont-ils nombreux à opter pour cette greffe ?
L. E. : Dans les réunions collectives, on inclut toujours un couple avec donneur vivant bien avancé dans la démarche. Cela permet aux patients d’en parler entre eux. Nous n’avons pas encore évalué l’efficacité du programme – c’est un travail qui va durer deux ans au moins –, mais à Toulouse, nous sommes passés de 10 % de greffes de donneur vivant en 2010 à plus de 30 % en 2012. L’an dernier, nous avons procédé à 51 greffes de donneur vivant sur environ 180 greffes. Toulouse est le premier centre en France, devant le pionnier, Necker
L’I. M. : Une progression certes mais les greffes de donneur vivant sont encore peu fréquentes en France…
L. E. : Certains pays ont davantage développé ces programmes d’information. En Suède, par exemple, parler du donneur fait partie du processus médical dès le départ. Plus on développe la greffe de donneur vivant, moins les patients attendent en dialyse et plus les coûts baissent. En France, nous manquons de donneurs et près de 9 000 personnes sont sur liste d’attente. Les greffes de donneur vivant donnent de bons résultats, les donneurs sont en bonne santé et les receveurs ont de meilleures chances de guérison. Faire connaître cette prise en charge permettrait d’en augmenter le nombre.
1- La France est découpée en 7 zones interrégionales de prélèvement et de répartition des greffons (ZIPR). La procédure de répartition et d’attribution des greffons prélevés sur personnes décédées prévoit le calcul d’un score pour le receveur sur la base de six composantes (différentiel d’âge, ancienneté d’inscription, difficulté d’accès à la greffe…) qui permettent d’attribuer des points. Le coefficient donné à chaque composante est adapté aux caractéristiques de chaque ZIPR. Le total constitue la valeur du score.
2- Cela peut être l’un des parents, un enfant, un conjoint, un frère ou une sœur, les conjoints du père ou de la mère, grands-parents, oncles et tantes, cousins germains de l’insuffisant rénal. En 2011, la loi de bioéthique a élargi cette liste à toute personne faisant preuve d’un lien affectif et stable depuis au moins deux ans avec le receveur, ce qui inclut les amis proches.
3- Prise de sang, et surveillance une fois par an par le médecin traitant et un néphrologue.
4- La première greffe de rein d’un donneur vivant a été réalisée à l’hôpital Necker-Enfants malades le 25 décembre 1952.
> Obtient un DEA de recherche sur la fibrose rénale en 2002 et décroche sa thèse de médecine à Toulouse en 2003.
> S’occupe depuis 2007 des greffés de rein-pancréas (diabétiques de type I) dans le cadre d’un programme mis en place avec les chirurgiens digestifs et le service de diabétologie de Rangueil.
> DU Éducation thérapeutique en 2011, année où le programme Espair (Éducation, santé, parcours et accompagnement des insuffisants rénaux) est agréé par l’Agence régionale de santé.
> Responsable du programme Espair au département de Néphrologie, dialyse et transplantation d’organes à l’hôpital Rangueil du CHU de Toulouse.
> Un patient transplanté peut espérer vivre entre 2,5 et 3,8 fois plus longtemps que s’il était resté en dialyse.
> Le donneur de rein a la même survie qu’un individu ayant conservé ses deux reins.
> Au 1er janvier 2012, 8 942 personnes étaient candidates à une greffe de rein en France.
> Selon l’Agence de biomédecine, en 2011, 302 greffes de rein avec donneur vivant ont été réalisées sur un total de 2 976, soit 10 %. Des chiffres très faibles par rapport à ceux de nos voisins comme le Royaume-Uni (1 000) ou les Pays-Bas (470).