L'infirmière Magazine n° 352 du 01/10/2014

 

FORMATION CONTINUE

PRISE EN CHARGE

LAURE DE MONTALEMBERT  

Comme dans la plupart des maladies chroniques, la prise en charge de l’epilepsie, une fois le diagnostic posé, se doit d’accorder une large place à l’éducation thérapeutique. Un rôle majoritairement tenu par les infirmières.

Permettre aux malades souffrant de maladies chroniques de mieux connaître leur pathologie et les effets de leur traitement est essentiel. Concernant l’épilepsie, la démarche peut s’avérer plus compliquée. D’abord, différents types de crises, plus ou moins handicapantes dans la vie quotidienne existent. Ensuite, l’entourage et le milieu professionnel sont souvent effrayés par les crises. Enfin, les traitements permettant de les juguler ne sont pas toujours faciles à trouver.

Accepter ses propres limites

Pour Marielle Prevos-Morgan, cadre supérieure de santé au Centre de lutte contre l’épilepsie à l’établissement médical La Teppe à Tain-l’Hermitage et correspondante régulière de la Ligue française contre l’épilepsie (LFCE), « La mise en œuvre d’un programme d’éducation thérapeutique est, au-delà de l’application d’un programme, un réel accompagnement du patient. Ce cheminement que nous pouvons assimiler à la maïeutique va de la connaissance de la maladie à l’acceptation de ses propres limites et/ou contraintes et au possible des projets. » Il conduit le patient à un véritable accouchement de soi-même comme personne malade, certes, mais capable de vivre une vie presque normale. La vision de l’éducation thérapeutique des malades épileptiques que nous livre Marielle Prevos-Morgan – en collaboration avec le professeur Philippe Derambure, chef du service de neurophysiologie clinique du CHRU de Lille a pour maître mot adaptation. Adaptation aux demandes et aux besoins des malades. Ainsi, les séances proposées pourront être collectives ou individuelles, en présence d’un aidant ou non. « Chaque approche diffère en fonction du type de population », insiste-t-elle. Les séances sont généralement proposées par le neurologue, à son patient. Après acceptation du malade, ce dernier est reçu par une infirmière spécialisée en ETP. Un diagnostic éducatif est alors réalisé, consistant à évaluer le niveau de connaissance de la maladie par le patient ainsi que les contraintes quotidiennes qui pourraient compliquer les soins. Dès cette première séance, seront établis les objectifs spécifiques de formation.

Une éducation sur-mesure

Séances individuelles ou collectives

Trois ou quatre séances sont généralement programmées à la suite de ce premier rendez-vous. Elles sont collectives ou individuelles, lorsque la vie du malade est suffisamment différente du commun pour nécessiter des conseils spécifiques. C’est le cas, par exemple, d’un homme amené à voyager régulièrement entre les continents. Les décalages horaires à répétition l’amènent à décaler ses prises de traitement, engendrant des crises. L’infirmière lui conseillera alors d’installer une alarme sur son téléphone, réglée sur les heures françaises, afin qu’il prenne tous les jours ses traitements dans les mêmes délais.

Cependant, les séances collectives ont également des vertus. Elles permettent souvent aux malades de se sentir moins seuls, voire de trouver des réponses à des questions qu’ils n’auraient pas pensé à poser.

Place de l’aidant

La présence du conjoint ou d’un aidant peut être d’un grand secours si le patient le souhaite. La crainte exprimée par ses proches venant souvent de la méconnaissance de la pathologie, leur apprentissage de sa partie physiologique peut mettre de l’huile dans les rouages. Sans compter sur l’analyse des signes précurseurs ou des éléments de cause qui peuvent être d’une grande aide pour l’équipe médicale et paramédicale.

