« Il ne suffit pas d’acheter des lève-malades » - L'Infirmière Magazine n° 354 du 01/11/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 354 du 01/11/2014

 

TMS

DOSSIER

Les troubles musculo-squelettiques constituent la principale menace pour la santé des soignants. Afin de les prévenir, l’Institut héliomarin de Labenne multiplie les démarches, entre formation et intervention d’ergonomes.

Mal au dos, au cou, au coude, au poignet, à la main, à l’épaule, plus rarement au genou : plus de 80 % des maladies professionnelles dont souffrent les agents hospitaliers ont pour origine des troubles musculo-squelettiques (TMS). « Pour nos infirmières et nos aides-soignantes, qui représentent 70 % de notre personnel, les TMS sont le risque majeur », reconnaît Rémi Batifoulie, le directeur adjoint de l’Institut héliomarin de Labenne (Landes), un établissement de soins de suite et de réadaptation gériatrique de près de 200 lits. « La population des résidents est de plus en plus âgée, de plus en plus dépendante, les prises en charge de plus en plus lourdes, mais nos moyens n’évoluent pas », précise Didier Bosviel, délégué syndical FO et secrétaire du CHSCT. Il reconnaît tout de même l’effort consenti par l’établissement pour s’équiper en matériel de manutention : un lève-malade et un verticalisateur pour quinze lits. « Mais il ne suffit pas de les acheter », reconnaît le directeur.

L’agent, force de proposition

Thierry Amouroux, le secrétaire général du SNPI CFE-CGC, approuve : « Quand les cadences s’accélèrent, les infirmières n’ont pas forcément le temps d’aller chercher le matériel et de l’installer correctement, car elles ne feraient plus qu’une toilette au lieu de deux. » Lorsqu’elles ne sont pas formées à son utilisation, le résultat peut même être contraire à l’effet recherché : « Quand la démarche de prévention n’est pas concertée, organisée, réfléchie avec les agents, le matériel reste au fond du couloir. Et s’il est utilisé, on assiste à un déplacement des risques : les organisations du travail vont être perturbées, les personnes vont se faire mal au dos plutôt qu’aux épaules », explique Patrick Bozier, chargé de la formation « Prévention des risques liés à l’activité physique » (Prap) à l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS). « L’agent doit au contraire être au cœur de la démarche : son acteur principal, une force de proposition, poursuit-il. C’est toute l’organisation du travail qui doit évoluer : l’ensemble de l’équipement, les flux, les horaires. »

L’Institut héliomarin s’est engagé dans cette démarche globale. Deux agents de l’établissement sont formateurs Prap : ils enseignent à leurs collègues la prévention des risques liés à l’activité physique. L’établissement a également obtenu un financement de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) dans le but de faire intervenir des ergonomes dans l’établissement. « Pendant quinze jours, ils vont analyser l’environnement de travail, raconte le directeur adjoint, Rémi Batifoulie. Les locaux sont-ils adaptés, les chambres bien aménagées, le matériel de manutention à proximité ? »

Paradoxalement, les efforts de l’Institut héliomarin se sont traduits par une augmentation des TMS de 20 %. « Parce que nous sommes bons dans la démarche, se félicite Rémi Batifoulie. Les troubles musculo-squelettiques qui étaient auparavant ressentis sont désormais tous déclarés. » C’est la seule manière de prévenir de futures incapacités au travail. « C’est un enjeu économique et humain, insiste Patrick Bozier, de l’INRS. De plus en plus de personnes ne peuvent plus travailler normalement. »

SAVOIR PLUS

→ « Les Risques professionnels en 2010, de fortes expositions selon les secteurs », Dares, Analyses n° 10, février 2013. Les risques dans le secteur de la santé apparaissent particulièrement élevés.

→ Rapport statistique 2012 de la banque nationale de données de la CNRACL. Il s’intéresse aux risques professionnels dans les fonctions publiques territoriale et hospitalière.

→ Santé et satisfaction des soignants en France et en Europe, Madeleine Estryn-Béhar, Presses de l’EHESP, 2008. Les principaux résultats de l’étude européenne Presst-Next sur les paramédicaux hospitaliers.

→ Ergonomie hospitalière. Théorie et pratique, Madeleine Estryn-Béhar, Octarès, 2011. Une présentation des méthodes de cette discipline.

→ « Enquête sur les conditions de travail » dans la filière soignante, CFDT Santé sociaux, mai 2011. Près de 40 000 soignants ont répondu, « une véritable cri de détresse », selon le syndicat.

→ Le dossier consacré à la prévention des risques des soins infirmiers sur le site www.officiel-prevention.com (http://bit.ly/1t2moKv).