L'infirmière Magazine n° 354 du 01/11/2014

 

EHPAD

CARRIÈRE

PARCOURS

SOPHIE KOMAROFF  

Véritables managers de proximité, les infirmières coordinatrices ne bénéficient toujours pas d’un statut bien défini. Elles sont pourtant des piliers de leurs établissements, jonglant entre soins, gestion de la vie quotidienne et encadrement du personnel.

Ne cherchez pas une définition de la fonction des infirmières coordinatrices en Ehpad. Vous ne trouverez rien ou presque. Tout juste quelques lignes dans l’arrêté du 26 avril 1999(1), bien insuffisantes pour fixer les contours d’un métier qu’aucun référentiel ne définit par ailleurs. Un vide qui cache en réalité une grande complexité. Ecoute, disponibilité, organisation, polyvalence, expertise gérontologique… Les fonctions assurées par ces Idec, à mi-chemin entre le médico-social et le sanitaire, s’apparentent à un inventaire à la Prévert. De plus, d’importantes disparités existent entre les établissements, selon leur taille, leur culture, la philosophie de la direction et du médecin coordonnateur (medco). « Le poste n’est jamais identique d’un Ehpad à l’autre, même si les missions concernent toujours l’organisation de l’activité paramédicale », confirme Karima Bouassri, Idec à l’Ehpad Champfleury de Sèvres (Hauts-de-Seine). « L’infirmière coordinatrice est avant tout un chef d’équipe en termes d’organisation des soins », renchérit Pascal Meyvaert, vice-président de la Fédération française des associations de médecins coordonnateurs en Ehpad.

UN RÔLE CHARNIÈRE

Chef d’équipe, mais pas nécessairement cadre. Une enquête menée par l’Association alsacienne des infirmières coordinatrices en Ehpad (Asalice) auprès de 41 Idec révèle que seules 4 ont le statut de cadre. La raison de ce choix ? L’absence d’envie de le devenir. « De nombreuses infirmières considèrent qu’une cadre est formée à gérer une organisation médicale, ce qui n’est pas adapté aux lieux de vie du secteur médico-social », témoigne Yves Clercq, psychologue, responsable de la formation Iderco de l’Institut Meslay et blogueur(2).

Outre sa participation à l’élaboration du projet de soins de l’établissement avec le medco, l’Idec contribue à la préparation de la convention tripartite et prend part au processus d’admission des résidents. Elle fait le lien entre le medco, les équipes hôtelières et soignantes, les familles… En résumé, tous les acteurs qui interviennent auprès des résidents. Ses tâches ne se limitent donc pas à l’aspect curatif : « Je veille à la qualité des soins, mais aussi à celles des prestations, résume Karima Bouassri. S’assurer que les résidents ne mangent pas froid ou que personne n’est oublié lors d’une activité, cela fait aussi partie de mon rôle. » Car les Ehpad sont censés être avant tout des lieux de vie, où les soins ne doivent pas prendre le pas sur le reste. À cette fin, l’Idec, garante du respect de la charte des droits et des libertés de la personne âgée, est susceptible d’élaborer sa propre formule. À l’Ehpad Augustin-Azémia d’Évreux (Eure), les infirmières travaillent en vêtements de ville. « J’y tiens et les équipes sont d’accord, indique Stéphanie Guilhem, Idec. Cela permet de dédramatiser les choses. S’il y a un soin à réaliser, l’infirmière enfile une tenue professionnelle. En revanche, cela ne se justifie pas pour la distribution des médicaments. Un Ehpad n’est pas un hôpital ! »

La gestion des médicaments et du matériel est aussi une mission de l’Idec, tout comme la formation des stagiaires (AS, ESI) et du personnel soignant, qu’elle évalue et dont elle suit l’évolution de carrière. Elle peut être amenée à animer des formations au sein de son établissement. « Le medco et moi-même organisons des flashs infos que nous présentons aux équipes, illustre Stéphanie Guilhem. Cela se fait en amont de la diffusion d’un protocole, que nous leur expliquons huit jours après. »

