L'infirmière Magazine n° 354 du 01/11/2014

 

SOPHROLOGIE CAYCÉDIENNE

SUR LE TERRAIN

TRANSMISSIONS

FRANÇOISE BURGOS  

Aujourd’hui, en France, 5 millions de personnes souffriraient d’un acouphène invalidant, estime l’Inserm. Françoise Burgos, infirmière clinicienne, propose une prise en charge originale qui consiste à « habituer » le patient à ce bruit parasite.

L’acouphène se définit comme un bruit perçu par une personne en dehors de toute stimulation sonore extérieure. Mais ce n’est pas seulement un problème d’oreille : il implique aussi plusieurs structures neurologiques, ce qui rend ce symptôme très complexe à analyser. En effet, l’acouphène est généré dans l’oreille par un dysfonctionnement qui peut être d’origine traumatique, mécanique, inflammatoire, vasculaire, etc. Il faut le distinguer de l’hallucination auditive, dont le mécanisme est, lui, psychologique. Ce dysfonctionnement produit de fausses informations qui se synchronisent et sont transmises le long du nerf auditif jusqu’au sous-cortex, une structure cérébrale dont le rôle est de filtrer les informations auditives inutiles. Ce filtre peut être débordé par un excès d’informations, un traumatisme sonore, une grande fatigue ou un état émotionnel fragile. Il laisse alors « passer » l’acouphène, qui va ensuite être enregistré et mémorisé dans le cortex auditif.

L’acouphène affecte beaucoup l’état émotionnel de celui qui le perçoit. Il provoque fréquemment une impression négative, un agacement au minimum, faisant intervenir le système limbique (siège des émotions, de la mémorisation et des apprentissages), qui va renforcer en retour la perception de l’acouphène. Autrement dit, plus celui-ci est ressenti comme pénible, plus il est renforcé et mémorisé. Cette perception peut être très intense et favoriser l’émergence de réactions neurovégétatives sous la forme d’attaques de panique avec sueurs, palpitations, etc.

Impact sur le quotidien

L’acouphène est un symptôme et non une pathologie. Il n’en demeure pas moins une source importante de stress. Il se traduit d’abord sur le plan physique : c’est un bruit permanent que les personnes décrivent comme envahissant, dans une oreille, puis souvent dans toute la tête, vécu sur le mode du conflit de territoire et engendrant parfois de la colère. Il gagne l’esprit, devient obsédant, empêche la concentration, favorise l’élaboration de fausses croyances et génère de l’anxiété. La personne se sent impuissante, elle perd confiance en ses capacités et toute estime d’elle-même. Elle se sent profondément seule. Son identité est affectée et elle se définit par son symptôme : « Je n’habite plus ma vie. » Les diagnostics infirmiers peuvent être : stratégie d’adaptation inefficace, peur, fatigue, habitudes de sommeil perturbées, anxiété, risque de diminution situationnelle de l’estime de soi.

La thérapie acoustique d’habituation

À l’hôpital Purpan, à Toulouse (Haute-Garonne), une consultation multidisciplinaire avec un médecin ORL spécialisé, une psychologue, un audioprothésiste et une infirmière sophrologue propose une adaptation efficace à l’acouphène grâce à la thérapie acoustique d’habituation (TAH). Celle-ci consiste à habituer une personne à vivre avec ses acouphènes. Il y a habituation lorsqu’un stimulus n’entraîne plus aucune réaction du système nerveux. Cette thérapie comprend :

→ Un volet médical. Il s’agit d’expliquer ce qu’est l’acouphène et son origine. Permettre à la personne de mieux comprendre ce symptôme la rassure déjà.

→ Une partie « thérapie sonore ». L’audioprothésiste la propose en fonction de la perte auditive de la personne. Il lui indique comment se servir du bruit pour diminuer la perception de l’acouphène, mais aussi comment compenser une perte auditive.

→ Éventuellement un travail psychothérapeutique, notamment par thérapie cognitivo-comportementale.

→ Un accompagnement sophrologique. Parfois réalisé en parallèle de la psychothérapie, cet accompagnement se fait à l’aide de techniques adaptées à la souffrance exprimée. Je propose alors une série de cinq séances individuelles – leur nombre étant fixé par l’institution hospitalière. Mme B. viendra donc me voir dans le service à l’hôpital toutes les semaines, pendant trois semaines, puis tous les quinze jours.

