L’association Sourire à la Vie accompagne les jeunes patients, âgés de 4 à 19 ans, du service d’oncologie pédiatrique du CHU de la Timone, à Marseille. Les activités proposées à long terme leur permettent de traverser, tous ensemble, les épreuves de la maladie.
On perdra pas ! On a perdu une fois, on perdra pas deux fois ! » Emma, 12 ans, sait de quoi elle parle. Visage poupin et regard perçant, l’adolescente, aujourd’hui en rémission d’un cancer, se prépare à lancer le ballon. Cette fois, son équipe doit gagner. Il est 11 heures. Au Phare du Sourire, « la maison des enfants », souligne Frédéric Sotteau, le fondateur de l’association Sourire à la Vie, une quinzaine de jeunes venus passer le week-end se lancent dans une intense journée. Préparation physique, répétition d’une chorégraphie pour la première partie du prochain spectacle de Grand Corps Malade, parrain de l’association, relaxation, basket, échanges… Des activités, jusqu’à six heures par jour, qui les rendent plus détendus, disponibles, en meilleure forme. Un atelier artistique leur permet également de s’exprimer dans différents domaines : du dessin à la musique, en passant par le chant. L’enjeu est de vivre autre chose que ce qu’induit la maladie et se projeter dans l’avenir avec des défis ambitieux. Par le physique, c’est le mental qui est touché. « Ici, on ne se sent pas seul. On est ensemble face à la maladie et ça donne de la force », confie Emma, en tapant dans la main de sa coéquipière, paume contre paume.
Qu’ils soient en cours de traitement, en rémission ou en soins palliatifs, les enfants du service d’oncologie pédiatrique de l’hôpital de la Timone, à Marseille, peuvent bénéficier, tout au long de la maladie, du programme proposé par Sourire à la Vie. Et s’ils sont hospitalisés, les entraînements sportifs et les jeux créatifs ont lieu deux jours par semaine, dans leur chambre même. À l’extérieur, les stages d’équitation, de voile, de danse ou d’expression corporelle s’ajoutent aux week-ends organisés au Phare, aux croisières durant l’été et aux voyages en France comme à l’étranger. « Les activités physiques et créatives sont adaptées à chaque enfant. Elles leur permettent aussi d’aborder les traitements avec un meilleur capital de force mentale et physique, quel que soit le handicap ou l’épreuve à surmonter », explique Jean-Claude Gentet, pédiatre-oncologue et président de l’association. Pour cela, les moyens issus du sport de haut niveau sont transposés à leur échelle : imagerie mentale, préparation physique, sophrologie, nutrition, relaxation, massages…
À l’origine de ce concept original, Frédéric Sotteau, capitaine de bateau et athlète de haut niveau. Convaincu de la nécessité de donner de son temps et d’accompagner les enfants malades, il connaît les bénéfices d’un entraînement sportif et d’une bonne hygiène de vie : « Nous avons adapté les outils aussi bien à leur chambre d’hôpital qu’à ce que nous proposons à l’extérieur. Ils peuvent également rencontrer des sportifs reconnus. Notre but est qu’ils puissent davantage s’ancrer dans le réel, dans leur vie d’enfant, se projeter, maintenir au mieux leur état de santé et apprendre à gérer des situations stressantes. » L’accompagnement commence généralement dès le diagnostic de la maladie et dure deux à trois ans en moyenne. Les résultats sont encourageants car les professionnels notent une meilleure gestion des effets secondaires, une capacité de récupération optimisée et une réduction du nombre de jours d’hospitalisation par an.
La journée a commencé un peu plus tôt, tout en douceur. Un réveil tranquille d’abord, après une nuit bercée par les clapots et les cliquetis des mâts, dans le grand catamaran de l’association, amarré non loin de la structure située à la sortie de l’Estaque, un quartier aux allures de village, à l’ouest de Marseille. Lorsqu’ils séjournent au Phare du Sourire, face au port et au pied des collines de calcaire, les enfants dorment sur le bateau. « C’est génial ! », lancent-ils. Un projet d’agrandissement est par ailleurs en cours pour proposer dix dortoirs capables de les accueillir à terre. Le bâtiment compte aujourd’hui une salle d’activités physiques avec tout le matériel issu du sport de haut niveau, une salle de bien-être et de vie quotidienne, un espace de massages et de soins.
Sur place, le matériel médical assure la continuité des soins avec l’hôpital et pallie toute éventualité. Après le petit-déjeuner dans la grande salle lumineuse, les toilettes et les soins sont réalisés dans une atmosphère familiale, avec la présence d’une équipe composée, notamment à temps plein, de deux animateurs et d’une professeure d’activités physiques adaptées, et à temps partiel de trois médecins, trois infirmières, une auxiliaire de puériculture, un préparateur physique et une professeure de danse. Un binôme médecin-infirmière est toujours présent, tant au Phare que pendant les croisières et les voyages. Une convention avec l’hôpital accorde aux soignants un quota d’heures sur leur temps de travail pour s’investir dans l’association. Néanmoins, leur présence est surtout bénévole.
