L'infirmière Magazine n° 347 du 15/06/2014

 

MÉDICAMENTS

ACTUALITÉ

AVELINE MARQUES  

Autrefois rares, les ruptures de stock constituent désormais le lot quotidien des professionnels de santé à l’hôpital.

Dantrium®, Digoxine®, Esidrex®, Levothyrox®… L’Agence na­tionale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a comptabilisé plus de 200 ruptures et risques de rupture de produits indispensables en 2013, contre 44 en 2008 ; une cinquantaine étaient indisponibles début juin. Parce qu’ils sont utilisés dans la prise en charge de pathologies graves ou chroniques, qu’une interruption de traitement est une perte de chance ou qu’ils n’ont pas d’alternative thérapeutique, ces ruptures posent un vrai problème de santé publique.

Fin mai, le Leem (1) a présenté une enquête menée auprès de 90 laboratoires (princeps, génériques, vaccins…) ayant déclaré des ruptures entre septembre 2012 et octobre 2013. Elles ont duré, en moyenne, 3 mois, et jusqu’à 13 mois pour certains produits. L’enquête révèle « un faisceau de causes », identifiées à tous les niveaux d’une chaîne « complexe » et désormais mondialisée. « La fabrication d’un médicament dure minimum 4-5 mois et jusqu’à un an, voire plus pour les vaccins. Les étapes sont nombreuses et les risques de rupture aussi », relève Christophe Ettviller, président du groupe Distribution du Leem.

Zéro défaut

Les ruptures ont été provoquées, à 33 %, par une défaillance dans la production (problème technique, de qualité…), à 28 % par une augmentation des ventes, et à 16 % par l’indisponibilité des matières premières, produites en majorité en Chine et en Inde. Les 180 ruptures passées au crible ont concerné à hauteur de 28 % des médicaments indispensables avec, en tête, les traitements hormonaux puis les anti-infectieux, anti-cancéreux et médicaments agissant sur le système nerveux central.

L’hôpital est plus touché que l’officine : les médicaments spécifiques aux établissements ont constitué 32 % des ruptures ; 41 % d’entre elles ont affecté aussi bien la ville que l’hôpital. Les produits injectables sont plus à risque. Complexes à produire, ils nécessitent « des technologies sophistiquées et des conditions de stérilité draconiennes », explique Nathalie Le Meur, présidente du groupe Ruptures du Leem. Dans « une industrie où le zéro défaut est de rigueur », le moindre problème grippe toute la chaîne de production. « Les solutions injectables stériles ont une date de péremption plus courte que les comprimés. Les stocks sont moindres à tous les niveaux », note le Dr Badr Eddine Tehhani, pharmacien à l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille et représentant de l’Ordre des pharmaciens. Les industriels pointent aussi les baisses de prix, notamment des antibiotiques injectables. Le seuil de rentabilité n’étant plus atteint, la production s’arrête ou est réservée à des marchés prêts à payer plus cher, comme les États-Unis.

Sur le terrain, « c’est le système D », dénonce Thierry Amouroux, secrétaire général du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI). Les infirmières ont désormais pris l’habitude de « courir après l’interne pour changer la prescription ». Quant aux pharmaciens hospitaliers, ils passent un temps inouï à trouver des solutions : générique, molécule bioéquivalente, dépannage auprès d’un autre établissement… « Il nous est arrivé d’aller chercher en urgences à l’aéroport un produit anti-hémophilique, raconte Badr Eddine Tehhani. Que l’hôpital n’ait pas le traitement, c’est incompréhensible pour le patient. » « Le pire qui nous est arrivé, c’est de décaler un traitement d’un jour, rapporte Laurence Escalup, pharmacienne à L’Institut Curie (Paris). On alerte le personnel sur les changements de formule ou le générique pour qu’il fasse attention. Cette gestion quotidienne fait qu’on est moins présent sur d’autres actions bénéfiques aux patients, comme l’observance ou l’éducation thérapeutique », déplore-t-elle.

Alerte

Face à des ruptures ayant affecté 30 % des anti-cancéreux en 2013, l’établissement a augmenté ses seuils d’alerte sur les produits sensibles. « Les centres de lutte contre le cancer se sont unis pour ajouter des clauses dans les marchés, obligeant les fabricants à avoir 3 mois de stock en France et permettant de faire appel à un autre laboratoire en cas de rupture. » Une solution difficile à mettre en œuvre à l’hôpital, soumis au Code des marchés publics. Face à la multiplication des ruptures de stock, les autorités ont tenté de responsabiliser les acteurs. Le décret du 28 septembre 2012 prévoit la mise en place par les laboratoires d’un centre d’appel d’urgence et les oblige à informer l’ANSM des ruptures potentielles. Le ministère prépare une liste de médicaments d’intérêt thérapeutique majeur, qui feront l’objet de mesures particulières en cas de pénurie. En l’absence de sanction financière pour les contrevenants, elles seront inefficaces, met en garde le SNPI.

1- Les entreprises du médicament.

RUPTURES

→ Les ruptures de stock, liées à un problème sur la chaîne de fabrication, se distinguent des ruptures d’approvisionnement, intervenant sur le circuit de distribution. Ces dernières sont définies par le décret du 28 septembre 2012 relatif à l’approvisionnement en médicaments à usage humain comme « l’incapacité pour une pharmacie d’officine ou une pharmacie à usage intérieur de dispenser un médicament à un patient dans un délai de 72 heures ».