L'infirmière Magazine n° 354 du 01/11/2014

 

FORMATION CONTINUE

L’ESSENTIEL

Pour accompagner au mieux les petits confrontés au décès d’un proche, les soignants doivent prendre en compte leur dégré de développement cognitif. Il arrive aussi qu’un très jeune patient meure : dans ce cas, il importe ne pas se laisser submerger par ses émotions.

Mort et enfance sont pour la majorité des adultes, y compris soignants, des termes antinomiques. En effet, l’enfant est synonyme d’avenir, d’innocence et de prolongement de soi pour le parent. Pourtant, comme tout être vivant, il est concerné par la mort, qu’il doit progressivement intégrer. Il peut par exemple être confronté à celle d’un être cher, notamment l’un de ses parents, ou à son propre décès s’il est atteint d’un grave problème de santé.

Les psychologues et psychanalystes ont commencé à traiter ces questions au milieu des années 1970. Anna Freud et Ginette Raimbault se sont par exemple intéressées à la mort des enfants gravement malades. D’autres ont suivi, comme Daniel Oppenheim. Par ailleurs, les témoignages des parents, souvent poignants, peuvent aider les soignants à mieux comprendre l’épreuve qu’ils traversent et donc l’aide que l’on peut leur apporter(1).

Afin de fournir le meilleur accompagnement possible, les soignants ont besoin de comprendre comment la perception de la mort par l’enfant évolue au cours de son développement et de se préparer aux nombreuses questions que posera l’entourage s’il est directement concerné par la mort d’un parent. Enfin, ils doivent bénéficier d’une formation adaptée afin d’être en mesure de rester en relation avec un enfant qui va mourir et ses proches.

La notion de mort est intégrée très progressivement. Avant l’âge de 11 ans, la représentation que s’en fait un enfant préservé de toute confrontation directe dépend à la fois de son environnement, c’est-à-dire de la manière dont on aborde le sujet dans la famille, et de son développement cognitif. Comme l’a décrit le psychologue Jean Piaget, le développement du jeune enfant est teinté de pensée magique, d’animisme, d’artificialisme, de finalisme. Pour Ginette Raimbault, le très jeune sujet ne fait pas de différence avec l’absence. Entre 2 et 5 ans, la mort est synonyme de sommeil, elle est réversible et n’arrive qu’aux autres. Entre 5 et 7 ans, elle concerne les personnes âgées, les êtres les plus faibles, elle peut être personnifiée. Entre 8 et 11 ans, la notion d’irréversibilité de la mort est acquise, mais l’enfant continue de lui accorder une cause extérieure. Il faut attendre l’adolescence pour que sa pensée s’approche de celle de l’adulte. Toutefois, pour lui, la mort continue de concerner les personnes âgées. L’adolescent peut donc adopter des conduites à risques, se considérant invincible.

Intégrer qu’un enfant ne donne pas la même signification que l’adulte à la mort, qu’il ne dispose pas, avant un certain âge, de la capacité à anticiper les conséquences effectives d’un décès, permet à l’entourage et aux soignants de comprendre certains comportements. Par exemple, à la mort d’un grand-parent, le niveau de tristesse de l’enfant ne sera pas identique à celui de son parent qui vient de perdre son propre parent. Même s’il ressent de la tristesse, il peut rapidement retourner à ses jeux, quand l’adulte demeure dans l’incapacité d’agir.

Toutefois, lorsqu’il est directement concerné par la maladie et le risque de mort ou par la mort d’un de ses parents, l’enfant, même très jeune, peut présenter des réactions d’une grande maturité.

Le décès d’un proche ou d’un parent

Lors de la mort d’un parent, de nombreuses questions se posent aux adultes qui ont la responsabilité de l’enfant : que lui dire ? Comment le lui dire ? Qui peut l’accompagner alors que les autres adultes sont eux-mêmes en souffrance ? Ces questions sont posées aux soignants, considérés comme compétents pour y répondre. Il est important que l’équipe puisse trouver les ressources pour le faire.

