L'infirmière Magazine n° 354 du 01/11/2014

 

FORMATION

ACTUALITÉS

REGARDS CROISÉS

SANDRA MIGNOT  

L’accès aux professions réglementées est au menu d’une mission ministérielle conduite par le député socialiste Richard Ferrand. Recommandée par l’Inspection générale des finances, la suppression des quotas d’entrée pour les professions de santé fait débat.

* Brigitte Dormont : « Les quotas infirmiers ne sont pas contraignants »

Que pensez-vous de la proposition de l’Inspection générale des finances (IGF) de supprimer les quotas de formation et autres numerus clausus concernant les professions paramédicales ?

L’IGF dénonce les « rentes » des professions dont l’accès est limité par des quotas ou tout autre dispositif. Une rente désigne un profit excessif possible dans des situations de rareté naturelle – on parle par exemple de rente pétrolière – ou de rareté créée par une situation de monopole. Les membres d’une profession réglementée comme les taxis s’organisent pour restreindre le nombre de licences, dans le but de diminuer la concurrence. Résultat : le service rendu est limité et le prix plus élevé qu’en situation de libre concurrence. Supprimer le monopole permet d’augmenter le nombre d’emplois créés et de diminuer le prix du service, ce qui améliore le pouvoir d’achat des consommateurs.

N’existe-t-il pas une particularité pour les professions de santé ?

Si, pour les professions de santé, on doit raisonner différemment à cause de l’assurance maladie qui solvabilise la demande de soins et va de pair avec des tarifs réglementés. Pour les médecins, des travaux ont montré que les générations concernées par un numerus clausus plus faible ont des revenus beaucoup plus importants que les autres. Mais avec une médecine libérale rémunérée à l’acte, il est important qu’il n’y ait pas trop de praticiens. On a observé que dans les régions surdotées en médecins, ceux-ci manquent de patients et compensent leur manque à gagner en augmentant le nombre d’actes par consultation, d’où une surconsommation de soins sans rapport avec les besoins. C’est ce que les économistes appellent la « demande induite », qui est due à une autre particularité du secteur des soins : ce n’est pas le patient mais le fournisseur qui est l’expert en charge de définir ce qui doit être consommé.

On a pu observer pareillement que le nombre d’actes par habitant était plus important dans les régions surdotées en infirmières libérales. Mais la situation des infirmières est quand même assez différente de celle des médecins.

Le numerus clausus infirmier est-il une bonne méthode de régulation de la profession ?

Les quotas infirmiers actuels, qui ont été fortement relevés depuis 2000, ne sont pas contraignants. Le nombre d’entrées en institut de formation est inférieur, en moyenne, de 8 % aux quotas. En outre, il y a beaucoup d’abandons en cours de formation. En 2008, le nombre de diplômés était inférieur de 28 % au quota fixé trois ans plus tôt. De ce fait, supprimer les quotas n’aurait aucun effet.

Par ailleurs, la régulation de la quantité d’infirmières n’a de sens, comme je l’ai expliqué précédemment, que pour les libérales qui sont payées à l’acte. Or, celles-ci ne représentent qu’une faible part de la profession, 15 % environ. Et pour les libérales, il existe déjà depuis 2008 une régulation de l’installation, avec des limites fortes dans les zones surdotées. En échange de cette négociation, le tarif des actes a augmenté. Un exemple que les médecins devraient suivre, dans leur intérêt et dans celui des patients.

* Loïc Massardier : « Il y a peu de risques que la filière soit encombrée »

Que pensez-vous d’une éventuelle suppression des quotas de formation infirmiers ?

La Fnesi a officiellement pris position pour une entrée libre dans la filière, sans numerus clausus ni sélection à l’entrée, inscrite dans une universitarisation complète. Cela nous semble une condition nécessaire de l’ouverture à l’enseignement pour tous. Le concours est obsolète, au moins dans sa forme. On ne peut conserver, notamment, ces tests psychotechniques dont il est possible d’apprendre les réponses par cœur ou ces questions de culture générale qui ont fort peu à voir avec le métier. Cette intégration totale dans l’université, avec un département soins infirmiers, une gouvernance administrative et politique unique, n’empêchera pas de conserver la formation par les pairs et donc, la forte dimension professionnelle de notre cursus. Mais elle permettra de créer des passerelles à différentes étapes de la formation et elle évitera le risque, déjà suggéré, de développement d’instituts de formation à but lucratif.

