L'infirmière Magazine n° 350 du 01/09/2014

 

FORMATION CONTINUE

L’ESSENTIEL

THIERRY PENNABLE*   DOCTEUR YANN HODÉ**  

Elle touche 1 % de la population mondiale, soit environ 600 000 personnes en France. La maladie, dont l’origine précise reste inconnue, débute chez l’adolescent et le jeune adulte, entre 15 et 30 ans. C’est une des maladies les plus invalidantes notamment chez les jeunes. Depuis leur découverte en 1952 en France, les neuroleptiques sont l’élément central du traitement de la schizophrénie. La prise en charge de la maladie porte aussi sur la réadaptation et la réhabilitation sociale du patient. Celle-ci est réalisée, autant que possible, en ambulatoire mais les hospitalisations sont souvent nécessaires. L’alliance thérapeutique entre le patient, son entourage et l’équipe soignante est fondamentale. C’est pourquoi les familles sont de plus en plus impliquées, notamment par le biais de la psychoéducation.

1. LA MALADIE

La schizophrénie est une affection psychotique chronique. Elle entraîne une désorganisation de la personnalité et altère sévèrement le rapport à la réalité malgré une intelligence conservée (ce n’est pas une maladie mentale). La maladie se caractérise par la persistance de symptômes chroniques invalidants et par des épisodes aigus accompagnés de délires et d’hallucinations (voir « Les symptômes »). La schizophrénie n’est pas un dédoublement de la personnalité, contrairement à une idée reçue. Les nombreuses manifestations de la maladie sont variables d’un patient à l’autre.

Physiopathologie

L’origine précise de la maladie reste inconnue, mais de nombreuses hypothèses portent sur l’addition de facteurs génétiques et de stress psychologiques et environnementaux. Ensemble, ils provoqueraient une vulnérabilité favorisant le développement des troubles.

Une composante génétique

Des études ont montré l’existence d’une susceptibilité génétique. Ainsi, le risque de développer la pathologie est proportionnel au degré de proximité. Alors que la schizophrénie touche 1 % de la population générale, elle affecte environ 10 % des apparentés au premier degré. Deux types de prédisposition génétique à la maladie sont évoqués. Un léger risque de développer la maladie serait lié à la présence de plusieurs variations génétiques associées qui augmenteraient la vulnérabilité à des facteurs de risque environnementaux. Un risque beaucoup plus important serait lié à des mutations génétiques ponctuelles. Elles pourraient altérer des gènes impliqués dans la capacité des neurones à modifier leur activité en fonction de leur environnement (plasticité neuronale) et abaisser le fonctionnement cérébral.

Une composante environnementale

Environ 50 % des jumeaux monozygotes d’un parent atteint de schizophrénie sont touchés, donc dans un cas sur deux un seul des jumeaux monozygotes développe le trouble. Cela montre l’importance de facteurs précipitants ou protecteurs dans l’apparition de la maladie dont les effets sont encore mal connus. Des problèmes au cours du développement fœtal (incompatibilité rhésus, complications d’une grippe pendant la grossesse) pourraient entraîner un risque de développer une schizophrénie par la suite. Parmi les substances psychogènes augmentant le risque de survenue de la maladie, des études pointent la consommation de cannabis. Elle pourrait provoquer la survenue de symptômes schizophréniques chez des personnes présentant une vulnérabilité. Cette consommation est fréquente chez les personnes atteintes de schizophrénie qui cherchent à calmer leurs symptômes (angoisse, inhibition), alors que ce soulagement est temporaire et que le cannabis a un impact négatif sur l’évolution de la maladie, notamment par une aggravation des symptômes négatifs, une augmentation des rechutes et une majoration de l’impulsivité. D’autres facteurs comme le fait de vivre en milieu urbain ou d’être enfant issu de l’immigration sont étudiés.

La psychose la plus répandue

La schizophrénie touche entre 0,5 et 2 % de la population selon les pays, la prévalence la plus souvent retenue étant de 1 %. En France, la maladie concerne environ 600 000 malades qui représentent 20 % des hospitalisations psychiatriques à temps complet. La schizophrénie concerne autant les hommes que les femmes, mais elle est plus précoce et plus invalidante chez l’homme.

2. LES SYMPTÔMES

La dissociation

Le terme schizophrénie (formé de « schizo » : séparer, fendre, et « phrein » : pensée) a été proposé par le psychiatre suisse Eugen Bleuler, en 1911. Il renvoie à la principale caractéristique de la schizophrénie, la « dissociation » entre la perception de l’environnement et les croyances d’une part, et le monde réel d’autre part. La dissociation caractérise une rupture dans le psychisme de l’individu : les affects, les pensées et les comportements ne sont plus liés ensemble harmonieusement. Elle infiltre toutes les dimensions de la vie psychique (intellectuelle, affective et comportementale). La dissociation se manifeste par :

– Une ambivalence, c’est-à-dire une disposition de l’esprit à produire simultanément des états psychiques opposés en mêlant des sensations ou des expressions contradictoires (exemple : rire en annonçant une nouvelle triste) ;

– Une bizarrerie caractérisée par des idées étranges qui s’enchaînent de manière insolite et maniérée, des sourires immotivés, un comportement surprenant ou une tenue vestimentaire inadaptée qui marquent la rupture du sujet avec son environnement ;

– Un détachement du réel caractérisé par un retrait affectif du patient, un repli sur soi, une froideur dans le contact et une indifférence (composante autistique).

