L'infirmière Magazine n° 345 du 15/05/2014

 

DOSSIER

LE POINT SUR…

DENIS RICHARD  

La rupture d’un anévrisme de l’aorte abdominale (AAA) évolué peut être efficacement prévenue.

La sensibilisation aux facteurs de risque et aux symptômes reste toutefois déterminante dans la prévention d’accidents hémorragiques majeurs et souvent fatals.

DESCRIPTION

L’anévrisme de l’aorte abdominale (AAA) correspond au développement progressif d’une dilatation localisée, plus ou moins longue, d’un segment de l’aorte dans son trajet abdominal, le plus fréquemment au niveau sous-rénal (i.e. sous l’embranchement des artères rénales), mais pouvant aussi intéresser les artères iliaques, formant alors un ensemble d’anévrismes aorto-iliaques. Cette dilatation (voir infographie, p. 32) affaiblit de plus en plus les parois du vaisseau : son diamètre s’accroît avec le temps et, même avec une tension artérielle normale, elle peut entraîner sa rupture ainsi qu’une hémorragie souvent fatale.

Épidémiologie

La prévalence de l’AAA augmente avec l’âge : elle passe de 0,5 % à 60 ans à 5 % à 75 ans. Elle affecte plus significativement l’homme que la femme (sex-ratio de 13/1), mais est plus sévère chez la femme dont le diamètre aortique est bien plus réduit. En l’absence d’intervention, la mortalité associée à cette pathologie est très élevée : 80 % des patients victimes d’une rupture décèdent avant leur hospitalisation ou pendant l’intervention de rattrapage. L’AAA reste sous-diagnostiqué en France, bien qu’il occasionne autant de décès que le cancer de la prostate chez l’homme ou celui du sein chez la femme : son dépistage est d’ailleurs obligatoire en Grande-Bretagne.

Symptômes

N’induisant en général aucune manifestation clinique, l’AAA se développe inéluctablement une fois constitué. Il passe souvent inaperçu jusqu’à sa rupture finale. Toutefois, si la croissance de la plupart des anévrismes reste lente, au point de ne jamais atteindre leur point de rupture, d’autres peuvent augmenter rapidement de volume. Dans ce cas, le patient peut ressentir une « pulsation » abdominale (signe peu sensible en cas d’obésité), se plaindre de douleurs lombaires sourdes ou d’une sensibilité particulière à la palpation du thorax. Une douleur irradiante sévère intéressant le dos et l’abdomen, ou le dos et l’aine, ou le dos et une jambe (ou les deux), rebelle aux antalgiques, et/ou des vomissements devrait suggérer un diagnostic de fissuration d’anévrisme de l’aorte abdominale.

La rupture de l’anévrisme se traduit par une douleur violente, souvent sans aucun signe annonciateur, et une hémorragie interne massive occasionnant un décès rapide (parfois en quelques minutes). Un geste chirurgical rapide n’évite pas le décès de 50 % des patients qui en bénéficient. Même en l’absence de rupture, un AAA peut entraîner une embolie des artères fémorales, avec risque d’ischémie et d’amputation distale.

Étiologie

L’étiologie exacte de l’AAA reste inconnue mais la dilatation de l’artère résulte souvent d’une perte d’élasticité de sa paroi, liée à un dépôt d’athérome ou à une fragilisation résultant d’une inflammation (parfois congénitale : maladie de Horton), d’une infection septicé- mique, d’un traumatisme, etc.

→ Certains facteurs de risque sont bien repérés : sexe masculin ; âge > 65 ans ; tabagisme ou antécédents de tabagisme (< 20 ans), constituant un facteur de risque indépendant de l’âge, proportionnel à la durée de l’intoxication et à son intensité ; athérosclérose et hypercholestérolémie ; hypertension artérielle ; antécédents familiaux (susceptibilité génétique).

→ En France, un dépistage ciblé opportuniste de l’AAA est actuellement recommandé par la HAS chez tout sujet masculin à risque car :

– d’âge compris entre 65 ans et 75 ans, présentant un tabagisme chronique ou des antécédents de tabagisme chronique ;

– d’âge compris entre 50 et 75 ans ayant des antécédents familiaux d’AAA.

Ce dépistage est également réalisé chez la femme de 60 à 75 ans fumeuse et/ou hypertendue.

