Les Glucocorticoïdes - L'Infirmière Magazine n° 351 du 15/09/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 351 du 15/09/2014

 

FORMATION CONTINUE

IATROGÉNIE AU QUOTIDIEN

CANDICE SANSOT*   ALEXIA MALRIQ**   LAURENT BOURGUIGNON***  

1.DESCRIPTION DU CAS

Mme G., âgée de 71 ans est hospitalisée en soins de suite et réadaptation. Elle présente une obésité, un éthylisme chronique sevré et ses antécédents médicaux comprennent une dyslipidémie, un diabète de type II, une hypertension artérielle, une fibrillation auriculaire et une anémie chronique. Son traitement habituel comprend : metformine, warfarine, digoxine, furosémide, spironolactone, paracétamol et tramadol en cas de douleurs, paroxétine et acamprosate (Aotal). Elle est également traitée au long cours par un corticoïde, de la prednisolone (Solupred 20 mg/jour) pour une polyarthrite rhumatoïde.

Au décours de son séjour hospitalier, le traitement par corticoïde a été modifié à plusieurs reprises pour tenir compte de la réponse de la patiente au niveau de sa polyarthrite. Dans le même temps, la kaliémie de cette patiente s’est considérablement modifiée : une hypokaliémie s’est manifestée avec un potassium sanguin à 2,7 mmol/L (valeurs normales : 3,5-4,5 mmol/L) sans conséquence clinique notable. Aucune autre perturbation du ionogramme n’a été constatée.

Une surveillance clinique a été mise en place ainsi qu’un contrôle régulier du ionogramme, et aucun traitement spécifique n’a été nécessaire.

QUE S’EST-IL PASSÉ ?

L’évolution de la kaliémie de cette patiente est probablement due à son traitement par corticoïde et à l’augmentation des doses de Solupred®. En effet, les corticoïdes peuvent provoquer des désordres hydro-électrolytiques fréquents, d’autant plus que la posologie utilisée est forte et la durée de traitement prolongée.

Pour cette patiente, une intensification du traitement par corticoïde a été réalisée au début du mois de juin et s’est traduite par une baisse notable de la kaliémie (passage de 3,5 à 2,7 mmol/L). Une réduction du traitement par corticoïde a été réalisée durant la seconde moitié du mois et la kaliémie s’est normalisée (kaliémie à 4,1 mmol/L à la fin du mois).

La prescription de cette patiente contient d’autres médicaments pouvant perturber la kaliémie (furosémide et spironolactone) mais les posologies de ces autres traitements étant restées stables, les variations de la kaliémie sont probablement dues au corticoïde.

2. LES CORTICOÏDES : RAPPELS

Les glucocorticoïdes physiologiques (cortisone et hydrocortisone) sont des hormones métaboliques essentielles sécrétées par la glande surrénale. Les corticoïdes synthétiques sont principalement utilisés pour leur effet anti-inflammatoire. Une action anti-allergique est également présente. Enfin, à forte dose, ils diminuent la réponse immunitaire.

Indications

Les indications des corticoïdes sont extrêmement nombreuses, tant en traitement d’urgence qu’en traitement de fond. Parmi ces indications figurent :

– Les réactions allergiques sévères : œdème de Quincke, choc anaphylactique ;

– Les réactions inflammatoires sévères : œdèmes laryngés, pulmonaires, cérébraux, choc septique ;

– Certaines affections pulmonaires : asthme grave, crise d’asthme ;

– Les maladies auto-immunes : anémie hémolytique auto-immune, purpura thrombopénique auto-immun, lupus érythémateux disséminé, polyarthrite rhumatoïde ;

– Le rhumatisme articulaire aigu, le syndrome néphrotique, la sclérose en plaque, la maladie de Crohn…

Contre-indications

En raison des effets indésirables décrits ci-dessous, et en particulier de la diminution de l’immunité observée lors de traitements par corticoïdes, ces médicaments peuvent aggraver certaines situations infectieuses. Pour cette raison, en dehors des indications d’urgence vitale ou lors de traitement de durée très brève, les corticoïdes sont contre indiqués lors de certaines infections virales (hépatites aiguës, herpès ou zona occulaire), bactériennes (tuberculose) ou mycosiques. Leur usage est également proscrit en cas d’ulcère gastroduodénal en évolution.

Effets indésirables

Ils apparaissent surtout lors de l’administration de doses importantes ou lors d’un traitement prolongé sur plusieurs mois :

– Désordres hydro-électrolytiques : hypokaliémie, alcalose métabolique, rétention hydrosodée, hypertension artérielle, insuffisance cardiaque congestive ;

– Troubles endocriniens et métaboliques : syndrome de Cushing iatrogène, atrophie corticosurrénalienne, diminution de la tolérance au glucose, révélation d’un diabète latent, retard de croissance chez l’enfant ;

– Troubles musculo-squelettiques : atrophie musculaire, faiblesse musculaire (augmentation du catabolisme protidique), ostéoporose, fractures pathologiques, tassements vertébraux ;

– Troubles digestifs : ulcères gastroduodénaux, perforations et hémorragies digestives. Des pancréatites aiguës ont été signalées, surtout chez l’enfant ;

– Troubles cutanés : acné, purpura, ecchymose, retard de cicatrisation.