Symptômes positifs ou productifs

Les hallucinations

Ce sont des perceptions ou des sensations éprouvées par une personne en l’absence d’un objet extérieur réel. Ces « perceptions sans objet » peuvent être auditives (sons, voix…), visuelles (images, scènes…), tactiles (sensation de brûlure, piqûre…) ou prendre d’autres formes (olfactives, gustatives…). Les hallucinations auditives, les plus fréquentes, débutent souvent par des sons, puis des mots qui vont former des phrases. La personne est ensuite parasitée par quelqu’un lui parlant en permanence. À partir d’une hallucination se construit un syndrome d’automatisme mental avec le sentiment de perdre son autonomie de pensée, que la pensée est devinée, commentée ou volée, et que des actes, des paroles ou des pensées sont imposés.

Délire paranoïde

Le délire est une interprétation erronée de la réalité extérieure basée sur des idées fausses. Dans la forme typique de la schizophrénie, le délire est paranoïde, impliquant des thèmes persécutifs, mystiques, mégalomaniaques, d’influence (conviction d’être sous l’emprise d’une force extérieure), hypocondriaques, de référence (la personne a le sentiment que les émissions de télévision s’adressent à elle par exemple) ou de transformation corporelle. La personne est convaincue de la réalité du délire (adhésion au délire) et se montre souvent réticente à exprimer ses idées délirantes. La rationalisation du délire se fait en fonction de la culture contemporaine (écoutes téléphoniques, internet, terrorisme…). Dans le délire de persécution par exemple, la personne est convaincue d’être espionnée, suivie ou écoutée par des personnes (proche, voisin, employeur…) ou des organisations (mafia, services secrets…). Ces pensées délirantes peuvent être vécues dans l’angoisse ou l’indifférence.

Symptômes déficitaires

Les symptômes déficitaires, ou négatifs, altèrent les relations sociales et se manifestent par un désinvestissement de la réalité, un repli sur soi progressif (repli autistique), une diminution des capacités à penser, parler et agir et une diminution des réactions émotionnelles et des capacités cognitives (concentration, attention, mémoire et capacités d’abstraction).

Exemples de symptômes déficitaires :

– L’indifférence affective : la personne peut évoquer le décès d’un proche sans se montrer affectée, voire en souriant. C’est une défense contre une hypersensibilité liée à la maladie ;

– Le coq-à-l’âne, quand la pensée « saute » d’un sujet à un autre ;

– Le fading mental : la voix s’éteint petit à petit puis remonte ;

– L’ambivalence : vouloir une chose et son contraire en même temps peut entraîner une immobilité (catatonie) ;

– Perte de l’élan vital ;

– Le manque d’énergie induit un désintérêt pour les activités habituelles ou sociales et une négligence de l’hygiène corporelle ;

– La perte de la capacité d’initiative ou de mettre en jeu des comportements et des actions normales et naturelles pour un sujet sain ;

– Des troubles de la mémoire de travail et l’impossibilité d’utiliser l’intelligence pourtant présente entraînent une baisse des performances scolaires et professionnelles ;

– La perte des facultés d’adaptation provoque un handicap professionnel et social.

3. DIAGNOSTIC

Examen clinique

Le diagnostic repose sur l’examen clinique et les entretiens avec le patient et son entourage. Les symptômes sont parfois difficiles à repérer avant un stade avancé de la maladie. Le psychiatre recherche les symptômes dans les mois ou années précédents. Ces symptômes peuvent être masqués par d’autres troubles (conduites alimentaires, symptômes dépressifs, troubles obsessionnels et compulsifs) ou par une toxicomanie. La baisse des performances scolaires ou professionnelles peut être attribuée à une crise d’adolescence. Les symptômes doivent être présents de façon permanente depuis au moins 6 mois pour poser le diagnostic de schizophrénie.

Les diagnostics différentiels

Les autres facteurs étiologiques possibles doivent être éliminés avant de poser le diagnostic de schizophrénie. Les examens complémentaires de type imagerie cérébrale, électroencéphalogramme ou biologie sont utilisés pour éliminer :

– Des causes organiques : traumatisme crânien, syndrome méningé, toxicomanie… ;

– Certaines maladies : tumeurs du cerveau, troubles de la thyroïde, épilepsie, maladie de Wilson, chorée de Huntington…

4. ENTRÉE DANS LA MALADIE

Début progressif

C’est le cas le plus fréquent. Les troubles peu spécifiques apparaissent de façon progressive et insidieuse, le plus souvent pendant l’adolescence. Dans un premier temps, un retrait social progressif est corrélé à un caractère renfermé, une difficulté à entrer en relation avec les autres et une perte d’intérêt pour les copains. En même temps, les performances scolaires ou professionnelles s’infléchissent, ainsi que les capacités à planifier et à mener à terme des actions. Les difficultés relationnelles s’aggravent, le comportement peut devenir bizarre. Le sujet entre parfois en opposition avec les parents.

