De plus en plus, les patients victimes du cancer sont en rémisssion et rejoignent le monde du travail. Mais le transfert est parfois brutal pour des personnes qui se sentent profondent transformées et pas toujours bien accompagnées. Panorama des difficultés rencontrées et des réponses esquissées.
Lever les obstacles à la réinsertion professionnelle des personnes atteintes de cancer. » L’objectif figure clairement parmi les trente mesures du plan cancer 2009-2013. En effet, chaque jour, en France, 1 000 personnes apprennent qu’elles sont atteintes d’un cancer, parmi lesquelles 400 sont en activité professionnelle. De plus, 75 % des personnes soignées pour un cancer sont en rémission complète à l’issue de leur traitement et 55 % le resteront. Alors, comme aime à le répéter Catherine Tourette-Turgis (lire Interview p. 21) : « Survivre, c’est bien, mais encore faut-il savoir quoi faire de la vie retrouvée. » Le retour au travail est à la fois une évidence au plan de l’insertion sociale, une nécessité pour beaucoup sur le plan économique, voire le parachèvement d’une rémission. D’après une étude menée en 2008
Mais les obstacles peuvent être nombreux avant de pouvoir regagner sereinement le bureau ou l’atelier. Il y a d’abord l’appréhension de la personne elle-même. « Un cancer, cela peut avoir des conséquences sur le physique, alors les gens s’interrogent : comment va-t-on me regarder ? », évoque Monique Sévellec, psychosociologue à la Maison des patients de l’institut Curie, à Saint-Cloud. D’autres se questionnent sur l’intérêt de retourner là où « tout a commencé » avec un questionnement sur ce qui a généré l’apparition du cancer : mode de vie, stress au travail, insatisfaction chronique… ? Pour d’autres encore, le bouleversement qu’a généré la maladie implique une telle réorientation des priorités que le projet professionnel peut éventuellement passer au second plan. Les difficultés se manifestent particulièrement après un arrêt de travail supérieur à 6 mois. Enfin, l’état de santé général reste impacté par les effets secondaires des traitements. Selon un sondage réalisé auprès de 90 actifs ayant subi un cancer
Différents dispositifs d’accompagnement se mettent progressivement en place pour tenter d’améliorer cette période de l’après-cancer et le retour à l’emploi. « L’annonce du cancer produit un effet de sidération qui peut durer jusqu’à la fin des traitements, souligne Monique Sévellec. On ne peut pas penser ça, c’est trop énorme, on tient au jour le jour, traitement après traitement. Et quand ça s’arrête, il y a une sorte d’effondrement, de sentiment d’abandon, de vide qui intervient justement au moment du retour au travail. Certains y retournent directement, avec les risques que cela comporte, notamment sur le versant dépressif… D’autres expriment la demande d’un accompagnement car ce vide-là, c’est ce qui peut permettre de penser ce qui est arrivé… »
Le point de départ de tout accompagnement repose d’abord sur l’envie et le volontariat. « C’est l’une des trois questions essentielles que je pose dans le cadre de mes séances de coaching, explique Géraldine Deblaye, coach professionnel, qui participe au dispositif d’accompagnement mis en place par la Maison des patients. Est-ce que la personne a envie ? Puis, est-ce qu’elle se sent capable, sur le plan physique mais aussi sur le plan psychique. » En effet, les professionnels de l’accompagnement remarquent souvent une perte de confiance en soi, qui peut s’expliquer par le sentiment que le corps a failli ou par la crainte d’une récidive…
Le premier dispositif accessible se trouve généralement au sein de l’hôpital, via les consultations pluridisciplinaires de retour en emploi après un cancer, mises en place lorsque les volontés et les financements existent. Celles-ci rassemblent généralement un médecin, un psychologue et une assistante de service social, réunis dans un même temps ou rencontrés successivement. Elles sont ouvertes à tous les patients victimes d’un cancer, quel que soit le lieu où ils ont été soignés, quel que soit le stade de la maladie ou du retour en emploi. « Nous conseillons les gens, nous répondons à leurs questions et inquiétudes, résume Bénédicte Clin-Godard, chef du service de Santé au travail et Pathologie professionnelle au CHU de Caen. Nous les informons des conséquences des choix qu’ils ont envie de faire (démissionner, par exemple) et orientons la personne vers les services dont elle peut avoir besoin. »
