L'infirmière Magazine n° 349 du 15/07/2014

 

SYNDROME DE PRADER-WILLI

RÉFLEXION

CATHERINE FAYE  

Peu connu, le syndrome de Prader-Willi nécessite une prise en charge complexe qui interroge en permanence le rôle du soignant. Martine Giraud du Poyet, cadre de santé à l’hôpital marin d’Hendaye (AP-HP), analyse la complexité des symptômes et des comportements qu’induit la maladie.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Pouvez-vous nous expliquer ce syndrome de Prader-WILLI ?

MARTINE GIRAUD DU POYET : Caractérisée par une anomalie du chromosome 15, cette maladie génétique rare touche 1 personne sur 10 à 15 000. Ce syndrome s’illustre, à la naissance, par une hypotonie sévère avec des difficultés alimentaires. De plus, le bébé ne répond pas aux sollicitations affectives de ses parents. La nourriture par sondage peut durer près d’une année. Puis, vers l’âge de 2 ou 3 ans, une inversion s’opère : la demande alimentaire devient permanente. Deux pôles sont altérés. D’abord, le pôle organique avec une hyperphagie, menant à une obésité et ses effets secondaires (diabète, affections ostéo-articulaires, troubles métaboliques, cardio-vasculaires et respiratoires), un hypo-développement sexuel et des troubles de la croissance. Et le pôle psychiatrique avec une absence de contrôle des émotions, des troubles du comportement, de la personnalité, de l’apprentissage, des fonctions cognitives et un handicap mental de léger à moyen. À ce jour, il n’existe aucun traitement spécifique à ce syndrome.

L’I. M. : Comment s’expriment les difficultés des patients au quotidien ?

M. G. DU P. : Leur adaptation sociale est difficile. Peu accommodants, ils ont des idées fixes, ont du mal à percevoir les émotions des autres et à vivre les leurs. C’est un véritable handicap de la communication car ils ne comprennent pas toujours ce qui se passe autour d’eux. Impulsifs, souvent colériques, ils cherchent à manger, chapardent à la moindre occasion et ne peuvent se plier à une alimentation adaptée. Leur quête alimentaire est une véritable prison. Ils souhaiteraient être autres mais ne parviennent à se défaire de cette addiction, qui peut devenir obsessionnelle, allant jusqu’à chercher de la nourriture dans les poubelles ou ingérer plusieurs pots de pâte à tartiner au chocolat d’affilée. La seule façon de les protéger est de cadenasser les réfrigérateurs, voire la cuisine entière. Au quotidien, c’est très dur à vivre pour toute la famille. Par ailleurs, il leur est difficile, voire impossible, de suivre un cursus scolaire classique, de voir leur fratrie prendre leur envol quand eux restent dépendants. Enfin, le regard des autres est souvent cruel et sans indulgence. Leur vie n’est faite que de séparations, car vivre en cellule familiale est compliquée et le placement en institution souvent nécessaire.

L’I. M. : À l’hôpital marin d’Hendaye, votre unité se consacre aux maladies rares. Comment se met en place le suivi des patients ?

M. G. DU P. : Les séjours permettent de faire un bilan de santé physique et mentale, de proposer un accompagnement dans la perte de poids et la réadaptation à l’effort et de construire un projet de soins de suite et de réadaptation. Tout est mis en place pour anticiper leurs troubles. Rejetés, ils sont des oiseaux dans une cage trop lourde, enfermés dans un corps-prison. Ici, ils viennent se ressourcer, lâcher prise avec leur quotidien et se sentir un peu apaisés. Entourés d’autres personnes souffrant de la même maladie, ils posent leur valise, se sentent beaux dans le regard de leurs congénères.

On ne peut pas aborder ces patients s’ils ne sont pas en confiance. Dès l’entretien d’accueil, une infirmière, un aide-soignant et un éducateur sont dédiés à chaque malade en tant que référents. Le patient les identifiera très vite et saura se tourner vers eux pour répondre à ses attentes. L’entretien est pluridisciplinaire : il réunit un psychiatre, un psychologue, un médecin et les équipes soignante, éducative et rééducative. Ici, cette interaction permanente est la base de chaque prise en charge. La qualité de l’accueil et de l’écoute du patient, comme de sa famille, est essentielle pour un accompagnement cohérent. Sans cette étape d’apprivoisement, rien n’est possible dans cette unité car le risque serait de créer de nouveaux troubles du comportement, liés principalement à l’anxiété et à la frustration. C’est l’alliance que nous mettons en place dès le début qui est le nerf de la guerre : il s’agit d’une vraie rencontre. L’objectif est d’être partenaires de ce qu’ils vivent au quotidien.

L’I. M. : En quoi un tel accompagnement est-il nécessaire ?

M. G. DU P. : Les parents, parfois vieillissants, sont en grande demande, les proches à bout de nerfs : « Aidez-nous à ne pas détester notre enfant », peuvent-ils avoir envie de nous dire. À la lisière de la normalité, les malades mettent tout le monde en difficulté, y compris eux-mêmes. Très ritualisés, ils n’aiment pas le changement, tiennent aux promesses. Égocentrés, ils privilégient les relations avec les adultes. Entre eux, c’est différent : ils existent les uns à côté des autres, engagent des joutes de pouvoir ou de séduction. Les amitiés ou inimitiés sont fluctuantes, tout comme les amours, immédiates et éphémères.

