Chaque année, une cinquantaine de médecins et d’infirmiers bénévoles participent à l’assistance médicale du « Sultan-Marathon des Sables », l’une des courses à étapes les plus difficiles au monde. Leur rôle consiste à accompagner les coureurs dans leur défi personnel, tout en veillant à leur santé au quotidien. Une aventure sportive au cœur du désert marocain.
Le Marathon des Sables, c’est un joyeux mélange entre un plan rouge côté boulot, une colonie de vacances sympathique et une sorte de retraite spirituelle qui te permet de lessiver ton cerveau. Quand tu rentres, tu n’es plus le même et après, tu deviens addict… ! » Johan Sibon, infirmier de 38 ans, ne pouvait pas trouver plus juste résumé pour décrire ce que vivent chaque année les Docs Trotter du Marathon des Sables, cette course mythique en autosuffisance alimentaire, longue de 245 kilomètres, réputée pour être l’une des plus difficiles au monde. Ils sont, en effet, près d’une cinquantaine de professionnels à poser, chaque année, dix jours de vacances début avril, pour partir vivre une expérience hors du commun au cœur du Sahara sud-Marocain. Loin des hôpitaux et des services d’urgence qui font souvent leur quotidien, plusieurs médecins et infirmiers bénévoles enfilent le gilet de baroudeur pour accompagner les coureurs tout au long de leur défi. « Notre mission consiste à laisser les concurrents vivre leur aventure sans qu’ils mettent leur santé en péril », expliquait déjà, en 2002, le regretté Gaston Peltre, fondateur de « Doctrotter(r) Medical Consulting Assistance »
Samedi 5 avril, 6 h 45, début des festivités. Dans la tente blanche qui fait office de clinique ambulante, non loin des dunes de Merzouga, Frédéric Compagnon, médecin urgentiste au centre hospitalier de Coulommiers et directeur médical des Docs Trotter sur le Marathon des Sables, distille ses recommandations du jour. « Aujourd’hui, votre rôle consiste à vérifier les certificats médicaux des coureurs ainsi que leur électrocardiogramme… » « Et s’ils l’ont oublié ou qu’il n’est pas conforme ? » interroge un jeune infirmier. « Ils ont une pénalité et doivent le refaire sur place avant d’avoir notre accord pour prendre le départ de la course. » Une heure plus tard, une dizaine de binômes médecin-infirmier sont déjà répartis sur les petites tables rondes, installées sous l’immense tente marocaine montée pour l’occasion. « Cette première journée permet de distribuer les transpondeurs
14 h. Un peu plus loin, sous une autre tente, un groupe d’une quinzaine d’infirmières, médecins et podologues s’est formé autour de Marie-Madeleine Even. « Je suis la “Jeanne Calment” des Docs Trotter », souffle cette infirmière-anesthésiste de 57 ans. « J’ai commencé il y a 18 ans, l’année où les Docs Trotter ont été créés et, depuis, je reviens chaque année. J’ai même participé à la course à quatre reprises avec d’autres Docs Trotter. Cela m’a permis de mieux comprendre les coureurs et leurs besoins. » C’est elle, en effet, qui forme l’ensemble des nouveaux arrivants à l’art du pansement. « La majorité des pathologies traitées durant la course concernent les ampoules aux pieds, explique-t-elle. Il est donc important d’homogénéiser nos soins afin de ne pas perturber les coureurs pendant la course. » D’autant que l’objectif des soins ici est particulier : « Le coureur doit être en mesure de courir avec son pansement. Nous devons donc faire en sorte que ce soit le plus confortable pour lui. »