La consultation pluridisciplinaire permet de réaliser un bilan et de formuler des conseils en accord avec le projet et l’état de santé de la personne. L’assistante sociale est une ressource importante pour évoquer les différentes mesures possibles lors d’un retour en emploi (temps partiel thérapeutique, maintien des indemnités journalières liées à l’arrêt de travail, aides sociales potentielles, reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, …) ou faire le lien avec les administrations ou les associations. « Un grand nombre de patients méconnaissent le rôle de l’assistante sociale, souligne Laëtitia Rollin, médecin du travail au service de Santé au travail et Pathologie professionnelle du CHU de Caen. Ils pensent qu’elle n’aide qu’en situation de précarité, alors qu’elle peut faire le lien avec de nombreux interlocuteurs. » Le psychologue, quant à lui, intervient surtout autour de la perte de confiance en soi, des réponses à apporter aux questionnements et attitudes des collègues… « Après trois ans d’expérimentation, nous nous sommes aperçus que les personnes qui avaient bénéficié de l’écoute du psychologue présentaient un taux de retour en emploi supérieur, souligne Laëtitia Rollin. Donc nous la recommandons systématiquement. » Un récapitulatif des conseils formulés à l’issue de la consultation pluridisciplinaire – « comme une sorte d’ordonnance consultative » – est ensuite envoyé à l’oncologue et au médecin de Santé au travail du lieu où exerce la personne.
Mais il n’y a pas nécessairement de suivi, notamment pour les patients qui ne reviennent pas à l’hôpital. Par ailleurs, à Caen, pour compléter le bénéfice de la consultation, des groupes de parole ont été créés. « Nous avons constaté qu’il était important de réunir les patients, qu’ils peuvent s’échanger des trucs, par exemple sur que dire aux collègues au moment du retour, explique Laëtitia Rollin. Ils peuvent aussi entendre qu’ils ne sont pas seuls à rencontrer des difficultés, que d’autres ressentent cette fatigue, ce sentiment de décalage, etc. »
Le collectif est un outil supplémentaire qui est également utilisé à la Maison des patients de Saint-Cloud. Le dispositif proposé comprend des entretiens individuels avec une psychosociologue, des groupes d’échange avec une psychologue du travail et les assistantes sociales de la Caisse régionale d’assurance maladie d’Île-de-France et des séances de coaching, en individuel ou en groupe. Le tout permet une « mise à plat » de la situation dans l’emploi, l’information sur les aménagements de poste et les aides potentielles, la réflexion sur les motivations et appréhensions de la reprise, le choix du bon moment pour reprendre le travail et la construction ou reconstruction d’un projet professionnel. Jusqu’à ce que puisse se poser la troisième question essentielle, pour Géraldine Deblaye : « Est-ce que la personne se sent prête ? Ce qui n’est pas la même chose que se sentir capable. Généralement, les personnes vivent une sorte de déclic à un moment donné de leur cheminement qui indique que c’est le bon moment… »
Autre dispositif utile : la visite de pré-reprise auprès du médecin du travail, initiée sur demande du salarié, de son médecin traitant ou du médecin-conseil de la sécurité sociale. « Malheureusement, le médecin du travail n’a pas été inclus comme prescripteur dans le texte de loi, regrette Pierre Choasson, ancien médecin du travail chez EDF et bénévole au sein de l’association Entreprise et cancer. Mais dans les faits, si nous sommes informés de situations, nous essayons de garder le contact et d’informer le salarié de l’existence de cette visite et de ce qu’elle peut apporter. » Elle permet d’envisager les aménagements nécessaires au regard de l’état de santé du salarié : réduction du volume horaire de travail dans un premier temps (via notamment le temps partiel thérapeutique), aménagement physique du poste de travail, reclassement professionnel, etc. D’après l’enquête DOPAS 2013, 42 % des personnes réintégrées ont bénéficié d’une visite de pré-reprise. « Le dispositif est encore insuffisamment connu », remarque Nathalie Vallet-Renart, co-fondatrice de l’association Entreprise et cancer, à Lyon. Et cette visite doit avoir lieu relativement tôt pour permettre une véritable réflexion de la personne sur son projet. « Je la conseille un mois avant le retour envisagé », indique Pierre Choasson.
