Œsophagite sous alendronate - L'Infirmière Magazine n° 347 du 15/06/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 347 du 15/06/2014

 

FORMATION CONTINUE

IATROGÉNIE AU QUOTIDIEN

DENIS RICHARD  

1. DESCRIPTION DU CAS

Madame T., 68 ans, présentant une ostéoporose post-ménopausique, s’est vu prescrire un biphosphonate (Fosavance® 70 mg d’alendronate + 2 800 UI de vitamine D), à raison d’un comprimé par semaine, à jour fixe. Elle est régulièrement hébergée en unité de psychiatrie pour des exacerbations de maladie bipolaire, à type de dépression et, c’est précisément pendant l’une de ses hospitalisations que les examens ont pu être faits, à la suite d’une fracture du poignet) et le traitement prescrit.

Quelques heures après la première prise de son nouveau médicament, la patiente se plaint d’une brûlure rétrosternale qu’elle décrit elle-même comme analogue à celle ayant accompagné jadis un reflux gastro-œsophagien (RGO). Il s’agit de douleurs hautes, à type de brûlures, siégeant derrière le sternum.

Effectivement, Madame T. présente des antécédents digestifs récurrents, allant de troubles du transit intestinal à des douleurs de la sphère haute, ayant donné lieu à un diagnostic de RGO et de reflux pharyngo-laryngé (RPL).

Elle avait été traitée, il y a trois ans, d’abord par un simple topique digestif (Gaviscon) puis, les signes étant récurrents, par un inhibiteur de la pompe à proton (Inipomp).

Madame T. respecte, en outre, des mesures simples d’hygiène de vie : surélèvement léger de la tête du lit, absence de consommation d’alcool ou d’épices, etc. Elle n’a plus présenté ce type de douleur depuis cette période.

QUE S’EST-IL PASSÉ ?

La nature et la localisation des douleurs rapportées par la patiente sont fortement évocatrices d’une atteinte œsophagienne. La survenue des signes peu après la prise de Fosavance intrigue : peut-il y avoir un lien avec ce médicament ? Ces effets sont-ils donc iatrogènes ? Cette explication est retenue par le médecin de l’unité qui pose un diagnostic d’œsophagite iatrogène, associée à la prise d’alendronate.

Une hypothèse renforcée par le comportement de Madame T. lors de la prise du médicament. Elle reconnaît ne pas avoir compris les explications nombreuses données par l’infirmière qui, la veille au soir, a déposé son comprimé sur sa table de chevet, en lui disant qu’elle devrait le prendre bien avant le petit déjeuner.

Elle a donc avalé le comprimé avec une gorgée d’eau et s’est recouchée en attendant l’heure habituelle du lever, ne voyant pas pourquoi « faire tant de chichi » pour un simple comprimé.

2. RAPPEL : QU’EST-CE QUE L’Alendronate ?

L’alendronate est un amino-bisphosphonate. Il se localise préférentiellement dans les sites de résorption osseuse, à proximité des ostéoclastes, cellules destructrices de la trame osseuse. L’alendronate n’interfère pas avec leur recrutement, mais il inhibe leur activité : il favorise ainsi la formation d’un os normal, incorporant directement le médicament dans sa matrice (il y reste pharmacologiquement inactif).

Ce médicament n’a pas d’effet direct sur la formation de l’os, mais son administration entraîne cependant un gain progressif de masse osseuse. Il est connu comme susceptible de provoquer des irritations de la muqueuse œso-gastro-intestinale, notamment en cas d’antécédents de lésions digestives ou d’association à un médicament ayant le même type de toxicité (anti-inflammatoire non-stéroïdien notamment).

→ Des réactions œsophagiennes (parfois sévères au point de justifier une hospitalisation), telles que des œsophagites, des ulcères œsophagiens et des érosions œsophagiennes, rarement suivies de sténoses œsophagiennes, sont ainsi rapportées.

→ Les hémorragies restent exceptionnelles et les atteintes plus basses (estomac, intestin) plus rares.

Par ailleurs, ceci explique que son administration puisse aggraver une maladie digestive sous-jacente.

→ En présence d’une affection gastro-intestinale haute évolutive, il sera prescrit avec prudence : dysphagie, maladie œsophagienne, gastrite, duodénite, ulcères, antécédents récents remontant à moins d’une année d’une affection gastro-intestinale majeure (ulcère gastro-duodénal, saignement gastro-intestinal en évolution ou intervention chirurgicale du tube digestif supérieur autre qu’une pyloroplastie).

Ceci explique que l’administration d’un biphosphonate soit contre-indiquée, notamment, en cas de maladies de l’œsophage qui retardent le transit œsophagien (sténose et achalasie, par exemple) ou encore d’incapacité à se mettre en position verticale ou à pouvoir tenir assis en position verticale pendant au moins 30 minutes.

Facteurs favorisant cette réaction

Toute situation favorisant la stase du comprimé d’alendronate dans la cavité buccale ou dans l’œsophage favorise une réaction iatrogène locale. Il convient à cet égard d’être vigilant s’agissant des modalités d’administration de l’alendronate (voir ci-après) comme le souligne le cas de cette patiente.

