FONCTION ACHATS
DOSSIER
De plus en plus sollicités, les cadres de santé sont en première ligne dans la procédure des achats. Leur rôle évolue et inclut désormais gestion et analyse économique.
Les cadres de santé ont toujours été concernés par les commandes de leur établissement. « De part notre métier, c’est inévitable. Toute personne qui encadre le bloc opératoire est forcément confrontée aux procédures achats », souligne Laurent Delattre, cadre de santé Ibode, au centre hospitalier de la région de Saint-Omer (Pas-de-Calais). Mais depuis cinq ou six ans, cette implication a changé. « Notre rôle est de collecter les demandes des différents intervenants du bloc, explique-t-il. Aujourd’hui, il va plus loin que cela. Nous essayons de comprendre le juste besoin et d’orienter les achats pour éviter la multiplication des références, donc des formations des personnels qui les utilisent ou d’éviter des surplus non nécessaires. » Tout un vocabulaire est entré à l’hôpital : rationalisation, rentabilité, business plan… et les cadres doivent dorénavant donner de la pertinence à leurs commandes. Ce qui signifie passer d’un acte auparavant administratif à une réflexion économique. « Avant, nous achetions sans concertation, se souvient-il. Désormais, tout est étudié, centralisé. Il faut justifier, analyser, évaluer la rentabilité. Être plus impliqué dans la gestion. »
Si les soignants sont davantage partie prenante dans le processus achat, c’est qu’ils possèdent l’expertise du terrain que les acheteurs, par définition, ne peuvent pas avoir. « Nous représentons les utilisateurs, explique Éliane Roland, cadre du pôle chirurgie et anesthésie du CH de Saint-Omer. Nous connaissons les besoins. Par exemple, si nous devons acheter un échographe ou un bistouri dernière génération avec plein de gadgets, type couteau-suisse, nous sommes capables de montrer qu’ils ne correspondent pas au besoin réel. »
Martine Fromholz est cadre supérieure de santé des blocs opératoires au CHU de Strasbourg. « Nous sommes infirmières avant d’être cadre, rappelle-t-elle. Notre expertise de terrain s’est construite tout au long de nos années d’Ibode au bloc. » Elle intervient dans tous les essais nécessaires aux achats, du choix de la tenue professionnelle et des sabots jusqu’au gros matériel. « Nous avons réalisé des essais sur des éclairages. Pour ce type d’essais, il est difficile d’être en conditions réelles avec fixation au plafond. Dans ce cas précis, les éclairages sont mobiles et leur positionnement a été organisé avec les infirmières de salle d’opération qui ont les connaissances des agencements nécessaires, en fonction du type d’interventions. » Et elles ont tout intérêt à s’intéresser au processus car elles sont les premières utilisatrices des objets négociés. « C’est important d’avoir le matériel adéquat avec les quantités nécessaires, souligne-t-elle. Par exemple, si l’ouverture d’un sachet de gant ne se fait pas correctement et oblige à en prendre trois, cela entraîne une déclaration fastidieuse de matériaux-vigilance, l’agacement des soignants et un gaspillage financier. » Même pour des produits a priori hors de son champ d’expertise, l’appui de l’IDE reste indispensable. « Je suis déjà intervenue à propos de prothèses dont nous ne comprenions pas le référencement », indique-t-elle.
Sensibilisée aux dépenses via les plans de retour à l’équilibre financier des hôpitaux, depuis six à sept ans, l’infirmière a choisi de participer à « Armen », l’un des volets du programme Phare
Laurent Delattre et Éliane Roland ont également participé à Armen, en fin d’année dernière. Ils ont réfléchi à des solutions de mise à disposition, plutôt qu’à des locations, lorsque les appareils nécessitent des consommables, aux réorganisations possibles du travail (horaires ou spatiales) pour optimiser le matériel et éviter de trop acheter, ou encore, à la gestion des stocks parfois cachés parce que mal référencés. Avec la réorganisation par pôle et la prégnance des achats dans leurs missions, le métier de cadre de santé a fortement évolué et les soignants attendent une formation « Achats » qui leur permettrait de parfaire leur expertise.
Certains sont d’ailleurs directement passés à cette fonction, en tant qu’acheteurs ou dans un nouveau poste : conseiller technique auprès des achats. Marianne Honnart-Thomas, cadre supérieur, fait ainsi le lien entre soignants et acheteurs depuis quatre ans, au sein de la direction des affaires économiques du CHU de Dijon. L’établissement fait figure de grand pionnier sur ce poste, créé il y a plus d’une dizaine d’années. Aujourd’hui, elle observe de plus en plus l’apparition d’homologues dans les petits et les grands établissement de santé. Elle a été séduite par l’aspect transversal de la fonction touchant tous les services de l’hôpital. « J’avais déjà accepté un poste transversal en hygiène avec beaucoup de relations avec les achats, explique l’infirmière passée par une école de cadre, avant d’obtenir un diplôme universitaire (DU) Hygiène et le concours de cadre supérieur. J’ai toujours trouvé que nous avions un rôle à jouer dans les achats en tant que soignants pour s’assurer d’avoir les produits les plus adaptés. » Marianne Honnart-Thomas travaille donc avec tous les services du CHU sur les achats non stériles. Elle apporte son expertise de terrain et gère l’analyse du besoin avec les soignants concernés, soit par téléphone soit en allant les rencontrer directement dans les unités de soin, pour cerner au mieux la demande. Et de visu, les soignants discutent de tout, d’éventuels dysfonctionnement de produits ou de l’approvisionnement et de leurs futurs besoins. « Je travaille en amont autant que possible, explique-t-elle. Je réalise l’analyse du besoin mais je contacte également les fournisseurs avant le lancement des appels d’offres pour connaître les nouveautés, les dernières innovations. Je peux ainsi contribuer à moduler un appel d’offres afin que le produit acheté corresponde au marché et aux besoins. »
Par exemple, pour l’achat de lames de laryngoscopes, Marianne Honnart-Thomas a contacté les différents fournisseurs pour connaître l’évolution des produits depuis trois ans (date du dernier marché). Elle a ensuite réuni les personnels concernés, Iade et anesthésistes pour comprendre les besoins en usage unique ou multiple, plastique ou métallique. « J’ai travaillé avec l’acheteur pour faire bouger les lignes de l’appel d’offres et ne pas être captif avec un seul fournisseur pour trois besoins très différents, raconte Martine Honnart-Thomas. Nous avons fait trois lots : un à destination des enfants, un pour les adultes et un pour le Smur. » Après le lancement de l’appel d’offres, la cadre supérieur a organisé des essais impliquant une cinquantaine de personnes. « Tous les Iade intubent, souligne-t-elle. Et c’est un produit sensible. » Les testeurs ont noté les différentes lames puis les notes ont été pondérées avec le prix proposé par le fournisseur.
Interface entre les achats et les soignants, Marianne Honnart-Thomas doit souvent faire preuve de pédagogie dans une culture hospitalière en plein bouleversement. « Nous sommes contraints par les budgets. Nous devons cibler nos besoins réels pour éviter les gaspillages, avoir les dernières technologies et assurer qualité et facilité des soins. Il faut que les soignants comprennent qu’ils doivent faire des efforts pour faire des choix. Mais le message passe de mieux en mieux. »
1- Performance hospitalière pour des achats responsables