L'infirmière Magazine n° 345 du 15/05/2014

 

INFIRMIÈRE DU TRAVAIL

DOSSIER

LAURE DE MONTALEMBERT  

Face au cancer, les infirmières du travail jouent un rôle essentiel d’accompagnement des salariés touchés. Un rôle tout en subtilité et en discrétion, pas toujours facile à imposer sur le terrain.

Les salariés, on les connaît bien quand on travaille au sein d’une entreprise », explique Anne Barrier, IDT et présidente du Groupement des infirmier (e) s du travail (GIT) (1). Exerçant dans une entreprise industrielle, elle est particulièrement attentive aux salariés atteints de cancer. Elle joue ainsi un rôle de conseil et de proximité dès la phase de diagnostic, si les salariés le souhaitent. De fait, les infirmières dont les missions n’ont cessé d’évoluer ces dernières années, ont un rôle de premier plan à jouer dans l’accompagnement des salariés touchés par le cancer, ne serait-ce que par leurs connaissance de la pathologie et des répercussions des traitements.

Le bureau de l’infirmière est, à cet égard, « un espace de confidentialité facile d’accès à tout moment, où chacun peut s’entretenir avec un professionnel de santé pour poser toutes les questions qui le taraudent », ajoute Marie-Dominique Merrien, IDT au sein d’une entreprise de confection et de vente de vêtements. Un travail en amont qui n’est pas aussi courant qu’on pourrait le souhaiter, les gens n’étant pas forcément en capacité de s’exprimer face au choc de l’annonce. Aussi, les infirmières que nous avons interrogées sont particulièrement attentives à élaborer chaque jour une relation de confiance et de proximité avec les salariés des entreprises où elles exercent, de manière à être perçues comme de véritables ressources, tant dans le domaine médical que psychologique.

Lorsque la situation se présente, l’entretien infirmier sera donc centré sur la prise en compte de ce qui va avoir un impact dans la vie du salarié, comme le temps d’arrêt, les traitements éventuels et leurs effets secondaires ou encore les mesures de protection lors de son retour dans l’entreprise. Un rôle qui nécessite d’être toujours au fait des législations. Trait d’union ­indispensable entre les salariés et le médecin du travail, l’infirmière conseillera, à ce stade, une première consultation médicale, ce qui ne l’empêchera, pas de son côté, de poursuivre un accompagnement psychologique : « J’essaye de les aider à mieux accepter la nouvelle de la maladie », poursuit Anne Barrier.

Très tôt, la question du retour

Une des questions cruciales qui se posent dès ces premiers échanges, est celle des conditions de reprise du travail. Alors qu’un récent rapport de la Ligue contre le cancer pointe du doigt les manquements de certaines entreprises, qui refusent tout bonnement d’appliquer les dispositifs légaux d’adaptation des horaires et des postes de travail, la présidente du GIT se montre plus nuancée. « Le salarié a des droits et l’entreprise des devoirs. Il faut trouver un compromis. Certains emplois ne sont plus compatibles avec l’état de santé de la personne, de manière définitive ou temporaire. Cela aussi, nous devons passer du temps à l’expliquer en amont », souligne-t-elle.

Et de donner l’exemple d’un cadre dont le poste exige de fréquents voyages, déplacements devenus incompatibles avec son état de santé au retour de l’arrêt de travail. Les adaptations ne sont donc pas toujours possibles dans les meilleures conditions. Ainsi, selon le même rapport, un salarié sur huit se verrait proposer, à son retour, une fonction de niveau inférieure. Ces questions seront également abordées avec le médecin du travail, si le salarié souhaite le rencontrer avant le début des traitements. Cependant, dans la majeure partie des cas, ce n’est qu’au moment de l’organisation de la visite médicale obligatoire, après 30 jours d’arrêt, que l’infirmière rencontre l’employé. Un délai qui était de 21 jours jusqu’en 2013, changement que déplorent de nombreuses infirmières, conscientes qu’ainsi les malades ayant des arrêts plus courts, échappent souvent aux bénéfices que cette visite pourrait leur apporter. Lorsqu’elle contacte le salarié pour organiser la consultation médicale de reprise, l’infirmière peut également proposer une visite médicale de pré-reprise – elle est de droit si la durée de l’arrêt de travail excède 3 mois –, au cours de laquelle tous les sujets qui l’inquiètent pourront être évoqués dans un contexte plus informel. Qu’il s’agisse de cette première visite basée sur le volontariat ou de la consultation obligatoire de reprise, Marie-Dominique Merrien en profite aussi, lors de l’entretien infirmier, pour récolter des informations qu’elle transmettra ensuite au médecin. « Les gens sont souvent plus à l’aise avec nous », souligne-t-elle.