Outils pédagogiques

Différents outils peuvent être utilisés par les éducatrices lors des séances d’éducation thérapeutique. Parmi ceux-ci, citons un puzzle du cerveau particulièrement efficace. Le patient est encouragée à reconstituer ce dernier afin de l’aider à mieux comprendre les fonctions de chacune des parties de son cerveau. Cela rend la maladie moins mystérieuse. Et si les zones atteintes sont bien identifiées, le patient peut ainsi mieux comprendre d’où provient la crise.

Autre outil utilisé, des « cartes de mise en situation ». Partant du principe que les patients ne pensent pas toujours à tous les facteurs susceptibles de déclencher une crise dans leur vie, de nombreux programmes d’éducation thérapeutique utilisent des cartes décrivant des situations de la vie quotidienne. Par exemple : nager ou pêcher. Dans certains cas, la natation pourrait, en effet, être proscrite. Ces cartes mettent les gens en situation de réflexion. Il existe également des « cartes photo-langage » sur lesquelles figurent des illustrations représentant toutes sortes d’objets, comme par exemple une bouteille d’alcool ou une drogue. L’idée est simplement d’encourager le malade à s’exprimer sur le sujet, à parler de ce que l’image lui inspire. Rien n’est tabou et personne n’est là pour les juger. Le seul objectif est de permettre d’avoir la meilleure qualité de vie possible.

Le dialogue est parfois plus complexe avec les jeunes adultes. Pas encore vraiment sortis de l’adolescence, ceux-ci ont une tendance à se percevoir comme protégés par leur jeunesse. En bref, ils ont du mal à accepter leur différence. La drogue, l’alcool, le manque de sommeil sont des ennemis de leur stabilisation. Pour autant, ils ont besoin de vivre une vie de leur âge. Là encore, l’éducation thérapeutique joue un rôle essentiel, en leur marquant les limites à ne pas dépasser. Le professeur Philippe Derambure insiste, relayé par Marielle Prevos-Morgan : « En éducation thérapeutique, on écoute tout et on ne ment pas ! Il ne s’agit pas de dire “Faites ça et ne faites pas ça”. On accompagne le patient et on lui apporte des connaissances. »

Stratégies d’adaptation

Autre exemple, évoqué par le professeur Derambure et Marielle Prevos-Morgan, celui d’une infirmière libérale amenée à faire de nombreux kilomètres tous les jours pour son travail. Ses crises ne surviennent que durant la nuit. Mais l’âge aidant et la fatigue s’accumulant, elle est de plus en plus épuisée en prenant son service chaque matin. Les séances d’éducation thérapeutique lui ont donc permis d’admettre qu’il lui fallait changer de rythme et privilégier le travail d’après-midi. Un chemin long et compliqué, pas si loin du deuil mais qui a pu être accepté grâce aux capacités pédagogiques de formateurs attentifs, respectueux et à l’écoute. Car il s’agit bien de cela : développer des stratégies d’adaptation au plus près de la vie de chacun de manière à permettre à tous de vivre une vie la plus normale possible.

Un « référentiel national pour l’éducation thérapeutique des patients atteins d’épilepsie » (voir Savoir +, ci contre) a d’ailleurs été publié récemment, dont nos deux collaborateurs sont pleinement partie prenante. On y insiste sur le fait que pour chaque période de la vie, les objectifs doivent être redéfinis et que toute personne en ayant besoin puisse en bénéficier. En effet, les stratégies d’adaptation peuvent varier en fonction des évolutions de la vie de chacun. Selon leurs auteurs, ce référentiel national « est un guide méthodologique adaptable, tenant compte de l’hétérogénéité de la maladie ». Il se veut également évolutif. Toutes les situations de patients y sont évoquées, autant que possible, ainsi que la plupart des outils pédagogiques utilisables. « Nous avons souhaité le centrer sur le patient et son environnement psycho-social, sur l’acquisition de compétences en auto-soin par la mise en œuvre de techniques de communication et d’outils pédagogiques », insistent les auteurs. Un référentiel qui se veut une ressource « dans laquelle chaque professionnel pourra puiser pour adapter son propre programme d’éducation thérapeutique ».