Car une fois le travail repris, d’autres difficultés sont susceptibles de surgir. Les points de repère du salarié dans son entreprise peuvent avoir été bouleversés durant son absence. Des aménagements physiques, un turn-over parmi les salariés, une réorganisation de l’activité : dans l’entreprise, le changement et l’adaptation sont permanents. « La meilleure solution pour parer ce sentiment de décalage, c’est de maintenir le lien avec l’employeur, un collègue, durant toute la durée des traitements, explique Anne-Sophie Tuszynski, co-fondatrice de l’association Cancer@work. De simples échanges de mails peuvent suffire, un coup de fil de temps en temps, voire un déjeuner en dehors du lieu de travail quand c’est possible. » Pour d’autres, cela peut être l’accueil des collègues voire de la hiérarchie qui est difficile, ceux-ci ne pouvant pas comprendre la fatigabilité ou les difficultés de concentration s’ils n’ont pas été informés de la pathologie exacte de la personne. D’autres encore vont se trouver face à des comportements de surprotection, voire d’éviction, qui heurtent : 12 % des salariés se sont, ainsi, vu imposer un poste moins intéressant que celui qu’ils avaient au moment du diagnostic et autant disent avoir subi ce changement. « Là aussi, le médecin du travail peut conseiller, l’employeur, cette fois, en toute confidentialité. Nous restons dans le secret professionnel, bien sûr, note Pierre Choasson. Il y a des choses à ne pas faire, comme de mettre la pression au salarié, l’interroger sans cesse sur sa pathologie, lui demander quand il sera là à plein temps… » D’où l’importance du rôle de la médecine du travail, qui rencontre néanmoins des obstacles. « La communication avec le médecin traitant est très difficile, note Pierre Choasson. On ne se connaît pas bien, les généralistes hésitent à partager le secret professionnel et ne nous informent pas des situations ou ne recommandent pas la visite de pré-reprise. » Pour d’autres services de médecine du travail, dit interentreprises, le temps et la disponibilité pour se rendre sur le lieu de travail et bien connaître les postes manque… Cancer@work et Entreprise et cancer s’attelent donc à faire évoluer le monde de l’entreprise pour favoriser le retour à l’emploi. Les deux associations organisent des conférences-débat, ateliers, petits-déjeuners d’information destinés aux managers, aux DRH et à tout salarié intéressé. « Nous informons de l’impact du cancer sur la personne, les difficultés souvent « invisibles » rencontrées alors même que le salarié a été déclaré apte au travail, explique Nathalie Vallet-Renard. À la demande des RH, on peut intervenir auprès d’un salarié, ou d’une équipe au sein de laquelle le retour se passe mal, via du coaching et de la formation. »
Il n’est pas rare, en effet, qu’au retour de son arrêt, le salarié soit regardé d’un mauvais œil parce qu’il n’a pas été remplacé et que ses collègues se sont réparti ses tâches sans compensation, ou bien qu’on lui demande d’en « faire autant qu’avant » alors qu’il n’a pas encore regagné son niveau de performance. « Dans l’entreprise, quand on est malade, on est en arrêt, et quand on revient, c’est qu’on est guéri, note Anne-Sophie Tuszynski de Cancer@work. Aujourd’hui, avec la chronicisation des pathologies, la maladie s’invite dans l’entreprise et il faut permettre aux gens de le dire, en sachant qu’ils peuvent se tourner vers quelqu’un qui comprendra. »
Une des clefs du retour à l’emploi semble, en effet, résider avant tout dans l’anticipation. « Le volet social et professionnel reste insuffisamment pris en compte par le monde de la santé, souligne Anne-Sophie Tuszynski. Bien-sûr, il y a autant de cancers que de personnes et on ne sait pas, au moment du diagnostic, comment la situation va évoluer. Mais il faudrait pouvoir proposer, le plus en amont possible, des choses qui permettent d’entretenir le lien, de s’informer et d’engager un suivi dans le temps. » C’est bien à ces problématiques que semble s’attaquer le second Plan cancer, annoncé en avril 2014. La responsabilisation des entreprises y figure en bonne place, comme la coordination des acteurs du maintien ou de l’accès à l’emploi et la perfection de l’offre de solutions adaptée à chaque personne. « L’insertion des personnes ayant vécu un cancer ou une maladie grave est une préoccupation récente, note Géraldine Deblaye. Il y a des petits bouts d’initiatives qui existent et, maintenant, il va falloir relier tout cela et proposer une certaine cohérence. »
1- Répercussions du cancer sur la vie professionnelle des salariés en Ile-de-France – M. sevellec, N ; lepeltier, MF Bourrillon, S Le Bideau, H Stakowski, E. Morvan, L Belin, B Asselain, in Situations de travail et trajectoires professionnelles des actifs atteints de cancer. Rapport de synthèse des recherches de l’appel à projets Fondation ARC et INCa 2006
2-Sondage LH2/BVA « Les salariés et le cancer » – Janvier 2014.
