INTERVIEW : CHRISTINE BALAGUÉ, DOCTEUR EN SCIENCES DE GESTION, TITULAIRE DE LA CHAIRE RESEAUX SOCIAUX A L’INSTITUT MINES-TELECOM
DOSSIER
Vice-présidente du Conseil national du numérique (CNNum), Christine Balagué décrypte les mutations et les promesses offertes par les réseaux sociaux, en matière de santé. Sans oublier la nécessaire prudence qu’impose l’usage de ces technologies numériques.
L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Comment en êtes-vous venue à travailler sur les questions de santé ?
CHRISTINE BALAGUÉ : J’ai lancé, en 2011, une chaire de recherche sur les réseaux sociaux à l’Institut Mines-Télécom. Cette chaire vise à comprendre le comportement des organisations (entreprises, institutions, associations…) vis-à-vis des réseaux sociaux, comment elles peuvent, non pas les subir, mais s’en emparer. Ils ont modifié énormément de choses dans le secteur de la santé. Deux types d’informations circulent : « l’information profane », celle produite par les pairs, telle que l’on peut la trouver sur des forums, des sites comme Doctissimo, des blogs tenus par des patients ; et « l’information scientifique », celle produite par des institutions, validée. On constate que les gens ont davantage confiance dans une information délivrée par des pairs que par les institutions, c’est valable pour la santé comme dans beaucoup d’autres domaines.
L’I. M : Comment l’expliquez-vous ?
C.B. : Dans le cadre de mes recherches, j’ai rencontré des médecins pour échanger sur leurs relations avec les patients et les changements apportés par les réseaux sociaux. Les patients trouvent dans « l’information profane » un soutien que ne peut pas procurer l’institution médicale, du fait de son organisation : un accompagnement dans la vie quotidienne, un soutien moral. Bien entendu, ce ne sont pas les réseaux sociaux qui vont les soigner mais ce sont des outils complémentaires aux soins. La population étant de plus en plus connectée en permanence avec leurs smartphones, il me semble important que les professionnels de santé communiquent avec les patients sur ces questions-là : vont-ils rechercher de l’information sur Internet ? Utilisent-ils des applications pour mesurer leur tension ? etc.
L’I. M : Quelle place occupent les professionnels de santé dans l’usage des réseaux sociaux ?
C. B. : Il y a de plus en plus de médecins actifs sur les réseaux sociaux, que ce soit sur Facebook mais surtout sur Twitter, avec une prédominance des jeunes. Il y a aussi des hôpitaux qui font le choix d’y être pour leur communication et pour la gestion de la « relation clients », comme peuvent le faire des entreprises privées. Les community managers interagissent avec les usagers pour répondre à leurs critiques, leurs questions. La particularité du domaine de la santé est le respect du cadre légal. On ne peut pas, par exemple, faire de la consultation en ligne, on peut juste proposer un accompagnement ou une aide.
L’I. M : Quelles sont, justement, les limites notamment en matière de protection des données personnelles de santé ?
C. B. : Il ne faut pas, bien entendu, que l’on reconnaisse les personnes. Mais des médecins qui envoient des photos pour demander l’avis de leurs confrères pour des cas en dermatologie en DM [Direct message, Ndlr] via Twitter, cela ne pose a priori aucun problème. L’échange d’informations de pair à pair me semble positif, c’est une communauté qui s’entraide, tout comme l’échange de patient à patient ou encore, l’utilisation des réseaux sociaux pour l’amélioration de ce que j’appelle la « relation clients » au niveau de l’hôpital. Prendre un rendez-vous en passant par Twitter, passer par les réseaux pour demander la copie d’une ordonnance, pourquoi pas ? Je crois beaucoup moins à un lien entre patients et personnels de santé, tout simplement parce que la consultation en ligne est beaucoup trop sensible. Concernant la protection des données personnelles de santé, il faut avoir conscience que les réseaux sociaux sont très surveillés. L’information peut être collectée et récupérée. Nous savons, par exemple, que la NSA regarde tout cela de près. Il est vrai aussi que le public et les professionnels de santé ne font pas exception, ils n’ont pas toujours conscience de toutes les conséquences, positives ou négatives, que peut avoir la publication d’une information sur les réseaux sociaux. Pour bien maîtriser ces outils, le CNNum défend l’idée d’un programme de formation à destination du plus grand nombre. Car les réseaux sociaux, j’en suis convaincue, peuvent être de formidables outils dans le cadre de la prévention, par exemple. Le Conseil national du numérique a été saisi par le ministère de la Santé pour travailler sur cet axe car nous savons qu’ils peuvent avoir de forts impacts, notamment auprès des jeunes.