UN MANAGER DE PROXIMITÉ

Aux côtés de directeurs d’Ehpad happés par les tâches administratives, l’infirmière coordinatrice endosse un rôle de manager de proximité. « Il est indispensable d’être aux côtés des équipes afin d’évaluer les qualités et les manques de chacun, de s’assurer de la mise en place des bonnes pratiques, estime Jennifer Schwarz, Idec à l’Ehpad Korian Les Blés d’or, à Castelnau-de-Lévis (Tarn). Ce n’est pas lors du seul entretien individuel annuel mais en se rendant tous les matins dans les étages qu’il est possible de le faire. L’Idec est, avec le médecin coordonnateur, le bras droit du directeur en matière de soins ! »

Faire vivre le projet d’établissement, remettre de l’humain et ne pas se limiter à coordonner les procédures, telle est sa mission. « Il faut savoir fédérer les équipes afin de répondre au mieux aux demandes des résidents et des familles, poursuit Jennifer Schwarz. Notre objectif est la qualité de la prise en soins, le maintien de l’autonomie et le “bien vivre”, tout cela en lien avec le projet personnalisé du résident. » « L’idéal professionnel de certains soignants peut être mis à mal dans la réalité, explique Yves Clercq. L’Iderco fait en sorte que le projet de l’établissement, et non individuel, donne du sens aux soins. Cela évite que le soignant s’appuie sur ses références personnelles et les conflits internes dans les équipes. »

La fonction inclut une part importante de relationnel et cela, dès le processus d’admission. « Il est difficile de placer un proche en institution, souligne Karima Bouassri. La famille ressent souvent de la culpabilité. Je suis là pour les rassurer et casser les a priori sur les maisons de retraite. » L’instauration d’un climat de confiance est essentiel : « Je suis à la disposition des proches des résidents, à qui je propose des entretiens réguliers. Il ne se passe pas une journée sans que j’en rencontre, témoigne Jennifer Schwarz. Nous jouons aussi un rôle pédagogique, par exemple sur les symptômes des maladies. »

UNE SPÉCIALISTE EN GÉRONTOLOGIE

Les Idec sont aussi des spécialistes de la gérontologie et travaillent en interdisciplinarité (avec les médecins de ville, les kinésithérapeutes, les orthophonistes, les laboratoires d’analyses, les pharmaciens, l’équipe mobile de soins palliatifs…). « Leur connaissance des troubles cognitifs, de la perte d’autonomie et leur bonne gestion du médicament sont une plus-value dans la prise en charge des résidents, estime Pascal Meyvaert. Elles ne soignent pas seulement la maladie, elles favorisent les meilleures conditions de vie possibles. »

Cette expertise gérontologique se révèle précieuse pour les soignants. « Si une infirmière rencontre une difficulté lors d’un soin, je suis en mesure de lui montrer comment faire et de l’accompagner », explique Karima Bouassri, qui est titulaire d’un DU cicatrisation des plaies et d’un autre de gérontologie. « Responsable de la sécurité des biens et des personnes », selon la formule de Karima Bouassri, l’Idec en Ehpad veille au bon déroulement des soins, de l’administration des traitements, des recrutements, à la prévention des chutes, aux plannings (absence inopinée), à la sécurité incendie, à l’hébergement dans le secteur approprié (sécurisé ou non)…

UN RISQUE DE BURN-OUT ÉLEVÉ

De telles responsabilités ont leur revers : le risque d’épuisement professionnel. « La plupart des Ideco remplissent leurs missions dans un cadre qui n’est pas clair à différents niveaux : glissements de responsabilités sans temps dédié ni reconnaissance, manque de délégation », remarque Yves Clercq. Toutefois, toutes ne sont pas logées la même enseigne. L’enquête de l’Asalice révèle que 42 % des sondées font exclusivement de la coordination, tandis que 51 % effectuent aussi des soins. Le remplacement d’une infirmière absente par l’Idec est monnaie courante. L’enquête de l’Asalice met en évidence des difficultés pour mener à bien leurs missions : 39 % évoquent un manque de temps, des difficultés matérielles sont recensées (une Idec confie n’avoir ni ordinateur ni bureau) et certaines parlent de « bénévolat ». « Nous avons parfois l’impression que notre rôle est mal connu », déplore Nathalie Landon, Idec à l’Ehpad Emera Le Logis des Olonnes (Vendée). En outre, « les fonctions d’Idec impliquent beaucoup de travail, d’émotions et d’imprévus, prévient Jennifer Schwarz. Il faut s’y préparer avant d’occuper un tel poste et en parler avec la direction afin de savoir si l’on est en mesure de l’assumer. »

Légitimité contestée, manque de soutien du directeur et du medco, lourdes responsabilités sont le lot des Idec. « Certains medco n’ont pas compris l’intérêt de travailler à leurs côtés, déplore Pascal Meyvaert. Cependant, les mentalités évoluent et je pense que nous allons vers une reconnaissance au niveau national. » En attendant, la synergie entre le directeur, le medco et l’Idec reste la clef de voûte d’une collaboration constructive. Face au risque de surmenage, solliciter des personnes ressources est utile : collègues, Idec d’Ehpad du même groupe, siège… « L’amour du métier est plus fort que l’épuisement professionnel », conclut Stéphanie Guilhem.

