L'infirmière Magazine n° 352 du 01/10/2014

 

FORMATION CONTINUE

DOSSIER

FRANÇOISE VLAEMŸNCK  

À l’origine réservés au corps médical, les diplômes universitaires (D.U.) se sont ouverts aux paramédicaux et particulièrement, aux infirmières. Une aubaine pour une profession toujours en quête de connaissances, de « mieux faire » et d’expertise. L’attrait pour cette filière de formation continue ne se dément pas.

Diplôme universitaire d’addictologie, d’éthi­que pratique, d’éthique soignante et hospitalière, d’hygiène hospitalière, d’hypnose, de santé au travail, de plaies et cicatrisation, de douleurs, de soins palliatifs, de douleur et soins palliatifs pédiatriques, d’oxyologie, de santé mentale et précarité, de droit, d’expertise et soins, d’approche des techniques de soins en réanimation, thérapeutique du patient, d’approfondissement clinique et psychopathologique, etc. Lister l’ensemble des formations diplômantes dispensées par les universités, via des D.U. et D.I.U., et aujourd’hui accessibles aux infirmières ou qui leur sont spécifiquement dédiées, reviendrait à noircir une bonne partie des pages de ce magazine puisque toutes les universités, ou presque, en proposent dorénavant dans le domaine de la santé et du soin. Les facultés de médecines étant naturellement grandes pourvoyeu­ses de D.U. ciblant la profession infirmière. Il est vrai qu’au regard de l’évolution de la prise en charge et des quelque 600 000 infirmières en activité, le besoin de formation est permanent et le vivier des « étudiantes » quasi inépuisable. Si les D.U. éthique, douleur, soins palliatifs, plaies et cicatrisation demeurent des thématiques de choix pour les infirmières, ceux consacrés à l’hypnose, l’hygiène hospitalière ou encore, à l’éducation thérapeutique sont de plus en plus nombreux et prisés par les IDE. Ils épousent en cela des organisations nouvelles, par exemple, le développement de la chirurgie ambulatoire, des exigences de qualité et de sécurité des soins, telle la lutte contre les infections nosocomiales, et des problématiques nouvelles de santé publique comme la prise en charge des maladies chroniques.

On peut ainsi avancer sans crainte qu’il existe aujourd’hui quelques centaines de formations de ce type sur des thématiques extrêmement variées et organisées autour des formules qui le sont tout autant : sur site unique, en inter-universités, sur une ou deux années universitaires, avec ou sans stage, en présentiel total ou couplé avec des cours en e-learning, par correspondance, avec examen final ou avec la production d’un mémoire, voire les deux. à force aussi de travaux dirigés d’ateliers, de séminaires ou d’échanges avec des professionnels ou encore d’experts. Bref, devant cette profusion de fond et de forme, il n’est pas étonnant que nombre d’infirmières trouvent chaque année « chaussure à leurs pieds » et s’engagent dans un D.U., sachant que leur enseignement constitue une spécialisation ou qu’il vient consolider des compétences professionnelles dans le cadre de la formation continue. Fortes de leur autonomie, les universités ont d’ailleurs toute latitude pour « monter » des D.U. Elles fixent ainsi les modalités d’inscription, de recrutement des participants, le contenu pédagogique, le choix des enseignants et intervenants et le prix. Les D.U. et D.I.U. se créent en fonction des spécialités de l’université mais aussi des particularités régionales ou pour répondre à des besoins émergents.

Le recul que l’on porte sur la pratique

C’est le cas, par exemple, du nouveau D.U. Infirmière coordinatrice exerçant en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et en Services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) proposé par l’université Descartes à Paris à l’initiative du DomusVi, groupe privé qui gère notamment plus de 200 établissements de ce type dans l’Hexagone. Bien entendu, la création d’un D.U., si elle n’est pas soumise au contrôle du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, s’appuie sur un processus de validation propre à chaque établissement qui mobilise le plus souvent administration, ressources pédagogiques et d’ingénierie et l’accord final des commissions ad hoc. De cette autonomie naît d’ailleurs une réelle difficulté à obtenir une cartographie précise de l’offre et plus encore, des données sur le nombre d’infirmières qui entreprennent ce cursus. Une estimation, qui – avouons-le n’a rien de scientifique – nous porte à avancer qu’entre 2 000 et 3 000 IDE se formeraient via cette filière chaque année.

