Prise en charge des patientes, réalisation des examens et analyse des résultats en une seule journée. Le dispositif de diagnostic mis en place par l’Institut Gustave Roussy rassemble, chaque lundi, tous les intervenants de la démarche.
Tout va bien, je vais sortir et on peut se préparer à partir en vacances en Bretagne », glisse Martine à son mari, avec un large sourire, soulagée, lorsqu’elle regagne la salle d’attente. Arrivée ce matin à 9 heures à l’Institut Gustave Roussy, à Villejuif (94) pour l’examen d’un kyste et d’un nodule détectés à la palpation de son sein droit par son médecin traitant, elle a pu bénéficier du dispositif de diagnostic en un jour mis en place, voilà dix ans, au sein de l’établissement. À 11 h 45, la mammographie, l’échographie, l’IRM et la ponction ont été réalisées et analysées, et le médecin a pu rassurer la patiente. Dans la salle d’attente, une vingtaine de femmes attendent encore, et seront libérées – tranquillisées ou non – au fil de l’après-midi…
Comme Martine, environ 13 000 femmes ont déjà bénéficié de ce dispositif depuis avril 2004. « L’idée est venue d’un double constat, explique Suzette Delaloge, oncologue médicale et coordinatrice en sénologie à l’IGR. D’une part, le délai pour obtenir un diagnostic de cancer du sein était très long et angoissant pour les patients. » En effet, dans le circuit habituel, entre la première consultation, le renvoi vers la radiologie et le laboratoire pour les analyses, la remise des résultats, le rendez-vous avec le chirurgien, puis éventuellement, d’autres examens complémentaires, il peut s’écouler jusqu’à un mois et demi avant que le diagnostic soit précisé. « D’autre part, l’imagerie en sénologie produit de plus en plus d’images infracliniques complexes sur lesquelles nous avions besoin de discuter longuement entre médecins, poursuit l’oncologue. Nous nous sommes donc réorganisés afin de réunir tous les intervenants sur un même plateau un jour par semaine. »
Tous les lundis, un oncologue, un radiologue, un chirurgien, un anatomocytopathologiste et leurs équipes sont de service sur le plateau 7. Chaque médecin est associé à une secrétaire qui tape en direct les comptes-rendus d’analyse. « Presque un luxe, mais c’est ce qui nous permet d’aller plus vite », note le Dr Olivier Mir, oncologue. Ils prennent en charge les patientes et prescrivent tous les examens nécessaires et réalisables dans la journée ; analysent les résultats et revoient les patientes à chaque étape afin d’annoncer les résultats et proposer, si nécessaire, un examen complémentaire. 75 % des patientes rencontrées repartent avec un diagnostic et, au besoin, un plan personnalisé de traitement. « Les 25 % restantes sont celles chez qui la cytoponction n’a pas donné de résultats probants ou qui ont besoin d’une biopsie, dont les résultats ne peuvent être délivrés le jour même », explique Anna Barron, infirmière référente en pathologie mammaire.
Au préalable, un premier « tri » a été réalisé par les secrétaires médicales qui gèrent l’accès au dispositif via la prise de rendez-vous. « Un arbre décisionnel très complet a été élaboré, à partir duquel elles savent si les patientes qui appellent pour prendre rendez-vous peuvent intégrer le dispositif en un jour, et quel médecin elles rencontreront en premier », résume Anna Barron. Les patientes sont, en effet, orientées par leur médecin traitant, après au moins une mammographie. « Il s’agit aussi d’éliminer les cancers déjà diagnostiqués et les pathologies bénignes », explique Jean-Rémi Garbay, chirurgien cancérologue qui a participé à l’élaboration du dispositif. En fonction des examens déjà réalisés ou non, celles-ci rencontreront d’abord un chirurgien ou un oncologue, voire, plus rarement, le radiologue. La secrétaire insiste alors sur la nécessité de se libérer pour une journée entière. « Elles sortiront peut-être plus tôt, mais on ne sait jamais ce que les médecins découvriront et quels examens ils seront amenés à prescrire au final, explique Cecilia Madefo, secrétaire médicale. Elles doivent donc être disponibles. »
Le jour J est ensuite coordonné par une infirmière, présente toute la journée en salle d’attente. « Dès le départ, nous avons voulu qu’une IDE soit à l’accueil et disponible à tout moment de la journée, explique le Dr Garbay. Elle peut réexpliquer les examens, prendre en charge la douleur si besoin, offrir un petit temps d’écoute… » Ce lundi-là, c’est Denise Warembourg qui est en poste. Les IDE tournent en effet entre les différentes activités de l’IGR. « En tant que coordinatrice, nous devons nous assurer que rien n’est oublié », précise-t-elle. Sur la liste des patientes convoquées ce jour-là, elle coche et « stabilote » consciencieusement les noms, en fonction des différents examens prescrits et déjà réalisés. Et après chaque consultation ou examen, elle demande aux patientes de revenir la voir pour s’assurer du bon déroulement de leur parcours.