DES SALAIRES VARIABLES

Il existe également des disparités en termes de rémunération. Le salaire de l’Idec dépend du budget soins, de la taille de l’établissement et du niveau de formation. Dans les établissements publics, les salaires sont régis par le système de la fonction publique territoriale. Les Ehpad privés à but lucratif sont dotés de la convention collective unique (CCU). Sa grille indiciaire va de 323 à 409 points (1 point = 6,98 euros), soit un salaire compris entre 2 255 et 2 855 euros selon les qualifications. Les Ehpad associatifs appliquent la convention collective nationale des établissements privés d’hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 1951, qui prévoit un coefficient de 477 points (1 point = 4,403 euros) pour une IDE (soit un salaire de 2 100 euros). « Le profil du candidat, un éventuel statut de cadre, le niveau de responsabilité et l’ancienneté jouent également, énumère Karima Bouassri. En fin de carrière, la rémunération est comprise entre 30 000 et 40 000 euros net par an. » Certaines Idec ont un salaire d’IDE, complété ou non par une prime, ou des avantages. « Je ne perçois pas de rémunération supplémentaire, confie l’Idec d’un Ehpad de 74 résidents. En revanche, mon planning est souple et je m’organise comme je le souhaite, du moment que j’effectue mes 35 heures. » « Il arrive que le financement de ce poste soit partiellement pris sur le budget hébergement, souligne Yves Clercq. C’est un choix. »

UNE FORMATION INDISPENSABLE ?

Une formation complémentaire au DE infirmier se révèle précieuse, même si elle n’est pas obligatoire. « Le secteur médico-social est de plus en plus réglementé, souligne Karima Bouassri, titulaire d’un master 2 en management des organisations sanitaires et sociales (Moss, Paris-XIII). Il est impératif de bien connaître le cadre législatif de sa structure, ainsi que les rôles de chacun. Se documenter par soi-même est possible, mais épuisant. La formation universitaire est approfondie sur ces points. » Plusieurs cursus longs dédiés à la coordination en Ehpad permettent aux professionnelles d’affirmer leur posture de manager. « Certaines ont du mal à se positionner vis-à-vis de leurs collègues, témoigne Yves Clercq. La formation leur permet de savoir quand prendre une décision, animer une réunion, mener une démarche projet, organiser un planning et d’adopter une vision globale. »

Plusieurs solutions existent : école des cadres, diplôme universitaire, master Moss, formation qualifiante de coordination de soins, apprentissage sur le tas… « Cela reflète l’hétérogénéité de nos fonctions », analyse Karima Bouassri. Toutefois, « une formation d’un an fournit les outils nécessaires à la fonction, selon Pascal Meyvaert. Les professionnelles qui en bénéficient sont bien plus à l’aise par la suite. Cela affirme également les vocations. »

Suivre une formation adaptée permet enfin de se préserver de l’épuisement professionnel. « Cela rend plus méthodique, insiste Karima Bouassri. J’ai appris à distinguer ce qui peut attendre de ce qui est urgent, le fonctionnement des institutions publiques telles que l’ARS, à identifier les organismes ressources. Je suis plus efficace. »

SE FÉDÉRER RESTE DIFFICILE

Si la formation commence à s’organiser, les Idec sont à la peine en termes de représentation. « Notre profession a du mal à se structurer, regrette Catherine Belmont, secrétaire de l’Association des infirmières coordinatrices (AIC)(3), qui compte une vingtaine d’adhérents. Nous fédérer, à l’instar des médecins coordonnateurs, nous permettrait d’obtenir un statut et une rémunération particulière. Notre fonction d’Idec implique déjà une lourde charge de travail. Nous sommes également absorbées par notre vie de famille. Cela explique nos difficultés à dégager du temps et à nous organiser en association. Ce n’est pas dans la culture infirmière, mais ça commence à entrer dans les mœurs avec l’arrivée de nouvelles générations. »