« Je comprends l’envie des infirmières de faire un D.U. car c’est une manière de se spécialiser sans s’enfermer dans une spécialisation… », avance Denis Baraille, cadre paramédical du pôle urgence du groupe hospitalier Lariboisière/Fernand-Widal. En d’autres termes, sans être maintenu dans un carcan trop rigide duquel il est parfois difficile de s’extirper. Et Denis Baraille d’expliquer : « Par exemple, une infirmière anesthésiste l’est pour toujours ; en revanche, si une infirmière obtient un D.U. d’hypnose et anesthésie, elle pourra, grâce à la reconnaissance de ce diplôme, travailler dans un autre domaine que l’anesthésie. » CQFD… Les premiers D.U. ouverts aux infirmières datent d’une petite vingtaine d’années. Le mouvement s’est accéléré au début des années 2000 et plus encore depuis cinq à six ans. Cette évolution de la demande a coïncidé avec un accroissement de l’offre universitaire. « J’ai préparé un D.U. trois ans après avoir obtenu mon diplôme d’État. J’étais très motivée pour avancer sur la problématique de la prise en charge de la douleur. Je pense que l’on peut faire un D.U. à n’importe quel moment de sa carrière, c’est avant tout le projet professionnel qui compte dans cette démarche et le recul que l’on porte sur la pratique et sur ses manques. Par exemple, la prise en charge de la douleur n’est pas une thématique très approfondie au cours de la formation initiale », témoigne Anne Liboudan, infirmière au sein de l’équipe mobile de soins palliatifs de l’hôpital de Jossigny (Seine-et-Marne).

Une démarche de recherche clinique

Un constat partagé par Chantal Cateau, directrice de soins du centre hospitalier de Blois (Loir-et-Cher) et qui, par ailleurs, a achevé un D.U. l’an passé et en suit un nouveau cette année. « L’expérience ne fait pas tout. Quand une infirmière souhaite s’engager dans un diplôme universitaire, c’est qu’elle s’est déjà questionnée sur sa pratique. Cette démarche m’intéresse.Ce que je recherche, en effet, ce sont des infirmières capables d’interroger leur pratique, leurs gestes, dans une démarche de recherche clinique à l’image de ce que préconise l’Evidence-Based Nursing* et avec l’objectif que l’approfondissement des connaissances puisse être réinvesti au sein de l’établissement. Par exemple, une infirmière qui a suivi un D.U. de plaies et cicatrisation est un élément porteur pour un Comité escarres. Bref, une infirmière titulaire d’un D.U. apporte une vraie plus-value dans la prise en charge des patients », explique-t-elle. Cette formation universitaire doit s’inscrire au cœur de la pratique et des problématiques et réflexions de services. « Un D.U. doit permettre l’acquisition de compétences supplémentaires ciblées sur une prise en charge particulière », précise Geneviève Ladegaillerie, infirmière, cadre supérieur paramédical, experte à la direction des soins et des activités paramédicales de l’Assistance-Publique Hôpitaux de Paris (AP-HP). L’an passé, l’institution a financé quelque 130 D.U. pour ses paramédicaux.

Un plus sur le CV

Infirmière en Centres de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie en ambulatoire (CSAPA), Julie Tran a passé un D.U. en addictologie en 2013. « Je m’étais fixée pour objectif de continuer à travailler dans le champ de l’addiction qu’à la condition d’avoir une formation dans ce domaine car les usagers que nous prenons en charge ont des besoins également spécifiques et je sentais qu’il était nécessaire d’être armée pour cela. Cette formation a été très positive, notamment pour aborder l’entretien motivationnel et m’a ouvert d’autres perspectives comme la thérapie systémique. », dit-elle. « Une formation positive » certes, mais coûteuse, car cette jeune infirmière a financé seule son D.U. D’un coût qui peut osciller de 600 à 1 800 euros, il n’est pas non plus toujours évident pour les établissements de prendre en charge un D.U., d’autant qu’il faut également prévoir le remplacement des infirmières et que les moyens manquent. « Dans notre pôle, les D.U. ne sont accordés que sur la base de projets solides et à la condition que la thématique soit en lien avec la spécialité du service dans lequel travaillent les infirmières, et aussi d’un engagement moral de leur part de rester dans le pôle », confirme Gisèle Hoarau, cadre paramédical du pôle Orphé du groupe hospitalier la Pitié Salpétrière/Charles-Foix. Malgré ces critères restrictifs, Gisèle Hoarau constate que le D.U. est devenu un passeport pour quitter le bord hospitalier. « C’est un réel plus sur un C.V. pour se vendre et obtenir un poste dans un centre de lutte contre le cancer, une clinique, chez un prestataire de santé à domicile ou fréquemment pour s’installer en libéral. » Il est toutefois important de noter que le D.U., qui demande un investissement personnel relativement important, ne bénéficie d’aucune reconnaissance professionnelle officielle et il n’apporte aucune augmentation salariale dans la fonction publique. « C’est la limite de l’exercice, retient Gisèle Hoarau. On demande aux IDE de l’expertise mais une fois qu’elle est acquise, elle n’est pas valorisée. Or, on fait toujours une formation pour grandir. D’ailleurs, elles grandissent tellement, qu’elles finissent par partir. Qui peut leur en vouloir ? »

*L’Evidence-Based Nursing (EBN) est « l’utilisation consciente, explicite et judicieuse des meilleures données actuelles de la recherche clinique dans la prise en charge personnalisée de chaque patient. »