Au sein du service de soins de suite et de réadaptation (SSR) de l’hôpital marin d’Hendaye (AP-HP), le pôle « Handicaps lourds et maladies rares neurologiques » accueille une quarantaine de patients. Le combat de l’équipe pluridisciplinaire est de faire oublier la maladie.
Laurent regarde la mer. Installé dans son fauteuil roulant, seul en haut du chemin qui descend à la plage, il fait face au vent. Atteint depuis six ans d’une ataxie de Friedreich, pathologie neuro-musculaire héréditaire d’origine génétique, ce père de trois enfants affronte la maladie avec calme. Son environnement familial et les moments de répit que lui octroie l’hôpital marin – ainsi qu’à ses proches – participent au ralentissement de l’évolution de la maladie. À sa droite, deux rochers, les « deux jumeaux », émergent de l’océan, à sa gauche, au loin, le Pays basque espagnol. Plus bas, la longue plage, accessible en fauteuil, accueille, en été, les activités et les installations « Handiplage » proposées par l’hôpital, dont l’emplacement offre, tout au long de l’année, un cadre de vie aux effets thérapeutiques appréciables.
Créée en 2003, l’unité de soins Ribadeau-Dumas est dédiée aux soins de suite et de réadaptation (SSR) pour les handicaps lourds, notamment les blessés médullaires tétraplégiques hauts sous assistance respiratoire et les maladies rares neurologiques. Le cœur de la prise en charge repose sur une intention essentielle : faire oublier la maladie. La mise en place d’un tel service a été initiée par la chef de pôle, Brigitte Soudrie, ancien chef de clinique dans le service de chirurgie orthopédique de l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul, à Paris. « Une battante portée par une mission de service public », résume Catherine Beitia-Pochulu, cadre de rééducation. Le combat de Brigitte Soudrie, entamé il y a plus de 20 ans, à son arrivée à l’hôpital marin, est toujours d’actualité. Elle ne cesse de solliciter les pouvoirs publics et les hauts responsables pour que ce type de prise en charge soit décliné ailleurs qu’à Hendaye, car le manque de telles structures spécialisées est considérable. « Quand j’ai vu le défi à relever, que tout était à faire, je me suis dit que je n’allais pas m’ennuyer. Il fallait déchroniciser tout cela. En faire un site d’accueil, au sens propre du terme, et de répit », se souvient-elle. Car une personne en situation de handicap ne doit pas être doublement pénalisée, elle doit pouvoir vivre autrement que par le prisme du soin. « La vie avant tout, affirme-t-elle. Et dans la dignité. »
Installée dans un bâtiment récent, face à l’océan, l’unité surprend par l’énergie contagieuse des soignants et des patients. Entre les deux grandes baies vitrées, de part et d’autre du service, la vie bat son plein. Patricia, aide-soignante, aide Laurent à boire à l’aide d’une paille. À ses côtés, Stéphane, 42 ans, atteint d’une sclérose latérale amyotrophique (SLA) et dont l’hospitalisation est prévue pour deux mois, ne cesse de plaisanter. Sa présence, pleine d’humour et touchante à la fois, fait de lui le bout-en-train de l’unité. « Ce qui a structuré la prise en charge, c’est d’avoir organisé l’unité en quatre secteurs, en fonction des pathologies. Cela facilite le travail, note Cécile Cadena, infirmière. Toute l’équipe a suivi une formation de relation d’aide. On a également mis en place un groupe de réflexion de pratiques. » Sans oublier le soutien de Stéphanie Sanchez-Labarrec, psychologue, à l’écoute des difficultés lors des transmissions. Le pôle accueille, d’un côté, les patients souffrant de la maladie de Huntington et les blessés médullaires hauts ventilo-dépendants ; de l’autre, les maladies rares neurologiques. Quarante lits sont répartis dans les quatre ailes du bâtiment – bleue, verte, jaune et rouge –, accessibles, domotisées et dotées de dispositifs spécifiques et sécurisés. Un soignant doit pouvoir intervenir en quelques secondes, notamment dans l’entité jaune où les patients blessés médullaires sous assistance respiratoire sont accueillis directement après leur sortie de réanimation (La Pitié-Salpêtrière, Bicêtre, Henri-Mondor, Lariboisière). « Une telle prise en charge est colossale. Elle nécessite un ratio infirmier important et un rôle équivalent à celui qui est mis en place dans les services de réanimation », assure Danièle Baron, cadre de santé.