Se regrouper est un premier pas pour faire entendre sa voix auprès des instances publiques ou privées. C’est notamment grâce à l’action de l’Asalice(4) et de l’Association pour la promotion du réseau Alsace gérontologie (Amceal) qu’une fiche de poste d’Idec est proposée par l’ARS Alsace aux Ehpad de la région (voir encadré). Il existe également une Association nationale des infirmières référentes en Ehpad (Anire)(5), présidée par Joëlle Sicard. Malgré ces initiatives, se fédérer reste compliqué. « Nos missions sont variées. Nous n’avons pas besoin d’y ajouter cela, estime Karima Bouassri. Nous pourrions déjà commencer par former des groupes de travail. L’ARS pourrait aussi prendre l’initiative de proposer des temps de rencontre avec les Idec. »

1- Arrêté fixant le cahier des charges de la convention pluriannuelle prévue à l'article 5-1 de la loi n° 75-535 du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales.

2- Animateur d'Iderco, le blog des infirmières référentes et coordinatrices en établissement gérontologique, de l'encadrement de proximité et du prendre soin en gérontologie (http://iderco.wordpress.com).

3- Contact : Odile Pitot, présidente. Tél. : 06 23 50 37 83.

4- http://asalice.free.fr

5- http://anire.free.fr

REPÈRES

Une fiche de poste ?

Face au flou juridique, plusieurs initiatives destinées à préciser les contours du métier ont vu le jour.

→ En Alsace, l’agence régionale de santé, en partenariat avec l’Asalice, l’Amceal et des représentants des directeurs d’établissement, a élaboré une fiche de fonction. Transmise aux Ehpad alsaciens, cette dernière aide les Idec « à trouver leur place et ce qu’elles doivent faire, car elles n’ont pas toujours un rôle très clair dans la structure, vis-à-vis des familles, de l’équipe soignante », explique Pascal Meyvart, président de l’Amceal. La fiche de fonction de l’ARS Alsace est consultable à l’adresse http://iderco.wordpress.com/fiche-de-poste-infirmiere-coordonnatrice

→ La fiche de poste réalisée par les militants du SNPI CFE-CGC travaillant en Ehpad : www.syndicat-infirmier.com/Infirmiere-en-EHPAD-fiche-de-poste.html

→ L’Institut Meslay, qui propose une formation spécifique destinée aux Idec, a de son côté rédigé une fiche de poste « qui a pour objectif de distinguer les tâches de la mission, souligne Yves Clercq, de l’Institut. Les tâches sont des façons de mettre en œuvre les missions. Or les infirmières ne sont pas que des exécutantes de tâches ! Cette fiche liste les missions qui pourraient être attendues de l’Iderco. Ensuite, à chaque structure d’élaborer le poste selon son histoire et sa culture ! »

CURSUS

LES PISTES POUR SE FORMER

→ Certificat de compétences « Infirmier coordinateur en structure médico-sociale ». 20 jours sur un an. Environnement juridique, administratif, économique et social ; rôle de l’Idec ; communication et management ; démarche qualité ; gestion de projets.

Cnam Alsace, Illkirch (67). Tél. : 03 68 85 85 25.

www.cnam-alsace.fr

→ DU « Soins encadrement et pilotage de l’organisation des soins, option gérontologie ». 147 heures. Environnement de la santé ; encadrement de l’organisation des soins ; pratiques de soins et accompagnement.

École supérieure Montsouris, Paris.

Tél. : 01 56 61 68 60. www.ecole-montsouris.fr

→ Certification professionnelle FFP « Iderco-infirmière référente-coordinatrice ». 200 heures sur un an. Penser le projet d’accompagnement et la fonction d’Iderco ; construire le projet et manager l’équipe.

Institut Meslay, Montaigu (85).

Tél. : 02 51 48 84 83. www.meslay.org

→ DU « Infirmier référent d’Ehpad et de Ssiad ». 108 heures sur un an. Coordination des équipes ; qualité des soins ; Ehpad et Ssiad ; politique médico-sociale en direction des personnes âgées ; stage de deux semaines.

Université Paris-Descartes. Élodie Jard (secrétariat pédagogique) : 01 44 08 35 03 ou secretariat.rigaud@brc.aphp.fr