Pour les infirmiers que nous sommes, la Haute-Savoie n’est pas seulement synonyme de vacances ensoleillées entre lacs transparents et montagnes enneigées. Le département est aussi une magnifique rampe de lancement vers ce pays de cocagne qu’est la Suisse. Ainsi, dans chaque établissement de soins, on assiste à une course folle des soignants à la validation de l’équivalence du diplôme et à l’obtention du droit d’exercice. L’heureux vainqueur sera perçu comme une sorte de héros moderne, emblème de réussite sociale et de la crise économique surmontée. La principale raison de ce flux migratoire infirmier reste le salaire. Le revenu moyen, proche des 4 000 euros net à Genève pour un infirmier débutant, laisse rêveur. Cependant, à écouter ceux qui ont franchi le cap et dont je fais désormais partie, il semble que ce ne soit pas l’unique raison. Les témoignages s’accordent à dire que la représentation du métier d’infirmier en Suisse est bien différente de celle que nous connaissons en France. De l’autre côté du lac Léman, il est vite demandé à l’infirmier français de quitter sa place de « technicien spécialisé » en médicaments, pansements et autres actes pour celle de coordinateur d’établissement, de manager d’équipe, de pivot de la « prise en soin » (on ne parle plus de « prise en charge »). L’infirmier endosse alors un rôle proche de ceux du chef d’orchestre ou du majordome. Il devient porteur des projets des patients et de la structure, mais aussi responsable de chaque fait et geste de l’équipe, de chaque accroc ou réussite dans le déroulement de la journée et de l’accompagnement. Après plusieurs années de pratique, enfin, je découvre un métier réellement considéré comme la pierre angulaire de la prise en soin. Une représentation régulièrement mise en avant en France mais, bien souvent noyée, voire oubliée, au cœur de la pyramide hiérarchique et administrative.