L'infirmière Magazine n° 349 du 15/07/2014

 

FORMATION CONTINUE

IATROGÉNIE AU QUOTIDIEN

DOCTEUR GUY CHATAP  

1. DESCRIPTION DU CAS

Mme H., âgée de 68 ans, est hospitalisée pour une altération de l’état général et fonctionnel, sur fond de céphalées chroniques devenant invalidantes. Elle ne quitte son lit que pour réaliser ses besoins intimes. Ces céphalées se sont aggravées depuis 2 ans, au décours de la révélation de la maladie grave de sa fille, avec 3 à 4 épisodes par semaine : les crises durent 3 à 5 heures, avec une intensité évaluée à 8 sur 10 sur l’échelle numérique. Elle a comme antécédents : une hypertension artérielle non traitée et une sévère dépression avec un séjour en hôpital psychiatrique. L’ordonnance de son médecin traitant comporte : Séresta 50 mg (2 cps/j), Seropram 20 mg (1 cp/j), Tiapridal 100 mg (3 cps/j), Lamaline (8 cps/j), Acupan (2 amp/j), Imovane 7,5 mg (1 cp/j).

À son admission, Mme H. est tendue, visage crispé. Elle nous apprend qu’elle s’achète du Panadol 500 mg, et qu’elle en prend, lors de ses crises, jusqu’à 6 cps/j. Les céphalées sont décrites comme diffuses, s’installant sans facteur déclenchant précis, lui donnant l’impression d’avoir la tête sous un casque, s’accompagnant de nausées, photophobie, phonophobie, de troubles du sommeil, d’irritabilité, et que toute activité physique lui est alors très pénible.

Les examens biologiques sont normaux, dont l’ionogramme, la créatinine et le bilan hépatique. Le scanner cérébral et l’électroencéphalogramme sont également sans particularité.

Il est rapidement décidé un sevrage des divers traitements, à l’exception du Seropram ; la patiente est prise en charge par une psychologue, une psychomotricienne et une kinésithérapeute.

Après 15 jours, les céphalées ont complètement disparu ; Mme H. est détendue, souriante, a recouvré une complète autonomie fonctionnelle et peut rentrer chez elle, après une information sur les risques de l’auto-médication et la mise en place d’un suivi psychologique.

QUE S’EST-IL PASSÉ ?

Les céphalées sont induites, chez cette patiente, par une consommation excessive d’antalgiques et, notamment, de paracétamol. Celui-ci est présent non seulement dans la Lamaline prescrite par son médecin traitant mais aussi dans le Panadol qu’elle prend hors contrôle médical.

Les céphalées par abus médicamenteux sont une entité clinique spécifique reconnue par l’« International Headache Society ». Le diagnostic est probable lorsque la prise médicamenteuse est régulière, dure depuis plus de 3 mois, avec une consommation supérieure à 15 jours par mois pour les antalgiques non opioïdes, ou supérieure à 10 jours par mois pour les autres traitements (opioïdes, triptans, antalgiques combinés), sur des céphalées présentes au moins 15 jours par mois.

Non rares, ces céphalées constituent un problème de santé publique méconnu : elles seraient en cause dans 60 à 80 % des cas de céphalées chroniques quotidiennes, vus dans les centres spécialisés, et dans 30 % des céphalées chroniques dans la population générale.

La plupart des antalgiques peuvent être impliqués, comme la caféine, la codéine, les triptans, le tartrate d’ergotamine, l’ibuprofène et le paracétamol. Leur mécanisme n’est pas élucidé.

2. LE PARACÉTAMOL : RAPPEL

Le paracétamol, molécule en vente libre, en France, et contenu dans de très nombreuses spécialités, est le principal antalgique du palier I de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Son mécanisme d’action n’est pas encore complètement élucidé mais les dernières études indiquent qu’après sa métabolisation au niveau du foie, il est transformé en p-aminophénol qui passe dans le sang, arrive dans le cerveau où il se combine avec l’acide arachidonique pour donner un acide gras appelé 14Z-eicosatetraenamide (AM404), qui agit sur des récepteurs TRPV1 localisés à la surface des neurones et impliqués dans la modulation de la douleur.