« Avez-vous eu l’EMLA ? On vous a posé de la pommade ? », interroge-t-elle systématiquement les patientes dont la fiche de circulation indique la prescription d’une cytoponction ou d’une biopsie. Maryse, justement, n’en a pas bénéficié. « Un oubli du médecin probablement, c’est une journée assez intense pour eux », remarque Denise avant de s’éclipser un instant avec la patiente pour appliquer la crème anesthésiante. à son retour, elle s’enquiert de la douleur ressentie par une autre femme qui revient d’un prélèvement. « Au besoin, j’ai mes petites douceurs », sourit-elle en indiquant une boîte de chocolat posée sur son bureau, qui dissimule en fait différents types d’antalgiques.
« C’est une structure qui a été assez lourde à organiser, car elle nécessite des médecins très expérimentés, souligne Jean-Rémi Garbay. Mais elle nous permet de faire du multidisciplinaire en direct et c’est vraiment une meilleure qualité de prise en charge. Imaginez, je n’ai qu’à traverser le couloir pour discuter avec le radiologue. Et si une image n’est pas de bonne qualité, on peut la refaire tout de suite. » Pour les médecins, c’est un exercice passionnant mais aussi très exigeant. « Nous avons 25 à 30 explorations à compléter, tout en essayant de faire en sorte que les patientes attendent le moins longtemps », explique le Dr El Hadi Bayou, radiologue. Une deuxième salle de biopsie a ainsi été installée et le nombre de patientes a été légèrement revu à la basse, et ramené à 28, contre 35 au plus fort de l’activité. « Il arrivait alors qu’on termine la journée à 21 heures », se souvient Denise Warembourg.
Régulièrement, l’aide-soignante qui accompagne les cytoponctions, ou l’un des médecins appellent la patiente suivante. Denise Warembourg effectue aussi de nombreux allers-retours entre la salle d’attente et les salles de consultation pour indiquer aux équipes quelles sont les prochaines patientes à voir. « Nous faisons passer en priorité les personnes très âgées ou handicapées, ajoute l’infirmière. Et puis, certains examens doivent être réalisés dans un ordre particulier, la cytoponction avant la biopsie, par exemple. Cela peut donc modifier l’ordre de passage de l’ensemble des patientes. »
Vers midi, c’est une jeune femme d’une quarantaine d’années qui s’approche. Juliette a déjà été traitée pour une tumeur de la parotide en 2013, et une mammographie de dépistage vient de révéler une masse suspecte. « L’oncologue qui me suit à l’IGR m’a immédiatement pris un rendez-vous ici, explique-t-elle, plutôt sereine. S’il y a quoi que ce soit, au moins, je sais que je serai rapidement prise en charge. » Quelques minutes plus tard, une autre patiente s’installe triomphalement devant le bureau de Denise, de retour de la consultation médicale. « Voilà, ils ne veulent plus me voir. Je vous l’avais bien dit que je n’avais rien, confirme-t-elle, confiante. Je suis suivie pour des calcifications depuis des années et je ne comprends pas pourquoi ma gynécologue a absolument voulu que je vienne ici. Mais enfin, au moins, elle sera rassurée. » Au fond de la salle, tout à côté du bureau de l’IDE, deux dames en rose papotent à côté d’un chariot chargé de boissons chaudes et de biscuits. Régulièrement, ces bénévoles offrent aux patientes un thé ou de quoi s’alimenter. Sur leur bureau sont aussi disposés différents travaux pratiques, une façon de les distraire. « Cela peut être intéressant de s’occuper les mains », expliquent-elles à une patiente, curieuse de découvrir les jolis objets qu’elles proposent d’apprendre à confectionner. Deux femmes décident alors de se lancer dans la création d’un hérisson en papier…
L’heure du déjeuner approche. Le repas est offert aux patientes qui suivent Denise jusqu’au self. En ce début du mois de septembre, la salle de consultation n’est pas complètement pleine. Alors, pour une fois, l’infirmière aura, elle aussi, le temps de déjeuner. « C’est surtout l’après-midi que la tension monte, observe Denise Warembourg. Les patientes qui sont là depuis le matin commencent à “gamberger” et si les examens se poursuivent, c’est que l’analyse de leur situation est complexe. C’est alors que les pleurs arrivent et qu’il faut savoir leur redonner la pêche pour qu’elles puissent continuer. » L’IDE n’a pas vraiment le temps de proposer une consultation infirmière car la coordination doit primer. Au besoin, elle pourra être organisée dans les 48 heures qui suivent. « Pour nous aussi, les consultations de l’après-midi sont plus longues, note le Dr Jean-Rémi Garbay. Au fil de la journée, les questionnements surgissent et nous commençons à annoncer les traitements qui peuvent être complexes à expliquer. »