– Troubles neuropsychiques. Fréquemment : euphorie, insomnie, excitation. Plus rarement : accès maniaque, états confusionnels, état dépressif à l’arrêt du traitement ;

– Troubles oculaires : certains cas de glaucome et de cataracte ;

– Augmentation du risque infectieux, par altération du système immunitaire (déficit de l’immunité cellulaire : diminution du taux de monocytes circulants, du taux de lymphocytes…).

Interactions médicamenteuses

En raison de leurs effets indésirables, les corticoïdes présentent d’assez nombreuses interactions avec des médicaments présentant un profil d’effets indésirables similaires :

– autres médicaments hypokaliémiants (diurétiques hypokaliémiants, laxatifs stimulants, amphotéricine B…). L’association avec ces médicaments est à éviter dans la mesure du possible ;

– association déconseillée avec les vaccins vivants atténués (rougeole, oreillons, rubéole, varicelle, zona, poliomyélite, tuberculose) en raison d’un risque de maladie vaccinale ;

– association déconseillée avec des doses anti-inflammatoires (≥ 3g/jour) d’acide acétylsalicylique : majoration du risque hémorragique ;

– précautions d’emploi avec les digitaliques car l’hypokaliémie favorise les effets toxiques des digitaliques. Corriger auparavant toute hypokaliémie et réaliser une surveillance clinique, électrolytique et électrocardiographique ;

– les corticoïdes entraînant une augmentation de la glycémie, des précautions doivent être prises avec l’insuline, la metformine et les sulfamides hypoglycémiants. Prévenir le patient et renforcer l’auto-surveillance glycémique et urinaire, surtout en début de traitement. Adapter éventuellement la posologie de l’antidiabétique pendant le traitement par les corticoïdes et après son arrêt.

Mode d’administration, durée, arrêt du traitement

Les premières doses peuvent être réparties en deux prises quotidiennes. Par la suite, la dose quotidienne peut être administrée en prise unique de préférence le matin au cours du repas.

Pour les cures courtes de moins de dix jours, l’arrêt du traitement ne nécessite pas de décroissance. Pour un traitement prolongé et à fortes doses, la décroissance doit être lente. L’obtention d’un sevrage est le but recherché. Lors du sevrage, l’arrêt doit se faire progressivement, par paliers, en raison du risque de rechute ou d’insuffisance surrénalienne : réduction de 10 % tous les 8 à 15 jours en moyenne.

Régime et traitements associés

En raison des effets indésirables potentiels de ces traitements, un régime adapté peut être proposé : régime riche en protides, calcium, potassium, pauvre en glucides d’absorption rapide, en lipides, avec ajout de potassium, calcium et vitamine D. Les biphosphonates peuvent être associés en cas d’ostéoporose et les médicaments antiacides sont conseillés en association pour prévenir l’apparition d’ulcères.

3. EN PRATIQUE

Les corticoïdes représentent une classe majeure de médicaments, dont les utilisations sont extrêmement nombreuses, mais dont les effets indésirables nécessitent une surveillance ainsi que des conseils au patient.

L’infirmier doit être vigilant en particulier concernant :

→ Les perturbations métaboliques et leurs conséquences potentielles (rétention hydrosodée, fuite de potassium, déminéralisation osseuse). Au-delà de la surveillance clinique (tension artérielle, recherche d’œdèmes, prise de poids) et biologiques (kaliémie, calcémie…), la prise de traitements corticoïde peut s’accompagner d’un régime alimentaire spécifique qu’il conviendra d’expliquer au patient.

→ Le risque d’immunodépression, lors de traitements prolongés. La survenue de signes évoquant une infection (fièvre, marqueurs de l’inflammation, toux…) doit alerter l’infirmier, afin que la prise en charge médicale soit éventuellement adaptée par le prescripteur.

→ L’infirmier doit être vigilant lors de la réalisation de certains vaccins, potentiellement déconseillés lors d’un traitement par corticoïdes.

→ L’utilisation de ces traitements dans des populations particulières, telles que les enfants ou la femme enceinte. En effet, bien que ces traitements puissent être utilisés dans certaines indications chez ces patients, certains effets indésirables particuliers pourront faire l’objet d’un suivi complémentaire (risque de retard de croissance chez les enfants, par exemple).

→ L’arrêt des traitements prolongés (traitements de plus de 10 jours), qui doit être particulièrement prudent, pour éviter la survenue d’une insuffisance surrénalienne.