Un entraînement personnel

Selon Sofrocay(1), « la sophrologie caycédienne est une discipline qui aide chacun à développer une conscience sereine au moyen d’un entraînement personnel basé sur des techniques de relaxation et d’activation du corps et de l’esprit ». Créée en milieu hospitalier puis développée en 1960 par le Dr Alfonso Caycedo, médecin psychiatre, elle apporte aux professionnels de santé « un ensemble de techniques qui peuvent être utilisées de façon isolée ou en complément d’un traitement ». Cette méthode comprend de la relaxation dynamique et d’autres techniques permettant de percevoir notre corps, notre esprit, nos états émotionnels et nos valeurs. Autant d’outils que je vais adapter à la personne et à ses plaintes. Madame B. a besoin, avant tout, d’un espace d’écoute. Je l’encourage à exprimer la souffrance que représente cet acouphène. La relation particulière qui s’établit – de confiance, de non-jugement et d’accueil – est la base du travail sophrologique.

En pratique, la séance commence par un dialogue orienté sur ce que vit cette personne. J’explique ensuite la technique que nous allons employer. La première phase, que nous appelons la « sophronisation », permet une première relaxation et une prise de conscience du schéma corporel. C’est ma voix qui guide la patiente tout au long de la séance. La modification du niveau de conscience ainsi induite favorise l’activation que je proposerai ensuite, activation encore une fois adaptée à ce que vit cette personne. Suit une pause qui permet au patient d’intégrer le travail qui vient d’être réalisé. Chaque séance permet la stimulation de trois capacités : l’harmonie corps-esprit, la confiance en soi et l’espoir. Nous effectuons trois respirations et redynamisons notre corps pour revenir à un niveau de conscience de base.

Dès cette première séance, la concentration sur l’espace corporel oriente la conscience de Madame B. vers son potentiel de santé et permet la « défocalisation » de l’acouphène. Le mouvement proposé par les « relaxations dynamiques » ramène des sensations agréables dans le corps. J’invite ensuite Madame B. à se projeter dans un futur positif, ce qui lui redonnera de l’espoir. De même, la remémoration de moments de santé et d’affectivité très positifs renforcera sa confiance.

La technique appelée « Viphi », spécifique à la sophrologie caycédienne, est parfaitement adaptée à l’acouphène, car elle remplace l’interaction négative entre le cortex auditif et le système limbique par un lien positif qui renforce le sentiment d’unité et d’intégration. La patiente se sent dès lors mieux, car les acouphènes ont diminué. De nombreuses autres techniques peuvent être essayées au cours de cet accompagnement, en fonction de la personne et du nombre de séances.

Le résultat dépendra aussi de son entraînement et sa capacité à répéter quotidiennement dans son corps les expériences positives qu’elle a vécues lors des séances.

Mon rôle est aussi de persuader la personne que cette répétition quotidienne est nécessaire pour obtenir un résultat optimal.

La prise en charge de cette patiente par les techniques propres à la sophrologie caycédienne permet à sa conscience, qui était alors prisonnière de l’acouphène, de se libérer dans un mouvement actif vers la diminution de la perception et de s’orienter vers un nouveau projet de vie.

1- L’académie internationale de sophrologie caycédienne. www.sofrocay.com

CAS DE DÉPART

Madame B., 18 ans, consulte pour un acouphène bilatéral, prédominant à droite, invalidant, insomniant. Elle n’a pas de soutien familial car sa mère est dépressive et son père relativement distant. Ce symptôme génère beaucoup d’anxiété chez la jeune femme. Elle se sent seule et impuissante. Elle a adopté une stratégie d’évitement et porte des obturateurs dans les oreilles. Cette patiente a consulté des médecins et des oto-rhino-laryngologistes mais ils lui ont souvent dit qu’il n’y avait pas de traitement possible. Elle est désespérée.

HISTORIQUE DU PROJET

→ 1987 : première entrée de la sophrologie caycédienne à l’hôpital.

→ Fin 2004 : mise en place de la consultation multidisciplinaire à Toulouse.

→ 2005-2006 : Françoise Burgos suit une formation en sophrologie caycédienne financée par l’hôpital.

→ 2006-2007 : elle obtient un master spécialiste en sophrologie caycédienne, autofinancé.

→ Juin 2008 : constitution de l’Afrepa (Association française de recherche des équipes pluridisciplinaires en acouphénologie).

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