Les études épidémiologiques suggèrent que la prise en charge des facteurs de risque modifiables (lutte contre le tabagisme, correction du profil lipidique, etc.) réduit la prévalence de l’AAA.

DIAGNOSTIC

La Société française de médecine vasculaire (SFMV) qualifie d’AAA toute dilatation excédant 50 % du diamètre normal de l’artère (18-22 mm chez l’homme ; 16-18 mm chez la femme). La plupart des AAA sont décelés lors d’examens médicaux systématiques, pratiqués chez les patients à haut risque par un cardiologue, un médecin spécialisé en médecine vasculaire voire un médecin généraliste. En situation d’urgence, le diagnostic sera porté à la faveur de signes évocateurs d’une fissuration de l’anévrisme, voire de sa rupture, par un urgentiste. Enfin, l’anévrisme abdominal peut être visualisé fortuitement, à l’occasion d’un examen radiologique pratiqué dans un autre but. Le diagnostic est toujours confirmé par une échographie-Doppler. Cet examen permet de mesurer le diamètre maximal de l’aorte et de mettre en évidence d’éventuels anévrismes iliaques, fémoraux ou poplités susceptibles d’être associés à l’AAA. Le cas échant, des examens complémentaires seront réalisés par IRM ou scanner. Une fois ce diagnostic posé, le suivi du patient est fonction du diamètre de l’anévrisme.

→ Entre 30 mm et 50 mm, la croissance de l’anévrisme fera l’objet d’une surveillance échographique à un rythme variable selon le diamètre de l’aorte (mesures indicatives ici pour un sujet masculin) :

– entre 30 mm et 39 mm : tous les 2 à 3 ans ;

– entre 39 mm et 45 mm : une fois par an ;

– entre 45 mm et 50 mm : tous les 6 mois.

Le patient bénéficiera d’une prise en charge thérapeutique globale (suppression du tabagisme, réduction des comorbidités : hypertension, dyslipidémie et notamment hypercholestérolémie, surpoids et amélioration de l’hygiène de vie : lutte contre la sédentarité et le surpoids). La prise systématique d’aspirine à dose anti-agrégante est recommandée.

→ Un anévrisme excédant 50 mm impose un geste chirurgical.

CHIRURGIE

La décision d’intervenir sur un AAA avant sa rupture repose sur divers critères : diamètre du sac anévrismal > 50 mm ; vitesse de croissance de l’AAA > 10 mm/an ; symptomatologie suggérant une possible fissuration ; contre-indications aux traitements des comorbidités. Un risque significatif de rupture de l’AAA fait recommander l’une de ces deux techniques curatives :

→ Intervention par chirurgie ouverte : elle constitue actuellement le traitement de référence de l’AAA (voir infographie ci-contre). L’intervention nécessite entre 3 et 4 heures puis une hospitalisation de 7 à 10 jours. La mortalité postopératoire est d’environ 3 % à 6 %. Les complications restent peu fréquentes : infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral, colite ischémique, insuffisance rénale, infections…

→ Chirurgie endovasculaire. Le geste, réalisé par voie fémorale sans laparotomie, vise à exclure l’anévrisme de la circulation artérielle pour prévenir sa rupture. Le chirurgien y positionne, grâce à un cathéter de pose, une endoprothèse (voir infographie). Cette technique est plus simple et l’hospitalisation plus brève (2 à 4 jours). Une reprise normale des activités est envisagée au bout de 4 à 6 semaines. Cette chirurgie s’est désormais imposée à de nombreux patients mais, elle expose à des complications plus fréquentes que le geste invasif, impliquant de nombreuses réinterventions suite à des fuites internes (endofuites) ou à une migration de la prothèse. Le patient doit donc bénéficier d’une surveillance étroite à long terme.

Sources utiles

→ www.has-sante.fr « Dépistage et prévention des anévrismes de l’aorte abdominale », Haute Autorité de santé (HAS), novembre 2012.

→ Moll F.L., Powell J.T. et al., « Management of abdominal aortic anevrysms clinical practice guidelines of the European Society for Vascular Surgery », Eur. J. Vasc. Endovasc. Surg., 41 (suppl.), pp. S1-S8, 2011.

→ www.sfmv.fr Opération annuelle « Vésale » : dépistage gratuit de l’AAA, Société française de médecine vasculaire (SFMV).