Rejet ou bienveillance ?

Dans l’idéal, médecins, services des ressources humaines et infirmières participent donc tous à adapter le poste et les horaires à une reprise dans les meilleures conditions. Il arrive même que les collègues ou l’encadrement du salarié viennent à la rencontre de l’infirmière, se trouvant démunis face à la situation et ne sachant pas comment réagir avec la personne touchée par la maladie. « La réaction est liée à la représentation que chacun se fait du cancer », souligne Anne Barrier, avant d’affirmer qu’elle ressent plutôt une certaine bienveillance qu’un rejet des malades de retour dans l’entreprise. « Il ne faut pas négliger le fait que la reprise du travail est socialement essentielle. On peut même dire qu’elle participe à la thérapie », conclut-elle. Une affirmation que ne contestera pas Pascale Lecetre, IDT au sein d’un laboratoire de recherches et diplômée en sophrologie. « Au cours de mon cursus, j’ai souvent été alertée par l’état psychologique des salariés », raconte-t-elle. « C’est pour cette raison que j’ai cherché un moyen supplémentaire de les aider », ajoute celle pour qui « accompagnement » est le maître-mot face aux personnes atteintes d’un cancer. Elle raconte comment, après le retour d’une femme opérée du cancer du sein, elle a reçu une partie de son équipe, « des gens qui angoissaient de la revoir, ne sachant pas comment réagir ». Les conseils : « Ne pas la surprotéger de manière à ce qu’elle ne se sente pas mise de côté mais, être attentif au moments de fatigue et ne pas hésiter à lui proposer d’aller se reposer au sein de l’espace médical. Redonner également une valeur-travail à la personne et des missions adaptées à ses capacités. »

Le rôle infirmier tend à évoluer

Après une consultation du médecin du travail, celui-ci l’a envoyée vers Pascale Lecetre, afin de lui proposer des séances de sophrologie. Ensemble, elles ont donc « travaillé sur la récupération de la fatigue et la redynamisation ». Une collaboration médecin-infirmière qui ne va pas toujours de soi. L’une des infirmières interrogées avouera même que « certains médecins les considèrent seulement comme des sortes de secrétaires ». Car il persiste une ambivalence de pouvoir entre les interlocuteurs : si l’infirmière dépend hiérarchiquement de la direction des ressources humaines, elle se trouve la plupart du temps sous l’autorité du médecin. Celui-ci étant « mieux écouté que l’infirmière » dans ses remarques et ses recommandations au sein de la DRH, celle-ci a parfois du mal à trouver sa place pour accompagner efficacement les salariés. En fait, la parole des IDT n’est entendue au sein des ressources humaines que lorsque les médecins sont respectueux du rôle propre de l’infirmière et relayent ainsi le fruit d’une collaboration plutôt que de leur avis uniquement.

Au contraire de ses collègues, il est arrivé à Pascale Lecetre de constater une dégradation de l’ambiance de travail autour d’un salarié en traitement. « Dans ce cas, on peut recevoir le supérieur hiérarchique, en présence du médecin ou non », explique-t-elle, non sans insister sur la nécessité de rester disponible à tout moment pour ces personnes souvent déstabilisées. Encore une situation dans laquelle le rôle de l’infirmière peut varier énormément selon le médecin avec lequel elle travaille. Au sein des centres inter-entreprises de médecine du travail, l’accompagnement est souvent limité au moment de la visite médicale. Certaines IDT cherchent cependant à accentuer leur présence sur le terrain. « Mais ne les ayant intégrés que depuis 2 ans, les infirmières commencent à peine à prendre la mesure de toutes les actions qu’elle pourront mener », ajoute la présidente du GIT. Et, comme le souligne Pierre Choasson, ancien médecin du travail chez EDF : « Avec les difficultés à recruter des médecins du travail, leur rôle va certainement se développer. »

1- Lire le référentiel du GIT à destination des infirmiers de santé au travail : http://www.git-france.org