Depuis la création du dispositif en sénologie, l’exemple de Gustave Roussy fait des émules, en France et en Europe. Au sein de l’institut lui-même, des dispositifs similaires ont été mis en place pour le cancer de la thyroïde ou des cancers dermatologiques par exemple, mais avec des accueils plus restreints, compte tenu de leur épidémiologie… « Nous ne nous sommes pas vraiment inspirés du dispositif construit pour le cancer du sein, mais nous sommes partis de la même problématique : accélérer la procédure et éviter les allers-retours multiples que nécessite généralement l’exploration de nodules sur la thyroïde », résume le Dr Sophie Leboulleux, endocrinologue qui a mis en place en 2005 le dispositif de diagnostic des nodules thyroïdiens en un jour.
L’organisation y est plus simple car seuls trois types d’explorations entrent dans la procédure : l’échographie, la ponction et la scintigraphie. « C’est simple : la plupart du temps, le patient arrive en consultation, on lui pose l’EMLA, il passe en échographie, le cytologiste fait la ponction et la lit tout de suite, alors que le patient est encore sur la table. Si le prélèvement n’est pas bon, on le refait immédiatement. Et au bout de 2 h 30 maximum, on peut donner un résultat », explique l’endocrinologue. À la différence de la sénologie, l’IDE coordinatrice est parfois remplacée par une aide-soignante. « Les gestes sont moins complexes à expliquer, les traitements aussi, car la réponse passe généralement par la chirurgie, qui est moins angoissante pour les patients que les traitement de chimiothérapie, radiothérapie ou hormonothérapie du cancer du sein », poursuit Sophie Leboulleux. Une autre particularité de ce diagnostic en une journée réside dans la plus faible probabilité de cancer. « Nous avons seulement 10 % à 20 % de mauvaises nouvelles à annoncer », souligne l’endocrinologue.
En ce milieu d’après-midi, une autre patiente quitte le plateau de consultation. « Tout va bien, mais j’ai eu tellement peur », confie-t-elle rapidement à Denise Warembourg avant de filer retrouver son quotidien. Comme elle, 56 % des patients qui sont reçus dans le dispositif de diagnostic de sénologie en un jour à l’Institut Gustave Roussy quittent l’institut sur une note positive. Juliette, elle, attend encore pour bénéficier d’une biopsie. Elle fait partie de celles qui devront attendre encore quelques jours pour connaître leur diagnostic.
Fin 2013, environ 13 000 patients ont bénéficié du diagnostic sénologie en un jour à l’IGR, dont 1,2 % d’hommes. L’âge médian était de 55 ans. « Au fil du temps, nous avons constaté que nous avions de plus en plus de patients très éloignés du système de soin et ceux présentant des lésions très complexes », résume Suzette Delaloge. En conséquence, le nombre d’examens par patient a augmenté : de 1,5 à 1,9 de 2004 à 2012.
Plusieurs études réalisées dans le service ont montré la qualité et l’efficacité du dispositif. La sensibilité et la spécificité des diagnostics rendus dépassent 98 %. Elles ont aussi révélé une réelle satisfaction des patientes quant à l’accompagnement proposé par les soignantes en termes de disponibilité (82,5 %), de compétences techniques (86,5 %) et relationnelles (86,1 %). « Une aide-soignante était à mes côtés pendant la ponction, elle me touchait pour me montrer que je n’étais pas seule, témoigne Martine. On est vraiment bien entouré. » L’attente, en revanche, reste un point noir : à peine 70 % de satisfaction. « C’est toujours difficile de respecter les horaires », remarque Suzette Delaloge, oncologue médicale et coordinatrice en sénologie à l’IRG. Chaque situation nécessite une attention spécifique et l’équipe ne sait pas au préalable ce qu’elle va découvrir, analyser, et peut-être devoir réanalyser et discuter. « Mais à la fin de la journée, on arrive à faire passer tout le monde », conclut-elle.