L'infirmière Magazine n° 349 du 15/07/2014

 

AFFAIRE VINCENT LAMBERT

ACTUALITÉ

AVELINE MARQUES  

Le 24 juin, le Conseil d’État (CE), plus haute juridiction administrative de France, a jugé légal l’arrêt des traitements de Vincent Lambert, ancien IDE de 37 ans en état végétatif depuis 2008. Décryptage avec Anne Laude, professeur à l’université Paris-Descartes et co-directrice de l’Institut Droit et santé.

L’Infirmière magazine : Sur quels éléments repose la décision ?

Anne Laude : Le grand intérêt de cette décision du CE est de considérer que l’alimentation et l’hydratation artificielles sont des traitements et que la loi Leonetti ne s’applique pas qu’en fin de vie mais aussi à des patients en état paucirelationnel ou végétatif. Après avoir recueilli l’avis de trois médecins experts, du Comité consultatif national d’éthique et de Jean Leonetti, et au vu de ce qui semblait avoir été la volonté de Vincent Lambert avant son accident, le CE a jugé que la poursuite du traitement relevait de l’obstination déraisonnable.

L’I. M. : Le CE a souligné la singularité du cas. La décision fera-t-elle jurisprudence ?

A. L. : À mon sens, elle fera jurisprudence en ce qui concerne l’obstination déraisonnable dont il faudra aussi préserver les patients qui ne sont pas à proprement parler en fin de vie. Mais il faudra appliquer les critères de cette notion au cas par cas : recueillir la volonté de la personne de son vivant ou, à défaut, grâce aux directives anticipées ou encore, via la personne de confiance, et respecter la procédure collégiale. C’est de son non-respect qu’est partie l’affaire [en avril 2013, le médecin n’avait consulté que l’épouse de Vincent Lambert avant de décider l’arrêt des traitements, NDLR].

L’I. M. : La décision remet-elle en cause la loi Leonetti ?

A. L. : Elle la conforte dans son principe mais le CE va plus loin dans son interprétation des notions de maintien artificiel de la vie et d’obstination déraisonnable pour les patients qui ne sont pas en fin de vie ; ce qui signifie peut-être que les conditions d’application de la loi peuvent être revues. Le débat sur la fin de vie et l’opportunité d’une nouvelle loi a été ravivé, mais pas par la décision en elle-même.

L’I. M. : La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) peut-elle invalider cette décision ?

A. L. : Les parents de Vincent Lambert se sont appuyés sur l’article 39 du règlement de la Cour qui permet de la saisir en urgence pour ordonner à un État de suspendre l’exécution d’une décision qui menacerait la vie de quelqu’un. D’ordinaire, sur le jugement de l’affaire au fond, la CEDH statue en un à deux ans mais elle a dit qu’elle examinerait cette requête en priorité. Les requérants se fondent sur l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme sur le droit à la vie. La CEDH a parfois été amenée à écarter cette disposition au profit du droit à la vie privée, conduisant ainsi à reconnaître un droit au suicide assisté en Suisse, en 2013. Le Conseil d’État a précisé que sa décision était conforme à l’article 2 de la CEDH. Si la Cour venait à invalider la décision du CE, cela pourrait remettre en cause la législation sur la fin de vie et pas seulement en France.