L’origine exacte des lésions est discutée : elles pourraient résulter d’une dégradation de la membrane phospholipidique des cellules de la muqueuse.

Le médecin mais aussi, bien sûr, l’infirmière, doivent rester vigilants quant à l’existence de signe ou symptôme suggérant une atteinte œsophagienne iatrogène chez tout patient traité par un biphosphonate : dysphagie, odynophagie, douleur épi-gastrique, apparition ou aggravation de brûlures rétrosternales.

Un malade présentant de tels signes ou symptômes doit suspendre immédiatement le traitement et consulter son médecin.

3. D’AUTRES MÉDICAMENTS EXPOSENT-ILS À CE RISQUE ?

Divers médicaments exposent à des atteintes iatrogènes susceptibles d’affecter tout le tractus digestif, allant de la simple lésion asymptomatique aux complications fatales (perforation, hémorragie). Parmi celles-ci, les lésions œsophagiennes ne sont pas exceptionnelles.

→ La toxicité résulte souvent d’un contact direct : tous les facteurs mécaniques interférant avec le transit œsophagien (ex : décubitus, ingestion insuffisante de liquide d’accompagnement de la prise, sténose œsophagienne, reflux, etc.) favorisent donc les réactions iatrogènes. Les lésions les plus fréquentes sont des ulcères du bas œsophage, rarement compliqués d’une hémorragie ou d’une perforation, et des sténoses.

→ Les médicaments d’usage banal volontiers impliqués sont, outre les biphosphonates – objet de ce cas –, les anti-inflammatoires non-stéroïdiens (AINS), le chlorure de potassium, les sels de fer, le Kayexalate (une résine échangeuse d’ions administrée en cas d’hyperkaliémie)…

→ Les médicaments modifiant le cycle de division des cellules affectent souvent le tractus digestif, sur des segments plus ou moins étendus pouvant inclure l’œsophage, car les cellules s’y multiplient rapidement : il s’agit avant tout de médicaments cytotoxiques utilisés en cancérologie (Taxol ou 5-FU notamment) ou de la colchicine.

4. EN PRATIQUE : QUELLE RÉPONSE APPORTER ?

Modalités d’absorbtion

Pour permettre son absorption adéquate, le comprimé de Fosavance est pris :

→ En entier : il ne doit être ni écrasé, ni croqué, ni laissé dissoudre dans la bouche car cela favoriserait le risque de formation de lésions oropharyngées (ulcère buccal notamment) ;

→ Après le lever, une fois la patiente debout (jamais en position allongée ou simplement demi-assise) : il ne doit jamais être administré au coucher ou avant le lever ;

→ Au moins 30 minutes avant l’absorption des premiers aliments, compléments alimentaires, boissons, médicaments de la journée (et ce, même si ces médicaments sont des antiacides, des spécialités contenant du calcium ou des vitamines) ;

→ Avec un grand verre d’eau du robinet (c’est-à-dire 200 ml au minimum ; pas d’eau minérale) : toute autre type de boisson, y compris l’eau minérale, les aliments ou certains médicaments risquent de diminuer l’absorption digestive et donc l’efficacité de l’alendronate, dont la résorption orale est déjà très limitée (ainsi, son absorption est-elle de 0,8 % lorsque les conditions sont idéales, mais de seulement 0,3 % si le médicament est pris avec un café ou du jus d’orange ; elle est quasiment nulle s’il est avalé après le petit-déjeuner).

→ En restant debout jusqu’à l’absorption des premiers aliments, donc au minimum une demi-heure après sa prise.

Information du patient

→ Il importe que ces instructions soient rappelées régulièrement au patient, que l’on s’assure qu’il en a mesuré toute l’importance et qu’il les respecte.

→ En cas d’oubli d’une dose, un patient sous Fosavance doit être averti qu’il doit la prendre le lendemain matin du jour où il s’en aperçoit. Il ne doit pas prendre deux comprimés le même jour, mais revenir à une prise hebdomadaire (en se basant sur le jour choisi initialement).

→ Le risque de survenue d’effets indésirables œsophagiens semble plus important chez les patients qui ne suivent pas correctement ces instructions et/ou qui continuent à prendre le médicament bien qu’ils présentent des signes évocateurs d’une irritation.

CE QU’IL FAUT RETENIR :

→ La survenue de lésions œsophagiennes iatrogènes concerne divers médicaments d’administration fréquente comme, notamment, les anti-inflammatoires non-stéroïdiens (AINS), le chlorure de potassium ou les biphosphonates.

→ Elles peuvent être prévenues en respectant scrupuleusement les conditions d’administration des traitements et en les expliquant en détail aux patients.

BIBLIOGRAPHIE

→ « Effets indésirables associés au traitement par bisphosphonates », Rizzoli R., Forum Med. Suisse, 12 (16), pp. 323-326, 2012.

→ Atteintes médicamenteuses du tractus gastro-intestinal : une revue clinico-pathologique, Pusztaszeri M. et al. (2010). Rev. Med. Suisse, 6, pp. 1650-1655.

→ « Esophagitis associated with the use of alendronate », De Groen P. et al. (1996), New Engl., J. Med, 335 (14), pp.1016-1021.