L'infirmière Magazine n° 354 du 01/11/2014

 

L’INVITÉ

ACTUALITÉS

SUR LE WEB

AVELINE MARQUES  

Alors voilà, c’est la guerre. D’un côté, Jean-Presque-Enfant, 24 ans, étudiant, amoureux, rieur et un peu fêtard. Il aime les balades à vélo, les Oreo coupés en deux et les séries B. Pas vraiment un guerrier-né. De l’autre, toute une arméede petits crabes dégueulasses. Pas des Huns, des Wisigoths ou des Vikings. Bien plus barbares ! Des Lilliputiens ridicules, coiffés de casques en os. Leurs pinces sales résonnent de cliquetis inquiétants. Aucun état d’âme. Pour Jean-Presque-Enfant, ce sont des jours bien sombres qu’annonce cette armée miniature. Ils ont frappé les premiers, là où ça fait mal : le testicule. Bam ! Droit dans les parties. Ils ont dit : « Ola, Jean-Presque-Enfant ! On prend la bourse. Dans quelques mois, on prendra la vie. » Le pauvre gamin a dû ranger ses livres de cours, remettre ses sorties à plus tard, affûter ses armes et recruter des mercenaires : Oncologuatrix, Chimiothérapeutus, Infirmierator. « Je suis trop jeune », a dit Jean-Presque-Enfant. « Va falloir grandir vite », a répondu gravement Oncologuatrix, pas toujours très subtil. La bataille a été sanglante. Il a fallu trancher dans le vif. La machine à bébés ? Aux oubliettes. Remplacée par une jolie prothèse en forme de haricot. Belle illusion. De toute manière, les futurs petits Jean dorment dans un joli cocon réfrigéré. Ce fut un combat à mort. Un jour, devant moi, Jean s’est exclamé : « Mais ce n’est qu’une paire de couilles ! Qu’est-ce que ça peut bien leur foutre ??? » Bonne question… Qu’est-ce qu’il peuvent bien en faire, le prince des Crabes et ses cellules terroristes ? Un testicule ! Pensez donc ! Un vrai pilleur d’organes. Les matins ont succédé aux matins. Le jeune homme devenu grand soldat a vomi plus souvent qu’à son tour. L’homme a maigri, s’est endurci le cuir. Il a hurlé bien fort qu’il ne céderait pas un pouce de terrain à l’armée en carapaces. « Je vais mourir. Mais vieux. Et j’aurai fait des bébés à Lise. Je veux pouvoir leur dire : “Les enfants ! Arrêtez de me les briser !” » Un jour, l’équipe a gagné. Jean est monté en haut d’une montagne, a arraché la victoire finale, un drapeau rond et lumineux. […]

Maintenant, l’homme se promène dans le métro. Peut-être parmi vous… Vous l’ignorez, mais c’est un immense chef d’armée. Lui, incognito, il prend l’escalator, débouche en pleine lumière, parmi les vivants. Il pousserait bien un cri de guerre victorieux, mais les gens ne comprendraient pas, alors il laisse un large sourire s’épanouir sur son visage. Le soleil est là, l’homme marche avec lui.

Articles de la même rubrique d'un même numéro