« L’association est une continuité du travail du corps médical. Grâce aux différentes activités, le programme éducatif qu’elle propose permet aux enfants de transformer leur expérience de la maladie », explique Sylvie Ménard, infirmière-puéricultrice dans le service d’oncologie pédiatrique de la Timone, service référent de toute la région PACA. Elle y exerce depuis 25 ans et s’est impliquée dès le début dans l’aventure associative, en apportant conseils et connaissance du milieu hospitalier. « Accompagner les petits patients à l’extérieur m’ouvrait une autre perspective de prise en charge », reconnaît-elle. Ainsi, depuis 2005, elle est de tous les projets et représente une passerelle entre l’hôpital et Sourire à la Vie. « Mon rôle est de prendre en charge la coordination médicale des enfants et de permettre une continuité dans le soin », spécifie-t-elle. Aucun appareillage ou soin programmé n’empêche l’activité ou le séjour. Chaque rendez-vous est optimisé, et aucun déplacement n’est effectué s’il n’est indispensable.
Tous les quinze jours, une réunion pluridisciplinaire avec l’équipe de l’association se tient à l’hôpital, afin de faire le point sur chaque enfant adhérent. Un cahier et des fiches individuelles mis à jour régulièrement reprennent chaque parcours avec traitement, évolution et remarques. Les informations recueillies sont ensuite retranscrites dans le dossier médical de l’enfant. En effet, les médecins et infirmières bénéficient d’un temps d’observation clinique plus complet car ils accompagnent les enfants en dehors du cadre hospitalier et des contraintes de fonctionnement du service. Les jeunes patients, eux, s’expriment autrement, signalent douleurs ou symptômes entre deux activités, parlent librement de la maladie, se confient. Les peurs, les questionnements s’extériorisent. « Je sortais d’une semaine de chimio. On m’a dit : “Vous êtes en aplasie.” Mais c’est quel pays ?, je me suis demandé », se souvient une jeune patiente. De plus, les échanges détendus avec les familles permettent de réaliser une meilleure éducation thérapeutique.
« Au début, je n’avais envie de rien, je restais concentrée sur ma maladie », raconte Marion, 20 ans, dont le cancer s’est déclaré, il y a trois ans, avec un sarcome au poignet. à son cou, une chaîne et deux petits cœurs entrelacés. « Un jour, Fred (Frédéric Sotteau, NDLR) est venu dans ma chambre à l’hôpital et m’a parlé d’un projet de voyage en traîneaux à chiens dans le Grand Nord canadien. J’ai hésité, mais j’ai fini par dire oui. A partir de là, tout a basculé pour moi. Je me suis mise à vivre différemment la maladie, malgré les rechutes. Je me suis fait des amis qui savaient ce qu’était le cancer, étant malades eux-mêmes. J’ai repris le sport, puis j’ai passé mon BAFA pour devenir animatrice dans l’association… » En s’impliquant dans tout ce que l’association met à sa disposition, l’adolescente remet le pied à l’étrier, retrouve un réseau social, sort d’un isolement pesant et, surtout, de cette culpabilité récurrente ressentie face à la souffrance de ses parents.
Lorsque la demande est faite par la famille et que l’équipe pédagogique y trouve du sens, les frères et sœurs peuvent également être intégrés selon un programme partagé avec les enfants malades. C’est le cas d’Issam, 15 ans, qui porte une prothèse à la jambe suite à une tumeur au fémur, et d’Aimen, son frère, qui ne le quitte jamais. Tous deux rêvent de devenir médecins. Sarah, elle, continue de venir au Phare, la maison au bord de l’eau, pour faire son chemin suite au décès de sa sœur. Cette approche sur le long terme invite chaque enfant à entrer dans une histoire individuelle et collective, pendant et après la maladie. De plus, tous les animateurs étant d’anciens malades, ils peuvent comprendre et transmettre. à l’exemple de Sauveur, 20 ans, qui a obtenu son BAFA et travaille aujourd’hui à temps plein, ou encore, de Kosovare, 21 ans, en rémission d’une tumeur d’Ewing, qui a pris son envol en devenant auxiliaire de puériculture. Elle revient toutefois régulièrement encadrer les plus jeunes.