Est-il souhaitable que l’enfant voie le malade avant le décès ou le défunt ? Peut-il et doit-il assister aux cérémonies, à l’enterrement ou à la crémation ? Chaque situation est unique et doit être considérée dans son ensemble. Chaque famille, chaque adulte a sa propre représentation, souvent liée à son histoire, de ce qui est bien pour l’enfant. Il n’existe pas de règle générale ni de réponse toute faite à ces questions. Pour prendre la meilleure décision possible, il faut d’abord identifier comment est survenue la mort, l’âge de l’enfant, son lien avec la personne décédée et, lorsqu’il est en âge de le faire, lui demander quels sont ses propres souhaits. Lorsqu’il choisit de voir le malade ou le défunt, il est préférable qu’il soit accompagné par un adulte capable de le faire. C’est-à-dire qui ne soit pas lui-même envahi par l’émotion et en mesure de répondre aux questions de l’enfant, de l’aider à identifier ce qu’il vit dans ce moment si particulier, d’être disponible pour recueillir ses émotions. Le fait d’assister à l’enterrement ou au moins à certaines cérémonies de recueillement permet de « dire au revoir » à la personne qui part. Il est important aussi de repérer les risques d’identification de l’enfant, son éventuelle culpabilité s’il a par exemple eu des idées de mort à l’encontre de la personne décédée, de le rassurer sur le fait que ce n’est pas lui qui est responsable de sa mort. Au-delà de la période entourant le décès, un suivi doit lui être proposé afin de l’accompagner dans son travail de deuil.

Lorsque c’est l’enfant qui meurt

La mort d’un enfant est l’un des plus grands traumatismes que puisse vivre un parent. Elle survient contre toute logique, car l’enfant est né pour survivre à son parent et à ses grands-parents. Pour les soignants, cette situation implique une capacité d’accompagnement spécifique du jeune malade et de son entourage. Il faut d’abord prendre connaissance du rapport de l’enfant à la mort, qui dépend de son âge ainsi que de son développement psycho-affectif et intellectuel. On peut toutefois noter que, lorsqu’il est gravement malade, l’enfant gagne en maturité. Il a souvent une capacité à parler de la mort qui surprend les adultes. Toutefois, s’il constate que son entourage n’est pas en mesure de répondre à ses questions, il s’abstient d’aborder le sujet, ce qui l’enferme dans sa solitude et ses souffrances. Lorsque la communication avec l’entourage est possible, l’enfant peut rester en relation avec sa famille, y compris dans la phase précédant son décès. Comme le souligne Christine Lévêque, médecin anesthésiste en pédiatrie, qui cite une étude publiée en 2000(2), « un dialogue clair améliore significativement la prise en charge des enfants en fin de vie ».

Il est souvent difficile pour les parents de répondre aux questions de leur enfant sur la mort. Pourtant, une étude menée en Suède en 2004 a montré que « la majorité des parents qui ont pu parler de la fin de vie et de la mort avec leur enfant malade ne le regrettent pas et ont moins de troubles dépressifs après le décès ». L’enfant souffre souvent de la peine qu’il fait à ses parents et peut se sentir coupable de ce qu’ils vivent. Il est important qu’il puisse être écouté et entendu dans ses difficultés.

Malgré les nombreux travaux sur ce sujet, la préparation du personnel soignant demeure insuffisante. Il devrait être en mesure d’analyser la situation, d’anticiper les besoins et les demandes, d’inciter les parents à aborder le sujet avec leur enfant et si cela est difficile, de les accompagner dans cette démarche. Ceci implique bien entendu que les soignants eux-mêmes soient disponibles et en mesure de gérer leurs émotions. Trop souvent encore, ils éprouvent des difficultés pour aborder la situation de façon professionnelle. Une formation adaptée permet d’améliorer l’accompagnement de l’enfant et de sa famille, préalable indispensable au travail de deuil.

1 - Voir encadré En savoir plus, p. 59.

2 - Étude de Joanne Wolfe portant sur des enfants atteints de cancer. Journal of the American Medical Association.