Début brutal

L’entrée dans la maladie prend la forme d’une bouffée délirante aiguë (BDA). C’est une expérience psychotique transitoire qui touche une personne du jour au lendemain, sans signe avant-coureur. Le tableau clinique est dominé par les éléments délirants, l’agitation et la discordance. Les diagnostics différentiels possibles sont un accès maniaque (trouble bipolaire) ou une prise de toxiques. Un épisode dépressif ou un passage à l’acte (tentative de suicide, fugue, délit…) peuvent aussi marquer une entrée brutale dans la maladie.

5. ÉVOLUTION

La schizophrénie est une maladie chronique d’évolution variable. Les premières années sont généralement caractérisées par une succession de phases aiguës. Le traitement permet une diminution des symptômes productifs. La maladie se stabilise ensuite avec des symptômes résiduels d’intensité variable selon les personnes :

– Environ un tiers des patients connaissent une rémission durable permettant la reprise d’une vie sociale, professionnelle et affective ;

– Pour environ un tiers des patients, la maladie persiste avec des symptômes plus ou moins contrôlés grâce au suivi médical, avec des rechutes possibles ;

– 20 à 30 % des patients schizophrènes, peu répondeurs aux traitements, subissent une aggravation de la symptomatologie.

6. PRONOSTIC

Le pronostic dépend de la forme clinique de la maladie, de l’entourage du patient et de sa coopération au projet thérapeutique :

– Éléments favorables : début tardif et aigu ; évolution discontinue de la maladie ; qualité et précocité du soutien psychosocial, de l’accès aux soins et de l’adhésion du patient à sa prise en charge ; situation sociale et familiale stable ; absence de personnalité prémorbide antérieure ; réponse rapide et favorable au traitement.

– Éléments défavorables : début précoce avec progression rapide des symptômes déficitaires, isolement social, antécédents familiaux, prise en charge tardive.

– Le risque suicidaire : 10 à 15 % des patients se suicident, particulièrement dans les premières années de la maladie. Près de la moitié des patients font au moins une tentative de suicide au cours de leur vie. Tout épisode dépressif ou recrudescence hallucinatoire implique une vigilance accrue.

REPÈRES

Les formes fréquentes de la schizophrénie

→ Schizophrénie paranoïde, la plus fréquente : les signes positifs au premier plan avec des troubles de la pensée et de l’affectivité et une activité délirante prédominante. La maladie évolue par poussées entrecoupées de périodes de rémission. L’évolution est favorable, si le patient répond bien aux neuroleptiques.

→ Schizophrénie hébéphrénique : prédominance de la dissociation et des signes déficitaires (apragmatisme, diminution des centres d’intérêt) ayant un impact important sur l’adaptation sociale. La maladie évolue progressivement après un début insidieux et précoce. Elle peut être stabilisée par un traitement précoce.

→ Schizophrénie dysthymique, aussi appelée « trouble schizo-affectif » : cette forme de schizophrénie intermittente associe des symptômes schizophréniques et des troubles de l’humeur. Elle alterne crises dissociatives aiguës, sur un versant expansif ou dépressif, et périodes de rémission. Le traitement associe neuroleptiques et médicaments régulateurs de l’humeur.

→ Schizophrénie catatonique : elle se manifeste par des périodes d’immobilité et de mutisme total et peut présenter un danger vital à court terme.

→ Schizophrénie simple : d’installation progressive, elle est caractérisée par une prédominance des signes négatifs, un appauvrissement des relations, un apragmatisme scolaire et professionnel, un isolement, un comportement stéréotypé et ritualisé. Elle associe bizarrerie du comportement et marginalité, avec peu ou pas d’éléments délirants.

→ Schizophrénie héboïdophrénique : association de symptômes schizophréniques et psychopathiques avec comportements antisociaux.

À SAVOIR

Des signes évocateurs à repérer

Les parents, amis, familiers et les personnes en charge de l’enfant (enseignants) peuvent repérer la survenue de signes de changement dans le comportement d’un enfant :

→ Retrait et isolement social :

– Généralement progressif et s’aggravant ;

– Refus des activités de groupe ;

– Communication avec les autres réduite progressivement ;

– Tendance au détachement et à la « fermeture » sur soi-même.

→ Baisse des capacités : chutes des performances à l’école ou au travail.

→ Perte d’intérêt :

– Sans raison apparente ;

– Associée à une sensation subjective de fatigue en l’absence de véritable dépression ;

– Accompagnée d’un intérêt étrange pour des thèmes magiques, pseudo-philosophiques ou pseudo-scientifiques.

→ Modifications de la pensée avec des idées exprimées de façon obscure, allusive, incohérente.

* D’après « La Schizophrénie », Jean-Michel Llorca, Encyclopédie Orphanet, janvier 2004.

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