Installation délicate, massage bucco-facial des patients LIS (Locked-in Syndrom), toilette d’une heure ou plus… Nombre de soins sont lents et complexes. « Le travail effectué avec des patients atteints de maladies neuro-dégénératives est différent de la prise en charge de patients tétra-hauts sous assistance respiratoire, trachéo-ventilés, qui bénéficient de séances de rééducation respiratoire pour tenter d’arriver à un sevrage, explique Christel Maitia, infirmière. Nous avons appris à gérer la ventilation avec les premiers myopathes arrivés dans le service et aussi, à gérer les stress : alarmes, saturomètre, sonnettes. Il arrive que tout aille très bien et que, tout à coup, il y ait un bouchon sur une canule. Heureusement, nous ne sommes jamais seuls, le travail se fait en binôme. Enfin, la communication et l’écoute sont primordiales car ces patients ne peuvent se débrouiller sans notre aide. » Tous les deux mois, les 16 infirmières et les 35 aides-soignants changent de secteur au sein du pôle. Leur travail est parfois difficile mais avec des satisfactions énormes. « Lorsqu’un patient prend sa première douche, se lève pour la première fois, est décanulé… toutes ces petites évolutions sont de grandes réussites », poursuit-elle.
Pour Kévin, jeune adulte qui a quitté l’unité après trois années d’hospitalisation jalonnées de hauts et de bas, il aura fallu un accompagnement constant, solliciter la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) et les politiques, mener le projet jusqu’au bout. Tétraplégique haut suite à un accident de voiture causé par un tiers, il vit aujourd’hui chez lui dans une maison adaptée à son handicap et à ses besoins, grâce au financement de son assurance. Son père, restaurateur, a quitté son emploi et s’est reconverti en auxiliaire de vie pour son fils. Le soutien des infirmières a également été d’une grande aide. Car les phases de découragement des patients sont souvent extrêmes. « Ce qu’il faut, c’est approfondir, écouter, redonner envie », développe Catherine Beitia-Pochulu. Et dans un deuxième temps, envisager une vie sociale hors de l’hôpital. « On a beaucoup appris sur le tas, comme pour la prise en charge de la SLA ou des trachéo-ventilés post-réanimation, précise Danièle Baron. Le bon sens, la complémentarité des uns et des autres est au cœur de notre travail. Si on travaille ici, il faut être au clair avec les valeurs du soin, les valeurs éthiques. Nos patients demandent de la disponibilité, de l’humanité. »
La prise en charge multiforme et pluridisciplinaire est donc importante : soins, resocialisation, activités physiques et culturelles, ouverture sur l’extérieur. Chaque stade de la maladie associe, à des degrés divers, des disciplines différentes : kinésithérapie, psychomotricité, ergothérapie, diététique, soins culturels et psychologiques. Car le séjour permet, à la fois, un répit physique et psychologique pour l’entourage et les aidants, comme pour les patients, et assure un suivi social sur plusieurs années. « J’ai la chance de travailler avec une très bonne équipe, portée par chaque soignant, chaque intervenant et chaque malade. Les infirmières, je les appelle mes internes, mes têtes pensantes. Face à la souffrance psychologique des patients, elles savent s’ajuster, leur parler », précise Brigitte Soudrie. Les prises en charge spécifiques et adaptées, au cas par cas, font de son service une entité particulière. « La prise en charge de ces patients n’est pas facile, elle nous remet en cause dans nos certitudes éthiques. C’est une philosophie de soins. Pour travailler ici, il n’y a pas d’autre voie que d’être motivé », affirme Patrice Canevet, infirmier. Chaque séjour est encadré par une charte de collaboration qui, grâce à un recueil de données ciblées établi en lien avec les associations, définit les objectifs propres à chaque pathologie : SLA, maladie de Huntington, de Charcot, ataxies et syndromes cérébelleux, maladies neuromusculaires, LIS, blessés médullaires ventilo-dépendants, traumatismes crâniens, polyhandicap, IMC.
Adressés majoritairement par les centres de référence « Maladies rares » franciliens de l’AP-HP ou provinciaux (Bordeaux, Toulouse, Angers, Limoges) et par les correspondants « Médecine physique et de réadaptation » (MPR) à l’AP-HP (Garches, La Pitié-Salpêtrière), les patients arrivent à l’hôpital marin pour des séjours plus ou moins longs. Des bilans de réadaptation et de rééducation attentive, ainsi que de nouvelles perspectives de prise en charge permettent de réajuster le parcours difficile de ces malades. Au sein de l’établissement, une maison des parents de huit studios facilite les allées et venues des proches. Il faut dire que le maintien de l’autonomie – aussi ténue soit-elle – est également au cœur de la prise en charge. Ralentir les troubles de la marche, conserver les acquis : la sollicitation du corps est essentielle malgré l’évolution de la maladie ou du handicap. Mobilisation, étirements, verticalisation pour changer de position mais aussi de regard et favoriser l’appui, entretien respiratoire…, les exercices et les soins de l’équipe de rééducation sont nombreux. « Nous essayons de conserver la marche pour ceux qui le peuvent, travaillons sur la stabilité, l’équilibre et surtout l’autonomie. Avec ceux qui ne marchent pas, nous travaillons les transferts », explique Saymano Thirakul, l’un des huit kinésithérapeutes de l’équipe.
Outre les soins, c’est le projet du retour à domicile qui est travaillé, un projet long, parfois laborieux à concrétiser : le travail pluridisciplinaire avec l’assistante sociale permet de solliciter les assurances, les MDPH, afin d’organiser l’installation, au domicile ou dans un nouveau lieu adapté. Tout cela se fait dans une atmosphère d’échange, d’humour, d’empathie et de respect des habitudes de vie, souvent ritualisées, même s’il s’agit de fumer une cigarette de temps en temps.