Indications

Médicament le plus prescrit en France, le paracétamol est indiqué dans le traitement symptomatique de la fièvre et des douleurs par excès de nociception d’intensité faible à modérée, seul ou en association à d’autres analgésiques.

Présentations et posologie

Le paracétamol existe soit seul sous plusieurs dénominations, soit inclus dans de nombreuses spécialités pharmaceutiques (voir tableau ci-contre). Il peut se présenter sous différentes formes ou conditionnements : cachets, comprimés effervescents, gélules, granulés, sirops, poudre à diluer, suppositoires, formes injectables. Après administration, son délai d’action est de 30 à 60 minutes selon la forme pharmaceutique, avec un pic de l’effet antalgique obtenu en 60-90 minutes, et un effet durant 4 à 6 heures.

Chez le nourrisson et l’enfant, la posologie recommandée est de 15 mg/kg toutes les 6 heures ou 10 mg/kg toutes les 4 heures.

Chez l’adulte, la dose maximale recommandée est de 4 g/j en prises espacées d’au moins 4 heures.

Effets indésirables

Ils sont rares, principalement représentés par : des anomalies hématologiques (leucopénies, neutropénies, thrombopénies), des éruptions cutanées, des réactions d’hypersensibilité (choc anaphylactique, urticaire, œdème de Quincke) et des hypotensions artérielles pour la forme injectable. Des cas d’altération de la fonction rénale sont décrits.

Surdosages

Un surdosage important, volontaire ou accidentel (dès 100 mg/kg chez l’enfant et 8 g chez l’adulte) peut entrainer une hépatotoxicité grave, parfois fatale. Les signes de l’intoxication apparaissent généralement 24 à 48 heures après l’ingestion : des troubles digestifs (nausées, vomissements, douleurs abdominales) s’associent à une élévation progressive des enzymes hépatiques, pour culminer en 72-96 heures avec un ictère, une encéphalopathie, une insuffisance hépatocellulaire, des troubles de l’hémostase, pouvant mener à une hépatite fulminante potentiellement fatale. L’hépatotoxicité peut également survenir aux doses recommandées, sur des sujets fragiles : alcoolisme ou malnutrition chronique, insuffisance rénale sévère ou hépatique préexistante, adultes dénutris.

L’administration rapide de N-acétylcystéine peut permettre une évolution favorable de la fonction hépatique.

Interactions

L’association du paracétamol à une antivitamine K nécessite un monitorage attentif de l’INR, car l’effet anticoagulant et le risque hémorragique sont augmentés.

Certains inducteurs enzymatiques comme la carbamazépine, le phénobarbital, la phénytoïne ou la rifampicine abaissent le seuil d’hépatotoxicité du paracétamol.

Selon la méthode utilisée par le laboratoire, les dosages de la glycémie et de l’acide urique peuvent être faussés chez un sujet sous paracétamol.

Des complications rares mais graves et parfois fatales ont été rapportées chez des patients traités par antirétroviraux pour un Sida et prenant du paracétamol, aux posologies recommandées, et qui ont présenté des réactions cutanées à type de nécrolyse épidermique toxique ou d’éruption pustuleuse généralisée.

3. EN PRATIQUE

Le paracétamol est généralement bien toléré. Il peut être pris à tous âges, ainsi que pendant la grossesse et lors de l’allaitement.

→ Il est important de s’assurer que la dose maximale recommandée n’est pas dépassée et de vérifier sur les notices que le patient ne prend pas d’autre médicament contenant du paracétamol.

→ Il est recommandé de respecter au moins 4 heures entre 2 prises, voire 8 heures chez les sujets à risque (insuffisance rénale, alcoolisme chronique, dénutrition, personnes âgées fragiles).

→ Chez l’enfant et le nourrisson, la posologie doit être adaptée au poids et non à l’âge.

→ La durée du traitement doit être la plus courte possible.

→ La voie orale est à privilégier, y compris chez l’enfant et le nourrisson, car l’absorption du paracétamol en suppositoire est inconstante. Les comprimés orodispersibles n’offrent aucun avantage en termes d’efficacité ou de rapidité d’action.

→ Une surveillance de la fonction rénale est souhaitable en cas de prise prolongée.