LES HÔPITAUX DÉSERTÉS PAR LES SOIGNANTS - L'Infirmière Magazine n° 351 du 15/09/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 351 du 15/09/2014

 

LIBYE

ACTUALITÉ

MARYLINE DUMAS*   MATHIEU GALTIER**  

L’insécurité qui règne dans les deux principales villes du pays, en proie à des affrontements, pousse le personnel philippin, largement majoritaire dans les services, à évacuer le pays.

À quelques heures de son départ, Sheralyn Cenaza savoure un dernier café frappé à Tripoli, la capitale libyenne. Triste et soulagée à la fois, l’infirmière philippine justifie sa décision : « L’insécurité est trop grande. Depuis mi-juillet, on entend des explosions tous les jours. Et en tant que Philippins, nous avons peur d’être ciblés. »

Un de ses compatriotes a été décapité mi-juillet à Benghazi, seconde cité du pays ; une autre, également infirmière, a été violée dans la capitale le 30 juillet. Alors que les deux villes sont le théâtre de conflits entre groupes armés depuis plusieurs semaines, les Philippines organisent l’évacuation progressive de leurs ressortissants, parmi lesquels près de 3 000 soignants qui représenteraient, selon les autorités libyennes, 60 % des employés hospitaliers. Le ministère de la Santé craint un « effondrement total » du système de soin.

Après deux ans passés en Libye, Sheralyn Cenaza tire un bilan mi­tigé. « Mon salaire [environ 563 € pour 42 heures par semaine, NDLR] était deux fois supérieur à ce que j’aurais eu aux Philippines. D’un autre côté, les conditions de travail étaient difficiles : pas de vacances, des familles de patients parfois violentes et ils ont refusé de payer mon dernier mois. »

70 heures hebdomadaires

À l’hôpital central de Tripoli, le directeur, Abdeljalil Graibi, a délaissé son bureau pour s’installer au service chirurgie et « gérer la crise ». Seuls 15 % des infirmiers philippins de son établissement sont partis, mais la perte qualitative est importante. « Quand ils sont en service, je sais que je peux compter sur eux alors que les Libyens abandonnent parfois leur poste », concède-t-il. Dans ce pays en déliquescence, ce type de comportement, devenu la norme, n’est jamais sanctionné.

Les départs ont provoqué une réorganisation du personnel. Pour compenser, des infirmiers affirment travailler 70 heures hebdomadaires. Le département de transplantation, le seul existant en Libye, a supprimé ses lits pour renforcer le service de soins intensifs. C’est là, au deuxième étage du bâtiment principal, que Princess Famorean pose une perfusion à une patiente. Elle a choisi de rester : « Je me sens en relative sécurité. Je passe mes journées à l’hôpital ou dans la résidence juste en face. Je ne sors jamais. » L’infirmière philippine, arrivée il y a quatre mois, a vu partir six amies proches.

Le directeur de l’hôpital relativise le problème, car si l’effectif des employés est réduit, celui des malades l’est également. Combats et pénurie d’essence limitent les déplacements des patients légers. « Notre hôpital est celui qui s’en sort le mieux », assure Abdeljalil Graibi. À condition de faire abstraction de la roquette tombée mi-août dans le parc. Entourée d’un simple ruban, elle attend toujours d’être désactivée.