→ Si 33 % des salariés qui continuent à travailler pendant leurs traitements le font pour ne pas s’enfermer dans la maladie et 12 % par envie, 13 % des personnes atteintes d’un cancer sont dans l’obligation financière de travailler et 15 % s’y obligent par peur de perdre leur emploi.
D’après l’Observatoire sociétal du cancer, « ce sont souvent des ménages déjà économiquement vulnérables (salariés à temps très partiel, ne perçevant pas ou peu d’indemnités journalières, des parents isolés…) ».
15 000 salariés, dont 13 000 femmes, sont concernés par l’absence de revenus de remplacement, parce qu’ils travaillent moins d’un mi-temps.
→ Les professions indépendantes sont également parmi les plus concernées. Dans l’enquête IndepCan, réalisée par la Ligue contre le cancer et le RSI, aucun des professionnels interrogés ne s’était arrêté durant la totalité de ses traitements (alors que, dans l’ensemble, 27 % des patients poursuivent leur activité professionnelle durant cette période).
→ « Travailler avec un cancer. Regards croisés sur les dispositifs d’aménagement des conditions de travail et sur les ressources mobilisées pour tenir ensemble travail et santé », coordonné par Anne-Marie Waser, rapport de recherche du Centre d’études pour l’emploi, mars 2011.
→ Rapport 2013 de l’Observatoire sociétal des cancers. Ligue contre le cancer, avril 2014.
→ « Situations de travail et trajectoires professionnelles des actifs atteints de cancer », Fondation ARC et l’Inca, septembre 2012.
→ Maladies chroniques et travail « Me rendre le travail vivable, maintenant », Dominique Lhuillier et Anne-Marie Waser, Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé http://pistes.revues.org/2885
→ Synthèse du colloque Cancer et travail organisé par l’ARC et l’Inca, le 14 décembre 2010.
→ « Vivre après un cancer. Retentissements psychiques de la maladie et des traitements », Actes du 29e Congrès de la Société française de psycho-oncologie, octobre 2012, Université de Caen.
Les traitements ont représenté une période extrêmement dure pour moi. J’ai découvert que je n’avais pas cotisé suffisamment pour avoir droit à des indemnités journalières. Impossible d’arrêter de travailler. C’était tout une organisation de mon agenda en fonction des séances de chimio et de radiothérapie. Comme je n’étais pas à 100 % de mes capacités, j’ai subi une grosse chute de revenu et je suis tombée dans une réelle précarité. Mais poursuivre mon activité professionnelle m’a également permis de me dépasser, de ne pas me laisser complètement envahir par la maladie. Et, depuis la fin des traitements, mon activité n’a fait qu’augmenter. Je n’ai jamais pris le temps de m’occuper de moi. Je prends tout le travail qui m’est proposé parce que j’ai vu la mort sociale de très près. Cela a été un réel traumatisme. Désormais, j’ai peur de la récidive, pas à cause de la mort, mais en raison des problèmes d’argent que je ne veux pas revivre et de l’avenir que je dois assurer à mes enfants.
Les conséquences du cancer et de ses traitements peuvent ouvrir droit à la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), de manière temporaire ou permanente. Le Code du travail précise qu’elle est attribuée par rapport à « une altération constatée d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielle, mentale, psychique ». Cette reconnaissance permet de bénéficier des mesures d’obligation d’emploi (quotas de postes en entreprises), du soutien du réseau de placement spécialisé Cap emploi et de celui d’un Service d’appui au maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés (Sameth), des aides proposées par l’Agefiph (formation, aménagement de poste, etc.), de règles particulières en cas de rupture du contrat de travail ou d’accéder à la fonction publique par recrutement contractuel spécifique.
La RQTH permet aussi d’accéder à des formations ou des stages de réadaptation et de rééducation. Elle doit être demandée auprès de la Maison départementale des personnes handicapées.