Les 40 patients de l’unité présentent différentes pathologies à tous les stades. « La qualité de la prise en charge est fondamentale, insiste Brigitte Soudrie. L’évolution d’un patient peut être influencée par ses conditions de vie. Nous allons donc nous concentrer sur son environnement. » Relation conjugale, passe-temps, bien-être, capacité à se faire plaisir, à bien dormir, tout est lié et permet de lutter contre les symptômes, voire même, de ressentir une amélioration. De fait, l’équipe vise un rééquilibrage général, physique et psychologique, avec une réévaluation médicamenteuse et diététique. Enfin, en encourageant une activité régulière, la prise en charge et les projets prennent sens.
Une vraie interaction entre soin et vie éducative et culturelle existe au sein du service. « Le mot clé ici est “soins culturels”, confirme la chef de pôle. Cette dynamique est immergée dans le service et motivée par un combat idéologique : celui de redonner un sens et du goût à la vie. » À l’exemple des projets – parfois fous – mis en place au fil des saisons par Pantxika Haramboure, éducatrice, et Jean-Michel Giansanti, animateur socio-culturel : sorties nocturnes, repas au restaurant, participation au Marathon des sables – marathon en plein désert marocain –, descente de la vallée Blanche avec un patient tétraplégique ventilé, organisation de spectacles. Sans oublier les activités qu’ils animent quotidiennement : piscine, sorties culturelles, ateliers d’écriture, équithérapie… Le tout, entrepris dans un cadre de sécurité optimale.
Les histoires de vie, le respect des valeurs de chacun, permettent de s’adapter aux patients, de les accompagner dans chaque phase de la maladie, de réveiller leur potentiel, leur richesse. « Nous sommes des tuteurs, des révélateurs. Notre rôle fait partie du soin au quotidien et donne la possibilité d’oublier la maladie. Nous travaillons souvent dans une urgence lorsqu’un séjour est court, d’où l’importance de l’inter-relation », insiste Jean-Michel Giansanti. « Les patients sont sur des versants de vie douloureux, physiquement et psychologiquement. Ce n’est pas toujours évident, il faut parfois s’accrocher » ajoute Pantxika Haramboure.
Dans l’enceinte de l’hôpital, un petit ranch permet aux patients de monter à cheval. Véritable passerelle entre ateliers et soins, « l’équithérapie permet de visualiser les acquis, qui peuvent être transversaux, et de basculer vers d’autres activités, explique Bisbau Xabi, équicien (professionnel de la relation d’aide à médiation équine) et maître des lieux. Sur un cheval, les mouvements de chorée, par exemple, s’arrêtent, comme dans l’eau. Cet apaisement et cette détente musculaire sont magiques. » Martine, 48 ans, atteinte d’une maladie génétique rare non diagnostiquée, s’enthousiasme : « Sans les mains ! » Au trot, la bride lâchée, c’est la première fois qu’elle monte à cheval. Plus tard, en posant les pieds à terre, soutenue par l’éducatrice, elle confie : « C’est incroyable. On oublie la maladie, on se sent vraiment comme les autres. » Près d’elle, Stéphane observe en riant : « Être malade, ça n’empêche pas de faire du sport. » Et lance : « Génial Brigitte, tu rentres dans l’histoire ! »
Suivi à la Pitié-Salpêtrière, Stéphane, 42 ans, est atteint d’une sclérose latérale amyotrophique (SLA). Lourdement handicapé, il effectue son premier séjour à l’hôpital marin de Hendaye. « Ce ne sera pas le seul et j’en ai envie. Ici, je suis chouchouté, j’ai la carte VIP, s’amuse-t-il. Tout a commencé il y a plus d’un an, lorsque j’ai commencé à perdre mes forces. En trois semaines, j’ai perdu l’usage de mon bras droit et puis le reste a suivi : diagnostic de la maladie, perte de l’usage de la jambe gauche puis de la jambe droite. Je suis en train de faire les démarches pour recevoir des aides de la MDPH, en vue de mon retour au domicile. Ici, on me propose un répit, une aide technique et mon premier fauteuil, avec une rééducation douce. J’ai beaucoup perdu, mais j’ai encaissé le plus gros. » Sa force, il la doit à l’amour de ses deux enfants, 7 et 12 ans. « Je suis philosophe : mieux vaut que ça me soit arrivé à moi, plutôt qu’à mes enfants. Ils ont besoin de moi. Et puis, si ma maladie, difficile à cerner et avec beaucoup de ramifications, peut servir à la science… »
L’hôpital marin d’Hendaye a remporté, le 14 juin dernier, le Trophée Patients 2014 (AP-HP) dans la catégorie « Mieux vivre à l’hôpital, Adulte/ Gériatrie », pour son site « Handi-Plage » qui propose un lieu aménagé permettant l’accès à la plage des personnes à mobilité réduite.