Dimanche matin, 8 heures. Le grand départ est imminent. Toutes les tentes du bivouac sont déjà démontées et repliées. Les malles métalliques du matériel médical, les sacs de réanimation et les scopes-défibrillateurs ont été dispatchés par l’équipe des Docs au petit matin, entre le camion de la clinique ambulante et les différentes voitures qui filent déjà vers les différents points de contrôle du parcours. Là-bas, des tentes berbères vont être montées pour permettre aux soignants d’y prodiguer les premiers soins éventuels. « Le planning quotidien et les répartitions des Docs Trotter sur les différents postes sont faits en amont, un mois avant la course, explique Frédéric Compagnon, qui a commencé à s’investir auprès de Gaston Peltre, il y a une quinzaine d’années. Nous essayons au maximum, en fonction des compétences professionnelles de chacun, de les faire passer sur tous les postes. Durant la journée, l’ensemble des Docs sont répartis entre les différents points de contrôle, le bivouac et les dix voitures-commissaires qui font les allers-retours sur le parcours. Chaque médecin et chaque infirmier a aussi une garde de nuit durant la semaine… et certains peuvent être amenés à occuper des postes un peu particuliers, comme cette année, sur la longue étape de 80 km où l’on va déposer des Docs Trotter sur le sommet d’un jebel et demander à deux autres de le gravir aux côtés des derniers coureurs. Car ce sont des endroits très difficiles d’accès, même en hélicoptère. Bien sûr, pour ces postes, on prend toujours des personnes volontaires et en bonne condition physique qui connaissent déjà parfaitement la course. » L’occasion pour ceux-là de vivre au plus près l’effort des coureurs. « C’est génial de fermer la course de cette façon et de pouvoir profiter aussi de ces paysages magnifiques », se régalent déjà Eddy et Aurore, IDE et Docs Trotter cumulant à deux eux dix participations au Marathon des Sables.
Plus loin, de l’autre côté du jebel, Marie-Madeleine et ses acolytes surveillent déjà les premiers coureurs du peloton qui arrivent sur le deuxième point de contrôle (PC) de cette longue étape. Nous sommes le mercredi 9 avril, il est 13 heures et le soleil est déjà haut dans le ciel. « N’oublie pas de boire mais aussi de t’asperger », suggère l’infirmière avant de redonner quelques pastilles de sels à un autre concurrent. À côté d’elle, Marie-Danielle Manson, dit « Mada », questionne : « Tu ne veux pas t’arrêter un peu pour te reposer ? » Le coureur la regarde, sourit et lui tape gentiment la joue avant de signifier un « non » de la tête et de reprendre sa route. « Il part avec ses copains mais on va quand même le signaler au PC 3, car il a un gros coup de mou », annonce-t-elle avant de transmettre l’information par talkie-walkie. « Notre rôle est vraiment d’aller vers les coureurs, de leur demander si tout va bien et de vérifier qu’ils n’ont pas de problème à s’hydrater, expliquera plus tard Dominique Di Vincenzo, médecin généraliste et urgentiste à Breil-sur-Roya (Alpes-Maritimes) et sportif aguerri (il a participé au Marathon des Sables en tant que coureur en 2010, aux côtés de Marie-Madeleine Even et Christophe Lacarrière, chirurgien-dentiste des Docs Trotter). Il est vraiment très important d’anticiper les problèmes, de leur rappeler de prendre leurs capsules de sels, voire de les freiner en leur conseillant de se reposer un peu dans les tentes mises à leur disposition. Car les coureurs ont beau dire qu’ils connaissent leurs limites, avec le soleil et les kilomètres parcourus, ils ne sont parfois plus très lucides… » C’est pourquoi l’information circule sans cesse entre les différents postes de contrôle, par talkie-walkie, mais aussi grâce aux cartes médicales personnalisées que chaque concurrent se doit de garder sur lui et sur laquelle est notée la moindre intervention. Et s’il faut les arrêter pour un problème de santé, « nous essayons toujours au maximum de les aider à en prendre conscience afin que ce soit eux qui prennent la décision de l’abandon », insiste Frédéric Compagnon.