Les compétences des patients…

Et comme, on ne peut pas parler d’éducation thérapeutique sans admettre et promouvoir les compétences des patients, la présentation du référentiel rappelle ce qu’elles sont, selon un document publié par la HAS en juin 2007. Ce sont :

– des compétences d’auto-soins : soulager les symptômes, prendre en compte les résultats d’une surveillance ou d’une mesure, adapter les doses de médicaments, réaliser des gestes techniques de soins, mettre en œuvre des modifications de mode de vie, prévenir les complications évitables, faire face aux problèmes occasionnés par la maladie, impliquer son entourage dans la gestion de la maladie, des traitements et des répercussions qui en découlent.

– des compétences d’adaptation telles que « Se connaître soi-même, savoir gérer ses émotions et maîtriser son stress, développer un raisonnement créatif et une réflexion critique, développer des compétences en matière de communication et de relations interpersonnelles, prendre des décisions et résoudre un problème, se fixer des buts à atteindre et faire des choix, s’observer, s’évaluer, se renforcer. » Des objectifs que tout un chacun a déjà bien du mal à atteindre.

Pour les soignants, la compétence, c’est parfois de savoir écouter ces patients qui deviennent peu à peu des experts de leur maladie. émilie Allègre, épileptique depuis 8 ans (lire page 59) qui a suivi plusieurs séances d’ETP avec son époux a elle-même été étonnée de toutes les questions auxquelles elle ne savait pas répondre sur sa maladie face à l’infirmière chargée de ses séances, suivies avec son époux. Elle en tire une grande satisfaction et la certitude de mieux comprendre ce qui lui arrive, même si ses crises ne sont toujours pas stabilisées par le traitement.

CONDUITE À TENIR

comment gérer la crise

Protéger et observer sont les maîtres mots de la gestion infirmière de la crise d’épilepsie.

Pendant la crise

Le plus important dans la gestion de la crise épileptique, c’est la mise en sécurité du patient pendant les phases tonico-cloniques :

– Éloigner les objets potentiellement dangereux.

– Si possible, allonger le patient.

– Protéger la tête.

– Ne pas chercher à bloquer les mouvements.

– Et surtout, ne rien mettre dans la bouche du patient au risque de le blesser, tout comme le soignant.

Phase postcritique ou de récupération

– Dès que possible, mise en PLS pour prévenir les inhalations.

– Évaluation de l’état de conscience.

– Évaluation de la fonction respiratoire et hémodynamique avec prise des constantes.

– Évaluation de la fonction motrice, souvent altérée.

– Questionnement du patient sur les événements précédant la crise.

– Noter l’heure de début, l’heure de fin et le type de crise.

– Transmission des éléments aux médecins ou appel au 15.

– Si une nouvelle crise semble se profiler, insérer une canule de Guedel dans le cas où la mâchoire est encore souple.

– Dans ce cas, c’est le risque de mal épileptique qui doit alarmer les soignants. Le médecin devra immédiatement injecter un antiépileptique et le patient sera éventuellement sédaté et ventilé en urgence.

Après la crise

– Poursuite de la surveillance (constantes, état de conscience, fonction respiratoire).

– Recherche d’étiologie : antécédents familiaux, alcoolisation pour une première crise, dette de sommeil, observance du traitement, prise d’un traitement antagoniste, changement de mode de vie ou de travail, important décalage horaire, etc.

Par la suite, il est essentiel d’évaluer la connaissance qu’a le patient de sa maladie et de ses traitements afin de lui proposer, éventuellement, des séances d’éducation thérapeutiques qui seront prescrites par le neurologue.

Réalisé avec l’aide de Thomas Bielokopytoff, cadre de santé enseignant à l’Ifsi d’Annecy et Christine Jaccard, infirmière spécialisée en réanimation au Smur dans le canton de Vaud, en Suisse.