Risque-t-on de voir le dispositif de formation submergé par les candidatures ?

Quand la Paces (NDLR, première année commune aux études de santé) a été mise en place, certains ont pensé que le nombre d’étudiants allait exploser. Or, ce n’est pas ce qui s’est produit. Le problème, côté infirmiers, est qu’on ne sait pas actuellement combien d’étudiants passent les concours, puisqu’ils peuvent s’inscrire à plusieurs chaque année et retenter les épreuves sur plusieurs années. On ne sait pas non plus combien d’étudiants sont exclus de la filière, ni quelle orientation ils prennent. Mais dans tous les cas, si on constitue une filière universitaire avec des possibilités d’orientation, des passerelles pour ceux qui se découvrent finalement inaptes à pratiquer ce métier et une ouverture vers la recherche, il y a peu de risques qu’elle soit encombrée. D’autre part, on fixe actuellement des quotas en fonction d’études prospectives sur vingt ou trente ans et des besoins des employeurs, mais ils ne sont jamais atteints. Entre le moment où l’étude est menée et sa période de réalisation, il peut se passer beaucoup de choses… En ce moment, par exemple, on manque de professionnels dans les services. Pas parce que les besoins n’existent pas : si les structures avaient les moyens, elles embaucheraient ou créeraient des postes. Mais elles sont contraintes de réduire le nombre d’infirmières pour des raisons économiques.

Les quotas ne permettent-ils pas d’adapter le nombre de professionnels aux besoins ?

Les étudiants migrent pour pouvoir obtenir leur DE. Et puis un diplômé ne reste pas nécessairement là où il a été formé, surtout s’il est originaire d’une autre région. Les quotas engendrent des flux de populations étudiantes qui ne sont pas étudiés et peuvent donc difficilement être évalués… Pour autant, le maillage territorial des Ifsi est important et devra être conservé. Il ne s’agit pas de centraliser les formations dans les seules grandes villes.

BRIGITTE DORMONT PROFESSEUR À L’UNIVERSITÉ PARIS DAUPHINE, TITULAIRE DE LA CHAIRE SANTÉ

→ Membre du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie depuis 2011

→ Membre du Conseil d’analyse économique en 2014

LOÏC MASSARDIER PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION NATIONALE DES ÉTUDIANTS EN SOINS INFIRMIERS (FNESI)

→ Entrée à l’Ifsi de Saint-Étienne (Loire) en 2011

→ Élu à la tête de la Fnesi en mai 2014

POINTS CLÉS

→ 1971 Instauration d’un numerus clausus pour les étudiants en médecine, à l’issue de la première année d’études. Il vise à réduire drastiquement le nombre de praticiens formés, dans l’objectif de limiter les prescriptions de soins. De 8 500, il baisse jusqu’à 3 500 en 1993, avant de remonter lentement pour atteindre 7 492 places actuellement. Les autres professions de santé se sont ensuite vu imposer progressivement les mêmes mesures de régulation.

→ 1983 La profession infirmière est la dernière à découvrir les quotas de formation. Pour les soignantes, le nombre de places à l’entrée dans les Ifsi a d’abord légèrement diminué, passant de 16 117 à 13 897 en 1989.

→ 1993 Les quotas infirmiers repartent à la hausse (+ 22 % par rapport à l’année précédente), puis sont relancés très fortement en 2000 (+ 43 %) La dernière hausse d’envergure a été annoncée pour la rentrée 2003 (+ 13 %). Pour l’année 2014-2015, le numerus clausus a été fixé à 31 158 places.

→ Été 2014 Un rapport de l’Inspection générale des finances relance le débat en recommandant de supprimer les numerus clausus des professions de santé, à l’exception de celui des médecins, au motif qu’ils contraindraient les étudiants à aller se former à l’étranger, augmentant le coût de la formation.

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