Si l’AP-HP tire un premier bilan positif et volontariste de ses quatre protocoles de coopération entre professionnels de santé, sur le plan national, seuls 28 ont été autorisés. Les lourdeurs administratives qui handicapent le développement des délégations de tâches devraient être allégées par la future loi de santé.
Souvent, j’entends dire que les coopérations seraient poussées par le manque d’argent et les problèmes de démographie médicale. C’est faux, car il existe depuis longtemps une réflexion et une attente sur ce sujet. Mais, aujourd’hui, cela avance plus vite en raison de la pression budgétaire. » C’est sur un ton volontariste que Martin Hirsch, directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), a introduit un colloque sur les coopérations entre professionnels de santé, organisé le 16 mai à l’hôpital Saint-Antoine. À sa suite, le président de la commission médicale d’établissement, Loïc Capron, a exprimé, avec nuances, la bonne volonté des médecins : « Cette osmose entre médecins et IDE, qui fait le soin hospitalier, on veut aujourd’hui la théoriser, la réglementer dans des bouts de papier. Soit ! Il faut sans doute en passer par là pour la reconnaissance des infirmières, mais aussi pour assurer une meilleure qualité des soins. Parce que dans la quasi-clandestinité, nous prenions des risques. »
Issues de l’article 51 de la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) de 2009, les coopérations entre professionnels prennent tout juste corps à l’AP-HP, premier CHU d’Europe. Seuls quatre protocoles à l’initiative d’équipes de soins locales ont été autorisés, quatorze sont en cours d’instruction et cinq sont en projet. Au niveau national, 25 délégations
La lourdeur du dispositif – le protocole doit être étudié et accompagné par l’ARS et validé par la Haute Autorité de santé (HAS) – est dénoncée par les acteurs. « Nous avons essuyé les plâtres », raconte Frédérique Maindrault-Goebel, oncologue à l’hôpital Saint-Antoine, à l’origine du premier projet autorisé à l’AP-HP sur la consultation infirmière de suivi des patients traités par anticancéreux oraux à domicile. « Nous avons écrit notre protocole fin 2010. Il y a eu beaucoup d’allers-retours avec l’ARS. La HAS l’a finalement validé en juin 2012. Cela a été une longue démarche de 2 ans. » « Nous avons traversé d’intenses moments de solitude, nous avons affronté l’opposition musclée de syndicats de médecins libéraux, nous avons eu de fréquentes envies de laisser tomber », a, à son tour, ironisé Olivier Nouel, hépato-gastro-entérologue du CH de Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor), à l’origine d’une coopération, mutualisée avec l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP), de mesure de l’élastométrie du foie avec appareil Fibroscan par une infirmière. Trois ans ont été nécessaires pour valider ce protocole.
Ces laborieuses démarches accomplies, les équipes de l’AP-HP ne cachent pas leur satisfaction. À Saint-Antoine, Frédérique Maindrault-Goebel estime que la coopération « valorise l’aspect éducatif des soins, partie intégrante du métier d’infirmière ». Les oncologues délèguent, en effet, une partie du suivi en hôpital de jour des malades traités sous anti-cancéreux oraux : la prescription de certains examens biologiques et radiologiques, la prescription de certains médicaments à but symptomatiques pour traiter les effets indésirables mais aussi le renouvellement de la chimiothérapie orale.
« Tout est protocolisé, validé par des sociétés savantes, y compris les critères d’alerte du médecin », insiste l’oncologue. Les infirmières Céline da Motta et Géraldine Baldacci estiment que leur travail « permet aux patients de s’autonomiser, de mieux gérer les effets secondaires. Ils sont aussi plus libres de les évoquer avec nous, mêmes quand c’est de l’ordre de l’intime. Les patients sont rassurés, satisfaits ». Elles pointent, cependant, « la difficulté à tenir le rythme du travail en équipe ». Frédérique Maindrault-Goebel invite d’autres équipes de soins, en province, à se saisir de ce protocole : « Le plus dur est fait, il est à votre disposition. »
Une accélération est sensible à travers l’autorisation de protocoles existants. Ainsi, sur dix-huit autorisés en Île-de-France, onze ont été portés dans d’autres régions. « Mais, la plupart sont des coquilles vides », nuance Thierry Amouroux, du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI CFE-CGC). En effet, en Île-de-France, seules trois équipes ont adhéré à ces protocoles importés, et une est en cours d’adhésion. En Rhône-Alpes, sur sept transferts autorisés, deux seulement sont actifs, dont un à l’initiative d’une équipe lyonnaise, déléguant la pose d’une voie veineuse centrale à l’IDE
Avec la prochaine loi de santé, qui devrait être présentée au début de l’été, le ministère compte poursuivre cette impulsion. « Le projet de loi va sans doute permettre aux protocoles de s’étendre à tous les territoires, sans autorisation des ARS. Il s’intéressera aussi aux pratiques avancées », a indiqué Anne Dardel, responsable de la mission études d’impact, métiers et masse salariale à la Direction générale de l’offre de soins (DGOS). Les coopérations existantes vont servir de base à la définition de ces pratiques avancées, qui sont de nouvelles « missions : de diagnostic clinique, d’autonomie dans la prescription et d’éducation thérapeutique. Les métiers-socles vont évoluer », assure Anne Dardel. Ces pratiques avancées devraient offrir de nouvelles possibilités d’évolution de carrières aux IDE, qui se limitent, pour l’instant, au management et à l’enseignement.
Cette évolution fera-t-elle taire les critiques ? Thierry Amouroux n’en est pas convaincu. « Dans les coopérations, ont-ils recruté des infirmières formées sur ces pratiques avancées ? Non, ils ont pris les infirmières de l’équipe, formées 45 heures. Nous ne sommes pas hostiles à des coopérations qui nous transfèrent des tâches pour lesquelles nous sommes formés, comme la vaccination. Mais, la coopération à Saint-Antoine est extrêmement dangereuse, c’est une perte de chance. Une infirmière ne peut pas renouveler une prescription d’anticancéreux après 45 heures de formation. » Le Collectif interassociatif sur la santé (Ciss), qui regroupe des associations de patients, est sur la même longueur d’ondes. Pour sa présidente, Claude Rambaud, « c’est du bidouillage. Des équipes décident seules de transferts de compétences, de manière désordonnée, sans véritable formation, sans contrôle et sans que personne n’y comprenne rien. D’ailleurs, les coopérations ne marchent pas, c’est un coup d’épée dans l’eau. Nous en sommes-là parce que nous n’avons pas eu le courage d’élargir les compétences infirmières. On y vient autrement, mais de manière informelle et désorganisée ».
1- Tous les protocoles autorisés sont recensés, par région, sur le site de l’ARS : http://bit.ly/Tyk3af
2- Lire notre article publié dans le n° 344 de L’Infirmière Magazine, 01/12/2013, p. 7.