Ce temps d’hospitalisation a différentes facettes. Il offre un répit aux familles comme aux patients et permet à ces derniers, éventuellement, de retrouver la motivation et la volonté de reprendre une alimentation adaptée. Pendant leur séjour, nous sommes attentifs à tout, un grain de sable ayant des conséquences aussi inattendues qu’excessives. L’infirmière a un véritable rôle de chef d’orchestre dans notre unité. Elle organise son travail et celui des aides-soignantes avec qui elle collabore en fonction des soins, des rendez-vous et des départs pour les activités prévues, mais aussi en fonction de la capacité de certains malades à patienter (ou pas), d’une colère qui éclate brusquement, d’un passage à l’acte violent imminent si l’on n’intervient pas immédiatement…

L’I. M. : Le rôle du soignant a-t-il été interrogé ou réinterrogé ?

M. G. DU P. : Au fur et à mesure, de manière déductive, nous avons appris et affiné notre prise en charge, avec la mise en place de stratégies, de règles de vie, de supports visuels et écrits individualisés. Le tout dans un cadre sécurisant. Un vrai travail de coordination d’équipe est nécessaire afin d’avoir un discours cohérent, des réponses semblables, des règles communes. Notre rôle consiste à avancer pas à pas avec les patients, du lever au coucher, en organisant les actes de leur vie quotidienne en fonction de leur (s) handicap (s), de leur poids, de leur problématique médicale. Pourtant, chaque journée est différente : à nous de nous adapter, d’allier soin et approches humaine et éducative. L’accompagnement est déjà de pouvoir évaluer la capacité d’un sujet pour lui laisser le plus d’autonomie possible. L’hygiène repose sur un encadrement important chez ces personnes, souvent en obésité morbide, en raison de lésions de grattage très fréquentes qu’elles présentent, de mycoses, de l’état des plis cutanés, de leur difficulté à réaliser seules une partie de la toilette. Notre rôle est également pédagogique, en complémentarité avec les éducateurs, avec qui nous partageons action et réflexion. Tout au long de la journée, nous rappelons les règles d’hygiène, de tenue à table et de vie en collectivité. Comme un parent normatif, tout en encourageant, valorisant, rassurant. Et en écoutant aussi beaucoup.

L’I. M. : Cela doit demander une prise en charge particulière et un accompagnement de tout instant…

M. G. DU P. : Le langage et le travail d’équipe sont au cœur de la prise en charge. Nous abordons les malades avec respect et une dose d’humour (même s’ils n’en ont pas), car ils ne voient pas l’émotion chez l’autre, ne la comprennent pas, sauf par le biais du langage, avec des mots simples et précis. Notre prise en charge est un travail de fourmi avec un discours adapté. Il faut avoir envie d’entrer en relation avec le patient, passer au-delà de son langage parfois pauvre, chercher celui qui se cache dans sa prison. Nous ne pouvons pas l’approcher et lui dire, par exemple, de but en blanc que nous allons lui faire une prise de sang : tout doit être anticipé. Un « d’accord » ne signifie pas que c’est gagné. Les négociations commencent souvent dès le réveil : s’il ne veut pas que cela se fasse avec vous, alors on essaie avec un autre soignant. D’où l’importance du travail en équipe, nous fonctionnons avec l’autre et chacun apporte son éclairage.

MARTINE GIRAUD DU POYET

CADRE DE SANTÉ DE L’UNITÉ BRETONNEAU, HÔPITAL MARIN D’HENDAYE

→ 1977, D.E. d’infirmière, institut Florence Nightingale Bagatelle, Talence (33)

→ De 1977 à 1978, infirmière en chirurgie générale, Bordeaux-Bagatelle

→ De 1978 à 1987, infirmière au centre hospitalier de Rochefort-sur-mer

→ 1987, diplôme de cadre infirmier, Poitiers

→ De 1987 à 1990, cadre pédagogique à l’IFSI, Rochefort-sur-mer

→ De 1992 à 2001, cadre de santé à Rochefort-sur-mer

→ 1999, diplôme de sophrologie caycédienne, La Rochelle

→ De 2001 à 2003, cadre de santé au centre de soins de suite Les Flots

→ Depuis 2003, cadre de santé à l’hôpital marin d’Hendaye

ALLER PLUS LOIN

→ Portail des maladies rares et des médicaments orphelins : www.orphanet.fr

→ Le syndrome de Prader-Willi, encyclopédie Orphanet grand public : http://petitlien.fr/78yp

→ L’association Prader-Willi France : http://www.prader-willi.fr

→ CHU de Toulouse, centre de référence du syndrome de Prader-Willi : http://www.chu-toulouse.fr/-documents-disponibles

→ Le syndrome de Prader-Willi, Vivre avec les personnes concernées, Urs Eiholzer, Karger Medical Scientific, 2008.

→ Gabrielle, film de Louise Archambault, 2013. JURIDIQUE