Minuit. La nuit est tombée et le ciel s’est paré de son plus beau manteau d’étoiles. Au PC 4, Florence Buffet, infirmière-urgentiste, et Milca, infirmière en réanimation, ont sorti de leurs sacs, des masques de carnaval. « La quatrième étape est la plus longue et la plus difficile pour les coureurs. Nous essayons donc de trouver des astuces pour leur redonner de l’énergie, sourit Florence. En les faisant rire, nous les distrayons de leur marche, ils pensent un peu moins à leurs douleurs et repartent avec le sourire. » Car l’objectif pour les Docs est bien de les aider à aller au bout de cette aventure en six étapes…
« Il faut vraiment aimer le contact pour se porter volontaire ici, juge Nicole, elle aussi infirmière-urgentiste, qui en est déjà à sa 10e participation. Car il faut savoir les écouter et leur redonner de l’énergie quand ils sont au creux de la vague. D’autant que, parfois, ce n’est pas le corps qui flanche mais le moral… »
Heureusement, les Docs Trotter peuvent compter sur « la solidarité très forte » et « l’ambiance chaleureuse » qui règnent entre eux. « C’est une expérience très forte, que ce soit avec les docs comme avec les coureurs », admet Milca, qui a découvert la course l’année dernière par l’intermédiaire d’une collègue. « Je ne suis pas une grande sportive mais cela m’a permis de découvrir un univers que je ne connaissais pas : le dépassement de soi. Le plus émouvant, c’est d’ailleurs peut-être de revoir tous ceux qui voulaient arrêter dans les premières étapes et qui sont toujours là grâce à nos encouragements, parce que nous avons su trouver les mots pour leur redonner le moral ou parce qu’on leur a permis de continuer à avancer malgré une ampoule douloureuse. »
Johan Sibon, lui, ne compte plus le nombre de fois où les coureurs qu’il a soignés sont venus le remercier. « Un Anglais que j’avais perfusé l’année dernière est même revenu me saluer cette année, en me reconnaissant sous la tente. » À la fin de la course, sur la ligne d’arrivée, il n’est pas rare que certains coureurs tombent dans les bras des Docs qui les ont « sauvés ». Les larmes d’émotions et de bonheur font d’ailleurs partie du décor de cette aventure où les amitiés se tissent parfois bien plus vite et plus fortement qu’ailleurs. Pas étonnant qu’ils soient si nombreux – coureurs comme Docs Trotter – à rempiler année après année…
1- Créée en 1996 par Gaston Peltre, chirurgien-orthopédiste, « Doctrotter (r) Medical Consulting Assistance » est une société de prestation médicale, d’assistance, de conseils en médicalisation, d’assistance médicale de terrain pour raids sportifs ou événements télévisés.
2- Le transpondeur est une puce attachée à la cheville des coureurs qui permet de s’assurer qu’ils sont bien passés à chaque check-point.
Pour rejoindre l’équipe de Docs Trotter, « il faut avant tout être très motivé » prévient Frédéric Compagnon qui sélectionne les candidats sur dossier, avant de leur faire passer un entretien téléphonique et de les convier à un week-end de préparation. Car, en plus des journées de travail intenses, « il faut accepter les contraintes quotidiennes telles que les douches légères, les déjeuners debout en plein cagnard ou les nuits courtes sous de grandes tentes à plusieurs ».
Côté formation, « nous prenons beaucoup d’infirmiers des services d’urgences et de réanimation car nous avons besoin de personnes polyvalentes et réactives, qui peuvent assurer aussi bien les soins urgents en cas de problème pendant la course, que les soins de pieds et petits pansements sur le bivouac ».
Même si les places restent chères et que la liste d’attente s’allonge, « il ne faut pas hésiter à tenter sa chance », assure le responsable. Tous les ans, un tiers des Docs est renouvelé. Une façon d’apporter de l’enthousiasme et un regard neuf à chaque édition.
→ 4 tonnes de matériel médical. Soit 80 malles métalliques, dont un échographe, un mini-laboratoire, du matériel de dentiste, 18 sacs de réanimations et 16 scopes-défibrillateurs
→ 5 kilomètres d’élastoplast
→ 125 litres de désinfectant
→ 500 litres de perfusion 75 coureurs et 20 membres de l’organisation (dont 4 Docs Trotter) ont été perfusés cette année
→ 15 000 compresses stériles
→ 3 000 paires de gants
→ 15 interventions héliportées et 2 évacuations sanitaires
→ 1 400 soins de pieds et 80 soins dentaires
→ 6 000 contacts médicaux
→ Mais aussi : 12 voitures, 1 camion, 2 ambulances et 1 hélicoptère dédié