Fabien Marsaud, plus connu sous le nom de Grand Corps Malade, est le parrain de l’association. « J’ai accroché à ce qui se faisait à Sourire à la vie, à l’énergie des enfants. Et j’ai décidé de m’investir auprès d’eux et de faire partie de leurs projets. » L’auteur-slameur a été lui-même hospitalisé pour une année, à l’âge de 17 ans, suite à un accident. Lui qui se destinait au sport de haut niveau met alors sa vie d’adolescent en suspens pendant cette période et trouve dans l’écriture et l’art oratoire, un vrai mode d’expression. « Nous, on a des projets, on dessine nos lendemains / Chaque vie est un miracle », déclame-t-il dans l’un de ses poèmes. Très présent auprès des enfants et de l’équipe, il les invite souvent à faire la première partie de ses spectacles à travers le pays. Des moments exceptionnels auxquels tiennent Frédéric Sotteau et toute son équipe. Tout est organisé pour remplir la vie de l’enfant de moments magiques : expédition en traîneaux à chiens au Canada, natation avec les dauphins, traversée de la Méditerranée à bord d’un catamaran de 16 mètres, perfectionnement en natation avec le nageur Camille Lacourt… « Qu’elles soient occasionnelles ou répétitives, il y a, derrière ces activités, la volonté d’apporter à un enfant en soins palliatifs, en fin de vie ou en rémission, de jolis moments, le plus longtemps possible », observe Jean-Claude Gentet.
La journée se poursuit au Phare du Sourire entre séances d’étirement, de sophrologie et de danse. Yacine, dont le cancer s’est déclaré il y a quatre ans par une tumeur cérébrale, n’hésite pas à danser, à bouger au son de la musique. Il se souvient de son voyage au Canada : « Avant de partir, j’avais plein d’ a priori sur moi, sur ce que j’étais capable de faire ou non par rapport à la maladie. En fait, on a vécu plein de choses pendant toutes ces journées sur des traîneaux à chiens, dans des conditions difficiles, et ça a changé ma façon de penser. » Les difficultés traversées en collectivité ont fini par constituer des points de repère pour faire face à la maladie. Dehors, dessinés sur un grand mur où est accroché le panier de basket, des visages – simples traits pour la bouche et ronds pour les yeux – sourient. Les cris et les rires des enfants fusent sous le soleil. Au loin, dans le port, des silhouettes plongent entre bateaux de pêche et grues. Le long d’un muret, le potager pédagogique, tenu par la belle équipée, attend l’arrosage du soir. Entre laitues, plans de tomates, oliviers et lavande, des cailloux peints et recouverts de sourires accrochent le regard. Marie-Noëlle Bonfanti-Touzalin, sophrologue spécialisée dans la prise en charge de la douleur et des soins palliatifs, s’est investie, il y a vingt ans, aux côtés de Sylvie Ménard, tant à l’hôpital qu’au sein de Sourire à la Vie. « Dès mon premier week-end au Phare, j’ai vu que les enfants rentraient plus souriants. Ils étaient dans la vie, heureux de raconter tout ce qu’ils venaient de vivre », se souvient-elle.
Le soleil descend sur le port. C’est le moment de rentrer chez soi ou dans sa chambre d’hôpital. Les parents ont, eux, pu souffler. Avec plus de 600 enfants suivis en presque dix ans, l’objectif de l’association est de reproduire ce modèle ailleurs en France. Plus encore, un département de recherche a été initié et lance son premier programme d’évaluation et de mesures scientifiques des effets physiologiques, médicaux et psychosociaux de ce type de prise en charge. Une étude d’une durée de dix-huit mois, nommée Rsourire, et intégrant 90 enfants du service, porteurs d’une pathologie maligne, sous la houlette de Clothilde Vallet, la jeune professeure de sport adapté, dans le cadre de sa thèse de doctorat en sciences du sport et de la santé. Pour cela, chaque enfant réalisera un minimum de trente jours d’activités à l’intérieur et à l’extérieur de l’hôpital, par tranche de six mois, en pratiquant entre deux et cinq heures d’activités par jour. Unique en France, ce programme est soutenu par l’Agence régionale de santé (ARS), premier partenaire de l’association. « Un très gros enjeu pour le traitement des cancers de demain », assure Béatrice Jacqueme, médecin référente de l’ARS. Sa présence bénévole régulière confirme l’enthousiasme que Sourire à la Vie engendre chez les accompagnateurs, les parents, mais surtout, chez les enfants « souriant à la vie entre deux tempêtes »
* Paroles extraites du titre « Dans les vagues » (de l’album « Funambule »), écrit par Grand Corps Malade pour les enfants de l’association.
> Association Sourire à la Vie 153, plage de l’Estaque, 13016 Marseille
Tél. : 09 81 48 16 91
Il est la première cause de décès par maladie chez les enfants et les adolescents, et représente 1 % à 2 % des cancers en général. Chaque année, 160 000 nouveaux cas sont diagnostiqués dans le monde avec 90 000 décès. Et chaque année, en France, près de 1 700 nouveaux cas sont observés chez les moins de 15 ans et 700 chez les adolescents (plan cancer 2014-2019). Ces cancers sont le plus souvent spécifiques à l’enfant chez qui la plupart des tumeurs de l’adulte n’existent pas. En région PACA, environ 160 nouveaux cas par an sont pris en charge par le CHU de la Timone à Marseille. Les progrès réalisés dans les traitements médicaux et chirurgicaux depuis quarante ans permettent la guérison de près de 80 % des enfants en moyenne.